L’Église catholique

[ Église Sainte-Marie, Pointe-de-L'Église ]

Église Sainte-Marie, Pointe-de-L'Église, Fabien Caron,

L’importance de l’Église catholique dans la vie des Acadiens au XIXe et au début du XXe siècle ne peut être exagérée. Lorsque les Acadiens sont revenus dans les Maritimes après la Déportation, ils se retrouvaient littéralement avec rien. De cette position désavantageuse, les Acadiens se sont tournés vers la seule institution qu’ils avaient espoir de contrôler un tant soit peu, l’Église catholique.

Bien qu’elle était plutôt embryonnaire avant la Déportation, l’institution de l’Église catholique a de tout temps fourni un appui moral et spirituel à la population. De plus, avant comme après la Déportation, l’Église propose des structures sociales, des directives de comportement et surtout elle assume l’enregistrement des naissances, des mariages et des décès. Elle fournit donc des services essentiels. Après 1850, le nombre de prêtres et de religieuses présents dans les Maritimes augmente, surtout en provenance du Québec et directement de France, et les communautés religieuses s’affairent à développer les institutions éducatives acadiennes de langue française.

Du temps de Jérôme, les prêtres ont une grande influence sur la population acadienne, notamment parce qu’ils sont souvent les seules personnes éduquées des petites communautés qu'ils desservent. De plus, l’Église est la seule institution de langue française, alors que les gouvernements des Provinces maritimes sont contrôlés par des Anglo-protestants. Pendant la période, ces derniers sont souvent franchement hostiles envers les Acadiens, mettant en place des politiques discriminatoires et assimilationnistes. L’influence des prêtres façonne la société acadienne. La doctrine et la tradition catholique imposent une série de rites, de comportements et de croyances desquels on ne doit pas dévier.

Ces règles de comportement indiquent, entre autres, qu’il faut jeûner certains jours, ne pas manger de viande le vendredi, faire son Carême et se confesser à Pâques et payer la dîme une fois par année. Elles déterminent aussi quels sont les rôles des hommes et des femmes, comment on doit se comporter dans son mariage et ses rapports sexuels. Ne pas être baptisé condamne l’âme d’une personne aux Limbes. Un couple qui vit ensemble hors du mariage est voué à l’enfer. Être enterré dans une terre non-consacrée ou sans funérailles garantit la damnation de l’âme du défunt. La vie des Acadiens qui côtoient Jérôme est ponctuée par les sacrements catholiques qui accompagnent les personnes de la naissance à la tombe

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En Nouvelle-Écosse, ce glissement vers une morale catholique stricte se fait avec l’encouragement de prêtres missionnaires venus de France. Le plus connu d’entre eux est Jean-Mandé Sigogne, arrivé à la Baie Sainte-Marie en 1799. Il est si choqué par le comportement des Acadiens – qui ont vécu sans l’influence d’un prêtre résident pendant plus de trente ans – qu’il rédige un « Règlement » comportant 28 règles qui établissent un système ad hoc de gouvernement local et de justice, visant à assurer un comportement correct et moral pour tous les habitants acadiens de la Baie et de la région du Cap Sable plus au Sud. Tous les chefs de familles de la région portent serment sur la Bible et jurent solennellement qu’ils obéiront à ces règles. Dès lors, la morale catholique est centrale dans la vie des Acadiens néo-écossais. Ils vivent dans une crainte constante de glisser dans le péché. En somme, si la société acadienne s’est reconstruite grâce aux institutions religieuses, elle a aussi été complètement transformée par la doctrine catholique qu’elle a embrassée au XIXe siècle.

L’importance de l’Église catholique ne s’arrête pas aux influences quotidiennes. Dès les années 1880, la reconstruction de la société acadienne étant largement complétée, les élites du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse faisant partie de la première génération éduquée d’Acadiens se sont efforcées de consolider la communauté dans tous les domaines. Les historiens appellent cette période, allant de 1880 à 1930, la Renaissance acadienne. Une « renaissance » est une période où une société ou communauté connaît un renouveau socioculturel. Dans le cas des Acadiens, la Renaissance fut un processus par lequel la société se complexifia et se modernisa : les Acadiens devinrent une nation. Tous les aspects de la société acadienne furent affectés et l’Église catholique se trouve encore au centre de ces changements.

Les élites acadiennes organisent dès les années 1880 d’énormes congrès rassemblant des représentants de tous les coins des Maritimes : les Conventions nationales acadiennes. Les deux premières CNA, en 1881 et 1884, ont pour objectifs principaux de donner au peuple acadien des symboles nationaux. Les symboles choisis seront foncièrement catholiques. Pour la fête nationale acadienne, on choisit la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, le 15 août. Comme hymne nationale, le choix s’arrête sur Ave Maris Stella, une ode en latin à l’étoile de Marie. Enfin, les élites acadiennes choisissent comme drapeau le tricolore français, mais comme c’est un drapeau révolutionnaire, ils le christianisent en y insérant l’étoile de Marie dans le pan bleu. Au même moment, les élites acadiennes commencèrent à exiger que la haute hiérarchie de l’Église catholique des Maritimes s’acadianise, c’est-à-dire que la proportion d’Acadiens qui la composent augmente. En effet, vers 1880, la tous les évêques des Maritimes sont de langue anglaise et trouvent bien ennuyantes les demandes des Acadiens francophones. Plusieurs préfèreraient qu’ils s’assimilent. Mais, les efforts des nationalistes acadiens ne sont pas vains et le premier évêque acadien est nommé en 1912.

Lectures supplémentaires :

Daigle, Jean, dir. L’Acadie des Maritimes. Moncton : Chair d’Études acadiennes/Université de Moncton, 1993.

Ross, Sally et J. Alphonse Deveau. Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse, hier et aujourd’hui. Halifax : Nimbus Press, 2001.