Au sujet des tristes évènements du 13 juin 1901

Par Peter F. McNally

L’impression tenace que toute la lumière n’a pas été faite dans cette histoire se dégage des tristes évènements du 13 juin 1901. Les contradictions et l’absence de preuves solides, auxquelles s’ajoute l’incapacité des membres de la famille et des domestiques – notamment de ceux se trouvant dans la maison au moment où les coups de feu ont été tirés – à expliquer certains détails comme la présence de révolvers, suggèrent toutes le manque d’honnêteté, si ce n’est la pure tromperie. Le fait que la police n’ait pas été alertée – elle a été informée du drame par voie indirecte et de nombreuses heures plus tard – renforce le sentiment que des informations pertinentes ont été dissimulées. Bien que le rapport du coroner ait attribué la responsabilité du drame à Clifford, le manque de détails de ce rapport a participé à créer cette atmosphère de suspicion apparue à l’époque et qui perdure encore aujourd’hui.

Le rapport officiel du coroner en avait laissé plusieurs sceptiques, comme en témoignent divers extraits d’articles de journaux parus à l’époque : « en l’absence de témoins oculaires, il est impossible de déterminer si le premier coup de feu tiré était d’origine accidentelle ou non. » ou « La cause des coups de feu mortels demeure un mystère dans les deux cas, car il semble qu’aucun survivant ne soit en mesure de révéler la véritable origine de ce double crime, matricide et suicide. »

Évidemment, la question à éclaircir dans toute affaire de meurtre, et tout particulièrement dans un cas où les faits pertinents sont inconnus ou obscurs, est celle du mobile. Pourquoi a-t-on commis ce meurtre? Deux motifs possibles viennent immédiatement à l’esprit : le premier est d’ordre financier, le second, psychologique.

Si l’on considère les motifs d’ordre financier, la première question à se poser est évidemment : à qui ce décès profite-t-il? Dans le cas de la mort simultanée de Clifford et de sa mère, les bénéficiaires étaient les quatre enfants survivants : Amy, Peter, John, et Harold. Dans un premier temps, ils ont touché l’héritage et ont bénéficié d’une réduction, de cinq à quatre, du nombre d’héritiers entre lesquels la fortune de leur mère devait être partagée. De plus, ils ont à nouveau été bénéficiaires lorsque six ans plus tard, le 30 janvier 1907, deux nonagénaires à l’esprit de compétition aiguisé, qui tentaient toutes deux de survivre à l’autre, rendaient l’âme le même jour. Il s’agissait de Jane Drummond, la deuxième épouse de leur grand-père, et de leur tante dévouée Grace Wood, la veuve de leur oncle Peter. Les décès de la belle-mère et de la belle-fille, qu’une seule année d’âge séparait, a permis la dispersion des fortunes de leurs maris respectifs – de loin les plus colossales de la famille Redpath. De la succession de John Redpath, les enfants survivants d’Ada Maria ont reçu en parts égales la somme qui avait été léguée à leur père, John James. De la succession de Grace Wood Redpath, les enfants de John James, en tant que descendants de la lignée de celui qui était désormais l’aîné masculin Redpath, ont reçu d’importants legs individuels. De plus, ils ont reçu le statut de légataires résiduels, ce qui les habilitait à hériter de toute somme restante une fois les autres héritiers ayant touché leur part respective. Toutes les successions héréditaires stipulaient qu’Amy devait être considérée comme célibataire et conserver le contrôle de son propre argent.

À la lumière de ces motifs financiers, convaincants, il serait satisfaisant de pouvoir imputer la responsabilité aux quatre enfants, mais aucune preuve de culpabilité ni de complicité ne les lie aux meurtres. En fait, la mort de causes naturelles de l’un d’entre eux, Peter Whiteford, un an après la mort de son frère et de sa mère, infirme largement cette hypothèse. Étant donné son propre état de santé précaire, pourquoi aurait-il comploté la mort d’un autre? Et pourquoi les frères et la sœur de Clifford n’auraient-ils pas simplement attendu que Peter rende l’âme au lieu de se donner le mal d’assassiner son frère Clifford? Qui plus est, la santé chancelante de leur mère suggérait qu’elle ne vivrait probablement plus tellement longtemps, même sans l’intervention de coups de feu.

Si, par conséquent, l’on accepte que les morts d’Ada Maria et de Jocelyn Clifford, aient été, comme l’affirmait le rapport du coroner, un meurtre suivi d’un suicide, commis sans l’intervention d’un tiers, une autre explication doit être avancée. Un état mental pathologique serait une explication probable. Ces évènements se sont produits six ans seulement après que le Dr Sigmund Freud, de Vienne, en Autriche, ne commence à publier les résultats de ses célèbres études sur l’univers psychosexuel du refoulement et de l’inconscient, qui avaient entraîné des changements radicaux dans la perception qu’avaient les gens d’eux-mêmes et des autres. Ces études allaient lui valoir le titre de père fondateur de la psychanalyse. Il semble fort probable que la maisonnée d’Ada Marie Redpath, déclarée invalide, et de sa famille orpheline de père, formée d’une fille et de quatre garçons, aurait constitué pour Freud une étude de cas complexe. Il est également probable qu’il aurait eu un diagnostic à émettre au sujet du rapport très étrange unissant Clifford et sa mère, qui s’est soldé par leur mort commune, survenue de façon si bizarre. Afin d’éclaircir le mystère de la tragédie Redpath, un examen approfondi de ses dimensions psychologiques est nécessaire.

Peter F. McNally
Professeur, École des sciences de l’information
Directeur, History of McGill Project
Université McGill
13 octobre 2007

Source: Peter F. McNally, Au sujet des tristes évènements du 13 juin 1901, 2007

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