Extrait de « Voyages » traitant des Iroquois du Saint-Laurent

[…] Nostre sauvage ne pouvoit entendre que quelques mots, d’autant que la langue Almouchiquoise, comme s’appelle ceste nation, diffère du tout de celle des Souriquois & Etechemins. Ces peuples demonstroient estre fort contens: leur chef estoit de bonne façon, jeune & bien dispost […] Ces sauvages se rasent le poil de dessus le crasne assez haut, & portent le reste fort longs, qu’ils peignent & tortillent par derrière en plusieurs façons fort proprement, avec des plumes qu’ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de noir & rouge comme les autres sauvages qu’avons veus. Ce sont gens disposts bien formez de leur corps: leurs armes sont piques, massues, arcs & flèches, au bout desquelles aucuns mettent la queue d’un poisson appelé Signoc, d’autres y accommodent des os, & d’autres en ont toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que n’avions encores veu. Au lieu de charuës ils ont un instrument de bois fort dur, faict en façon d’une besche. Ceste riviere s’appelle des habitans du pays Chouacoet.

[…] [Nous] vismes leur bleds qui sont bleds d’Inde, qu’ils font en jardinages, semant trois ou quatre grains en un lieu, après ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc quantité de terre: Puis à trois pieds delà en sement encore autant; & ainsi consecutivement. Parmy ce bled à chasque tourteau ils plantent 3 ou 4 febves du Bresil, qui viennent de diverses couleurs. Estans grandes elles s’entrelassent au tour dudict bled qui leve de la hauteur de cinq à six pieds: & tiennent le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y vismes force citrouilles, courges & petum, qu’ils cultivent aussi. Le bled d’Inde que nous y vismes pour lors estoit de deux pieds de haut, il y en avoit aussi de trois. Pour les febves elles commençoient à entrer en fleur, comme faisoyent les courges & citrouilles. Ils sement leur bled en May, & le recueillent en Septembre. Nous y vismes grande quantité de noix, qui sont petites, & ont plusieurs quartiers. Il n’y en avoit point encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessoubs, qui estoient de l’année précédente. Nous vismes aussi force vignes, ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de tresbon verjust, ce que n’avions point encores veu qu’en l’isle de Bacchus, distante d’icelle riviere prés de deux lieues. Leur demeure arrestée, le labourage, & les beaux arbres, nous firent juger que l’air y est plus tempéré & meilleur que celuy où nous yvernasmes ny que les autres lieux de la coste: Mais que je croye qu’il n’y face un peu de froit, bien que ce soit par la hauteur de 43 degrez 3 quarts de latitude, non. Les forests dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres fresnes & ormeaux: Dans les lieux aquatiques il y a quantité de saules. Les sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont une grande Cabanne entourée de pallissades, faictes d’assez gros arbres rengés les uns contre les autres, où ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre. Ils couvrent leurs cabannes d’escorce de chesnes. Ce lieu est fort plaisant & aussi aggreable que lieu que l’on puisse voir. La riviere est fort abondante en poisson, environnée de prairies. A l’entrée y a un islet capable d’y faire une bonne forteresse, où l’on seroit en seureté.

Adaptation du texte original ci-dessus
[…] Notre sauvage ne pouvait comprendre que quelques mots, d’autant plus que la langue des Almouchiquois [peuple du sud du Maine], comme s’appelle cette nation, diffère entièrement de celle des Souriquois [Mi’kmaq] et des Etechemins [Maliseet et Passamaquoddy]. Ces peuples démontraient qu’ils étaient très contents : leur chef était de belle apparence, jeune et en bonne santé. […] Ces sauvages se rasent les cheveux assez haut sur le crâne et portent le reste très long, qu’ils peignent et tortillent par derrière fort proprement de plusieurs façons, avec des plumes qu’ils attachent sur leur tête. Ils peignent leur visage en noir et rouge comme les autres sauvages que nous avons vus. Ce sont des gens en bonne santé, physiquement bien faits. Comme armes, ils ont des piques, des massues, des arcs et des flèches, au bout desquelles certains d’entre eux mettent la queue d’un poisson appelé signoc [limule], d’autres utilisent des os, alors que d’autres les font entièrement en bois. Ils labourent et cultivent la terre, pratiques que nous n’avions pas vues auparavant. Au lieu d’utiliser des charrues, ils se servent d’un instrument de bois fort dur en forme de bêche. Les habitants du pays appellent cette rivière Chouacoet.

[…] Nous vîmes leur blé qui est du blé d’Inde, qu’ils cultivent dans des jardins. Ils sèment trois ou quatre grains en un endroit, qu’ils recouvrent ensuite d’un peu de terre à l’aide d’écailles dudit signoc. Puis à trois pieds de là, ils en sèment encore autant et ainsi de suite. Au milieu de ce blé, ils plantent à chaque tourteau trois ou quatre fèves du Brésil, qui sont de diverses couleurs. En poussant, elles s’entrelacent autour dudit blé qui atteint une hauteur de cinq à six pieds; et ils débarrassent le champ de toute mauvaise herbe. Nous y vîmes beaucoup de citrouilles, de courges et de tabac, qu’ils cultivent aussi. Le blé d’Inde que nous y vîmes alors était de deux pieds de haut, il y en avait aussi de trois. Quant aux fèves, elles commençaient à fleurir, tout comme les courges et les citrouilles. Ils sèment leur blé en mai et le récoltent en septembre. Nous y vîmes une grande quantité de noix [hickory], qui sont petites et comprennent plusieurs quartiers. Il n’y en avait pas encore aux arbres, mais nous en trouvâmes un grand nombre par terre, qui dataient de l’année précédente. Nous vîmes aussi de nombreuses vignes, sur lesquelles poussaient de fort jolies baies, dont nous tirâmes un très bon verjus, ce que n’avions vu que sur l’île de Bacchus, qui se trouve à environ deux lieues de cette rivière. Le fait qu’ils y aient élu domicile, ainsi que les champs labourés et les beaux arbres nous firent juger que l’air y est plus tempéré et meilleur que celui où nous hivernâmes et qu’ailleurs sur la côte. Ce n’est pas que je croie qu’il ne fasse pas froid ici, bien que ce lieu soit à 43° 45’ de latitude. Les forêts à l’intérieur des terres sont clairsemées; néanmoins, les chênes, les hêtres, les frênes et les ormes y poussent en abondance. Dans les milieux humides, il y a beaucoup de saules. Les sauvages se tiennent toujours à cet endroit et ont une grande cabane entourée de palissades faites d’assez gros arbres rangés les uns contre les autres, où ils se retirent lorsque leurs ennemis viennent leur faire la guerre. Ils couvrent leurs cabanes d’écorce de chêne. Ce lieu est fort plaisant et parmi les plus agréables qui soient. La rivière regorge de poissons et est environnée de prairies. À l’embouchure, il y a un îlet qui pourrait faire une bonne forteresse où l’on serait en sûreté.

Le texte original de Samuel de Champlain est disponible à l’adresse
http://www.gutenberg.org/files/17258/17258-h/v3.htm (Chapitre VII, 52/200)

Source: Samuel de Champlain, "Extrait de « Voyages » traitant des Iroquois du Saint-Laurent" in The Works of Samuel de Champlain, vol. 1, H.P.Biggar (Toronto: Champlain Society, 1922), 325-330.

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