small flourish

Lettre du gouverneur et de l’intendant au Roi, 9 octobre 1734. Description de l’incendie du mois d’avril

131

Monseigneur,

M. hocquart a eu l’honneur de vous informer Le 6 May dernier par La voye de L’Isle Royale de L’incendie arrivé a Montréal Le 10 avril precédent Et que sur les 7 heures du soir le feu ayant pris a la Couverture de la Maison de La veuve Francheville située sur le bord du fleuve, gagna si promptement les

131v

Maisons voisisnes malgré Les Secours que l’on put y apporter, qu’en moins de 3 heures, il y en eut 46 de consumées dont l’hotel Dieu est du nombre. La pluspart de ces Maisons apartenoient aux meilleurs négociants; ils ont perdu presque généralement tous leurs meubles Effets et Marchandises. Le Sr Lestage qui estoit Le plus riche négociant de la Colonie passe pour avoir perdu 200 M [mille] #. Les autres Négociants ou propriétaires de maisons a proportion. Tels sont la veuve francheville, Les Srs Béréy, Radisson, Deschaillons, Joncaire, Périgny, Gamelin, Guillory et autres dont nous joignons icy la liste.

Cet accident est arrivé par la méchanceté

132

d’une Esclave négresse apartenant à La veuve Francheville qui par quelque mécontentement de sa Maitresse mis le feu de propos deliberé dans les Greniers de sa maison, qui s’enflamma si rapidement par un vent d’Oüest forcé que le feu s’estendit bien vite dans tout le quartier, et fit apréhender à tout le Peuple un incendie général. Tous les habitants furent tellement occupez de cette frayeur, que chacun loin d’aller promptement au secours des maisons qui bruloient ne pensa qu’a sauver sa propre maison Et ses effets, même dans les quartiers les plus Esloignez. Cependant par les bons ordres qui furent donnes a propos par Mrs de Beaucours, Michel, et les officiers de justice, Et avec Le secours

132v

des Troupes on a préservé le reste de la [ville]. La négresse a esté cependant arresté Et son proces instruit. Elle a esté condamné a faire amende honorable, a estre pendue Et son corps mort a estre jetté au feu, [C’est ?] ce qui a esté exécuté a Montreal Le 21 de Juin. Nous joignons L’arresté de sa condamnation ensuite duquel est Le procez verbal d’exécution.

Le Conseil superier. Par le mesme arrest a encore ordonné que ladite négresse seroit appliquée a la question ordinaire Et extraordinaire, pour avoir révélation de ses complices. Cette malheureuse négresse a déclaré aucun dans son interrogatoire a la question, et a seulement avoué son crime; c’est en conséquence et par L’avis

133

du Sr hocquart que le Sr Raimbault Lieutenant général a suspendu d’instruire un nouveau procez de Coutumace contre Le nommé Thibault, jusqu’a ce que l’on pust découvrir quelques preuves sufisantes contre ce Particulier. Le Procureur du Roy de la jurisdiction a fait jusqu’a présent d’inutiles recherches il n’y a que la fuite dudit Thibault, Et quelques liaisons de débauche avec cette négresse qui témoignent contre luy.

Vous observerez s’il vous plaist, Monseigneur, qu’il est dit par la sentence du premier juge dont le prononcé est dans l’arrest, qu’après la question donnée a ladite négresse, son interrogatoire seroit communiqué au Procureur du Roy

133v

pour estre procedé au jugement définitif de contumace; Mais comme le Procureur du Roy n’auroit pû en tirer aucune induction, Le Sr hocquart n’a pas crû devoir faire suporter de nouveaux frais au Domaine. Cet incendie a de nécessité constitué Sa Majesté en quelques dépens.

Nous joignons L’Estat de ce qui a esté fourni des Magasins du Roi a quelques Particuliers et Soldats En considération ou en remplacement de ce qu’ils ont perdu dans l’incendie. Vous connoitrez Monseigneur, par les apostilles mises a Cet Estat les raisons qui ont déterminé a faire ces remplacements.

