L’Histoire De La Classe

Quel prix ne serions-nous pas prêts à payer pour n’obtenir qu’un seul coup d’œil sur ce que l’avenir nous réserve; la tâche de rédiger l’histoire de la classe de droit de « L’an un » serait alors un jeu d’enfant. Comme il serait agréable de pouvoir prédire avec précision l’illustre destinée réservée à certaines de nos étoiles montantes, et tout aussi satisfaisant de montrer du doigt les désastres qui attendent d’autres de nos camarades moins vertueux si d’aventure ceux-ci négligeaient de tourner la proverbiale « nouvelle page ». Préparer l’élève Place à occuper la place de choix qui lui revient; songer à McMaster inculquant à la jeunesse étudiante d’une classe, quelque part dans les années mille neuf cent, l’inanité d’interrompre un chargé d’enseignement en l’assommant de questions anticipées; au « professeur » Doak qui insiste que la porte soit fermée et verrouillée après la prise des présences pour son cours. Si l’effort requis pour produire un humour bas de gamme et des personnalités idiotes n’épuisait pas déjà l’intellect surchargé du pauvre étudiant, une entière histoire de la classe de droit aurait pu être composée dans cette veine-là.

L’histoire de notre classe se doit néanmoins d’être entreprise avec un certain orgueil pardonnable. Nous sommes tous intimement convaincus que plusieurs meneurs de la profession juridique proviendront de cette classe. Un tel sentiment est entièrement dépourvu de vanité et n’est le reflet que de notre seul mérite. En dépit de la très haute estime que nous avons de nous-mêmes, cependant, aucun élément d’importance ou de nature particulièrement exaltante n’est à rapporter jusqu’à présent. La vérité du vieil adage « les gens heureux n’ont pas d’histoire » est à nouveau démontrée dans notre cas. Nos relations entre camarades ont été harmonieuses, dirions-nous même cordiales. Il y avait de la rivalité, il y en aura toujours; mais il s’agissait d’une saine rivalité – de celles qui incitent un homme à mettre du cœur à l’ouvrage voire à apprécier davantage les qualités de ses camarades de classe.

Certains des coureurs présents au départ ont abandonné en cours de route. Nous leur offrons nos sympathies, que leur désistement ait été le résultat de leurs propres choix ou de l’implacable dessein des dieux. Nous étions une classe nombreuse et nous serons sans doute nombreux au fil d’arrivée. Cela suggère que notre « arrivée » sera des plus intéressantes. Nous avons marqué le commencement d’une nouvelle ère de l’histoire du droit à McGill – le début des classes très nombreuses. Mais nous sommes également venus au moment où un large contingent d’étudiants ambitionne de finir premier de classe. Ce sera nécessairement un homme bon qui remportera cette position convoitée. Mais pour un homme bon d’entre nous – les hommes « médiocres », dirions-nous – demeure cette notion délicieusement apaisante qu’il n’existe pas de corrélation directe entre un rendement scolaire moyen et une carrière professionnelle moyenne. Il est vrai qu’il glisse parfois vers le bas, mais il est tout aussi vrai qu’il s’élève souvent vers le haut. C’est pour cette raison que nous entrevoyons parmi les futurs juges de la Cour suprême, membres du Parlement, ainsi que d’autres positions bénies des dieux, de nombreux membres de nos rangs qui ne sont pas aujourd’hui « en vedette » sur la liste de prix et distinctions, mais qui n’en sont pas moins en train de consolider de fermes assises relativement aux complexités de notre droit éminemment complexe.

Nous avons pris part aux activités sportives, aux travaux littéraires ainsi qu’aux divertissements universitaires. Il nous est arrivé de nous passionner pour nos études, mais la grande majorité du temps, nous en étions lassés, et nous tous, jusqu’au dernier, anticipons avec effroi l’inquiétante et ultime bataille que nous devrons livrer devant le Barreau de notre province, qui nous bousculera sans ménagement hors de nos rêves de suffisance et nous abandonnera face à la réalité, qui est que nous ne connaissons, en fin de compte, qu’une fraction, qu’une infime fraction du droit.

L’homme de Droit de McGill participe peu à la vie universitaire – moins que tout étudiant des autres facultés. Mais cela ne diminue pas d’un iota l’affection qu’il éprouve envers son alma mater, ou la loyauté qu’il lui voue, maintenant et pour l’éternité. Il serait peut-être exagéré d’appeler notre formation « l’école de la vie », mais celle-ci était certainement une excellente école, et nos résultats dans notre estimable travail en pratique, en témoigneront. Avec le corps professoral, nos rapports ont toujours été des plus amicaux et nous avons, tout un chacun, dès notre première rencontre avec le doyen, été convaincus de son bienveillant intérêt en notre bien-être individuel.

En bref, si nous saisissons notre chance au vol, et si nous nous efforçons d’être à la hauteur des idéaux que McGill nous a inculqués, ni notre alma mater ni nous-mêmes n’aurons jamais de motifs bien sérieux de nous lamenter dans le futur.

Source: McGill University Archives, Inconnu, L'histoire de la classe de droit de 1901, 1901, 131-132

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