La saga des habitants d’Ere

« La saga d’Erbyggja », chapitre 39

Une nouvelle dispute

CE MÊME ÉTÉ, Thorleif Kimbi a négocié son passage avec des marchands qui préparaient leur bateau dans le fjord de Straum et leurs chefs l’ont invité à prendre ses repas avec eux. En ce temps-là, il n’était pas habituel que des marchands aient des cuisiniers à bord; la responsabilité du repas était décidée à tous les jours par tirage au sort parmi ceux qui partageaient une même table. Il y avait une réserve d’eau commune pour tout l’équipage dans un tonneau couvert près du mât. Des réserves additionnelles étaient gardées dans des barils et transvasées dans le tonneau lorsque celui-ci était vide.

Alors qu’ils étaient prêts à partir, un étranger est arrivé à Budarhamar. Il était grand, transportait un ballot sur son dos et il y avait quelque chose d’inhabituel à son sujet. Il a demandé à voir le capitaine et il a été amené à sa tente. L’étranger a déposé son bagage à l’entrée de la tente et est entré. Il a demandé au capitaine de le prendre à bord. Lorsqu’on lui a demandé son nom, il a dit qu’il se nommait Arnbjorn Asbrandsson de Kamb et qu’il voulait aller à l’étranger à la recherche de son frère, Bjorn, qui avait quitté le pays quelques années auparavant et de qui on n’avait jamais reçu de nouvelles depuis son arrivée au Danemark. Les marchands ont dit qu’ils avaient déjà couvert la cargaison et qu’ils ne voulaient pas l’ouvrir de nouveau. Arnbjorn a fait remarquer qu’il avait si peu de bagage qu’il pouvait être facilement entreposé sur le dessus. Il semblait urgent qu’il se rende outre-mer, alors ils l’ont embarqué. Comme il était seul et qu’il ne partageait pas ses repas avec les autres, on lui a donné une couchette à la proue. Son bagage consistait de trois cents aunes de tissus, douze peaux de moutons et de la nourriture pour le voyage. Arnbjorn était très habile et serviable; les marchands ont beaucoup apprécié sa compagnie.

Ils ont fait un bon voyage et une fois arrivés à Hordaland, ils ont navigué jusqu’à une île rocheuse et ont débarqué pour se faire à manger. C’était le tour de Thorleif de cuisiner et il devait faire du porridge. Arnbjorn était déjà à terre, se cuisinant du porridge dans la marmite que Thorleif devait utiliser après lui. Thorleif a débarqué et a dit à Arnbjorn de lui donner la marmite. Mais le porridge n’était pas encore prêt et Arnbjorn a continué à le brasser, refusant de bouger. Les Norvégiens à bord ont commencé à crier après Thorleif, lui disant de se dépêcher avec le repas. Ils disaient qu’il était comme les autres Islandais, beaucoup trop lent à accomplir quoi que ce soit. Thorleif s’est fâché, a saisi la marmite et l’a jetée par terre, renversant le porridge d’Arnbjorn. Mais, comme Thorleif s’apprêtait à partir, Arnbjorn l’a frappé au cou avec la louche qu’il tenait encore à la main. Il n’a pas frappé fort, mais la louche était encore chaude et Thorleif a été brûlé.

« Comme nous sommes les seuls Islandais ici, a dit Thorleif, ce ne serait pas bien de donner la chance aux Norvégiens de se moquer de nous et de nous séparer comme une paire de chiens enragés. Mais je m’en souviendrai lorsqu’on se reverra en Islande. » Arnbjorn n’a pas répondu.

Ils sont restés là plusieurs jours, attendant un vent favorable pour les amener sur le continent où ils ont débarqué la cargaison. Thorleif s’est trouvé un hébergement, mais Arnbjorn a embarqué sur un cargo qui partait pour le fjord d’Oslo d’où il a navigué jusqu’au Danemark pour commencer ses recherches afin de retrouver son frère Bjorn.

Source: Hermann Pálsson and Paul Edwards, trans., La saga des habitants d’Ere in Eyrbyggja Saga, (Toronto: University of Toronto, 1973), 126-127.

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