L’hotel Dieu de Montréal a eû [besoin ?] de toutes nos attentions dans la situation

134

ou l’accident du feu l’a mis. M. hocquart a eü L'honneur de vous informer par la meme Lettre du 6 May dernier que tous les Bâtiments tant des Religieuses que des pauvres avoient esté consumes. Elles n’ont presqu rien Sauvé que quelques Matelas; tres peu de linge, et quelques drogues de leur apoticairerie. Le Dénuëment ou Elles se sont trouvées de toutes choses, et la nécessité d’un hôpital a Montréal ou se trouve Le plus grand nombre des Troupes nous ont déterminer sous vôtre bon plaisir à placer les Religieuses dans la maison du Sr De Montigny pres La Chapelle de Notre Dame de bonsecours, Et les malades dans la maison voisine ou

134v

ils sont secourus comme ils estoient précedemment à Lhotel Dieu. Nous nous sommes fait fort de votre approbation pour Le Loyer de ces deux Maisons, que nous avons reglé à 750 # pour le tout jusqu’a ce que L’hopital puisse estre restabli. Celuy des freres Charons n’est point en Estat de reçevoir les Religieuses par les réparations qu’il auroit fallu faire aux logements qu’elles occupérent apres Le premier incendie, et dont la dépense aurait monté beaucoup plus haut que deux ou trois années de Loyer des deux maisons outre L’incommodité a cause de l’éloignement et la difficulté d’y transporter les malades dans la saison rigoureuse de l’hyver, ou il [un mot illisible] arrive assez souvent que cet hôpital est

135

inaccessible.

Nous avons Examiné les divers moyens de parvenir au restablissement de L’hotel Dieu, Et apres avoir pris connoissance de l’estat ou se trouvent les affaires temporelles de cette communauté, et des charges qu’elle a à suporter, Nous avons l’honneur, Monseigneur, de vous en adresser un mémoire auquel sont joints differens Estats tant des revenus de La Communauté que de L’hôpital, De leurs dettes actives et passives, Et de c qui a esté brulé ou perdu dans l’incendie. Vous verrez, Monseigneur, par ces Estats que les revenus de cette maison ne permettent pas aux Religieuses, méme de tenter leur restablissement; Nous avons donc eü recours à la charité des Peuples de cette colonie

135v

et principalement de ceux du Gouvernement de Montréal qui affectionnent plus particulièrement cette Communauté. La pluspart à la vérité ont deja contribué à cette oëuvre. Les habitants des campagnes par nos insinuations et nos lettres circulaires aux Curés et aux officiers de milice, leur ont fourni une partie des bois de charpente nécessaires pour la couverture de leur Bâtiment. Elle ont trouvé aussy quelque petit secours d’argent chez les personnes les plus aisées [et] un peu de bléd, et de la part des ouvriers de Montréal quelques journées données gratuitement. Tous ces secours peuvent monter jusqu’aprésent a 3000 # ou environ, fond bien modique pour commencer l’ouvrage si nous n’avions pris sur nous de leur faire avancer par Le Trésorier de la Marine la somme de 5000 # qui ont esté employées en

136

planches, Madriers pour la couverture, journées d’ouvriers, et façons d’ouvrages pour cet hôpital; Et sur l’espérance qu’Elles ont dans vos bontes, Elles ont commencé des cet Esté a faire restablir une partie des Murs, faire asseoir des poutres, et couvrir partie du Batiment pour le garantir de l’injure du temps pendant L’hyver: Et C’est tout ce qu’Elles ont pû faire cette année. Elles ne seront point En Estat d’en Entreprendre davantage, si vous n’avez la bonté, Monseigneur, de leur obtenir de sa Majesté un secours convenable. Vous avez eû agréable de leur procurer une somme de 18000 # apres l’incendie de 1721, qui ne leur avoit pas fait, à beaucoup près, autant de Dommage que le dernier. Le premier incendie

136v

arriva En plein jour, En Esté, le jour de la feste Dieu ou tout le peuple de la ville et des Environs estoit rassemblé, qui ayda à Transporter la plus grande partie des meubles de l’hôpital, au contraire du dernier incendie, dont toutes les criconstances ont esté facheuses. Il arriva la nuit dans Le temps du dégel, que les rues sont impraticables, par un vent d’oüest forcé qui anima tellement le feu, que l’on ne pouvoit approcher du Bâtiment qui [s’est] consumé en moins d’une heure

.

