Les femmes à l’ère des Vikings, par Judith Jesch, 1996.

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Les pierres runiques suédoises sont des monuments commémoratifs publics qui sont proéminents dans le paysage. Ces pierres verticales se retrouvent dans les champs et sur le bord des routes. Certaines sont sculptées sur de gros rochers qui font déjà partie du paysage naturel. La plupart sont situées dans des endroits publics, sur le bord des routes et des ponts ou à la limite des paroisses ou des fermes. Elles représentent donc publiquement les membres de la famille dont il est question. Celles dont il a été question dans cet article permettent de lever le voile sur les motifs de ces déclarations publiques sur la vie de famille : confirmer des liens et un héritage ou proclamer les actes héroïques d’un membre de la famille. Il est possible que la plupart

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des inscriptions qui contiennent la formule de base « A(B,C...) a fait élever cette pierre ou sculpter ces runes à la mémoire de X(Y,Z ...) , son/sa/ses… » aient été faites dans ce but précis. Pourtant, dans les petites communautés isolées du centre de la Suède, on pourrait s’attendre à ce que les passants connaissent les personnes dont il est question ainsi que les détails de leur vie. La pierre runique ne serait alors qu’une façon de leur rafraîchir la mémoire.

Ainsi, quelques pierres érigées par des veufs vantent les mérites de leurs épouses décédées. La pierre de Saleby (Vg 67) raconte simplement que Thora était la plus sage d’entre eux. L’inscription sur la pierre de Hassmyra (Vs 24), cependant, contient un poème à la louange d’Odindis (le seul poème sur une

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pierre suédoise commémorant une femme). L’inscription peut se traduire comme suit :

Le bon fermier Holmgaut a fait élever ceci en mémoire de sa femme Odindis.

Une meilleure ménagère
ne viendra jamais
à Hassmyra
pour administrer la ferme.
Red Balli a sculpté
ces runes.
Elle était la sœur bienveillante
de Sigmund.

Une « ménagère » de l’ère viking avait des responsabilités beaucoup plus vastes que sa consœur de l’ère moderne, car elle était responsable de tout le travail à l’intérieur (incluant certains travaux extérieurs près de la maison principale) ce qui incluait la production de la nourriture et du textile, et ce, à partir de la matière première. Le travail des femmes, tout comme celui des hommes, était normal et il n’était pas nécessaire de le mentionner dans les inscriptions. On fait d’ailleurs très peu mention du travail des hommes de l’ère viking dans les inscriptions runiques. L’expression boandi goðr (un bon fermier) qui est utilisée au sujet de plusieurs hommes honorés n’est qu’une formule de présentation conventionnelle et ne devrait pas être considérée comme un jugement sur ses pratiques agricoles. Lorsqu’il est fait mention des activités masculines, il s’agit d’activités qui sortent de l’ordinaire : ils naviguent, ils nourrissent des aigles ou amassent de l’or à l’étranger.

Le rôle des femmes dans la production de la génération suivante est implicite dans toutes les inscriptions. Toutes les inscriptions ne sont pas nécessairement commandées par un membre d’une famille à la mémoire d’un autre membre. Il y a, par exemple, des inscriptions commandées par des hommes à la mémoire de leurs « semblables », c’est-à-dire des partenaires commerciaux ou des compagnons d’expédition. Cependant, lorsqu’il s’agit des femmes, les inscriptions runiques concernent strictement la famille. Il n’est pas surprenant de retrouver plus de mères et d’épouses dans les inscriptions runiques que de sœurs et de filles, car la fonction reproductive des femmes ne pouvait s’accomplir que dans la famille de leur mari et non dans la leur. À l’exception de cette information de base, rares sont les inscriptions runiques qui offrent des indices sur la façon dont l’accouchement et l’éducation des enfants affectaient la vie des femmes.

Source: Judith Jesch, La vie des femmes dans les textes runiques in Women in the Viking Age, (Woodbridge, Suffolk and Rochester New York: The Boydell Press, 1986), 63-65.

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