M. Hocquart a encore esté dans la nécessité de faire fournir des Magasins du Roy différents ustenciles, et des remèdes pour le soulagement des soldats malades dans le nouvel hôpital, nous enjoignons

137

l’estat montant à 1060 # 19s.

Il a L’honneur de vous rendre Compte dans une dépesche particuliere de la situation ou s’est trouvé le Sr De Bérey commis du Trésorier de la Marine à Montréal par raport à sa caisse, et aux acquits de depense dont il estoit chargé.

Nous avions des le mois de mars Envoyé suivant la Coutume les ordres nécessaire à Montréal aux officiers de la jurisdiction, de dresser avec les députés de la ville le Rolle d’imposition de la taxe de 5000 # ordonnée sur les particuliers Et Communautes de cette ville pour les fortifications, Et ce Rolle Estoit sur le point d’estre arresté lors que l’incendie

137v

Est arrivé. Le Sr Raimbault sur différentes représentations qui luy furent faites nous demanda de nouveaux ordres. Comme nous devions nous rendre à Montreal dans le commencement de May, Nous n’avons pû à notre arrivée nous dispenser d’avoir quelque Egard [à?] ces représentations. Nous avons Examiné à Combien pouvoient monter les taxes des Particuliers incendies, nous avons trouvé qu’elles alloient a 1000 # dont nous les avons décharger, sous le plaisir de Sa Majesté, et jusqu’a ce qu’elle ayt autrement ordonné, Ensorte que le Rôlle de cette année a esté arresté à la somme de 4000 # Seulement, reparties

138

Sur les autres particuliers Et Comunautes de la ville. Nous esperons, Monseigneur, que vous aprouverer notre conduite, d’autant qu’apres l’incendie de 1721, Sa Majesté voulu bien faire la remise du total de l’imposition pendant 3 ans.

Nous joignons encore à cette Lettre L’ordonnance que M. hocquart a rendu de concert avec M. De Beauharnois pour remedier dans la suitte plus efficacement qu’on n’a fait jusques icy à Montréal aux accidents du feu. Elle renferme

138v

quelques dispositions particulieres qui n’estoient point comprises dans Les précédentes Reglements Et qui Estoient nécessaires. Il a esté recommandé aux juges de Police de tenir tres exactement la main a L’exécution..

Nous avons remarqué que les habitants a Québec se portent avec bien plus de vivacité Et d’adresse que Les habitants de Montréal a [remédier] à de pareils accidents, qui jusques a présent n’ont point eû de suitte D’ailleurs Les Magasins en [le?]

139

Chateau sont suffisamment pourvus d’ustenciles. Le Sr hocquart en a Cependant fait remettre au Bureau du Domaine Et chez un autre Particulier a la Basseville, pour servir dans l’occasion, il doit faire aussy un Réglement pour Quebec pareil, et dans le mesme esprit que celuy qu’il a fait pour Montréal, et au surplus vous pouvez penser, Monseigneur, que sous nos yeux La Police est mieux exercé que partout ailleurs en pareil cas. Nous sommes avec un tres profond respect Monseigneur.


Vos tres humbles et tres obéissants serviteurs
[signé] Beauharnois

hocquart

Source: France. Archives nationales, Fonds des Colonies, Série C11A, Correspondance générale, Canada, ol. 61, fol. 131-139, Beauharnois de La Boische, Charles et Gilles Hocquart, Lettre au Roi, 9 octobre 1734.

Retour à la page principale