Eric Brown, « L’art canadien à Paris », Canadian Forum, sept. 1927

La récente exposition d’art canadien à Paris a eu lieu à un moment opportun. Des rumeurs avaient circulé là-bas voulant que la phase la plus originale et intéressante de l’art moderne dans les deux Expositions de l’empire britannique ait été la phase canadienne et ces rumeurs s’étaient transformées en convictions grâce aux membres du ministère français des Beaux-arts qui l’avaient vue soit en vrai soit en reproduction. C’est pour cette raison qu’on a invité le Canada à exposer au Jeu de Paume, ce qui était donc une chance à ne pas manquer. On retrouve à Paris le public le plus critique et le plus capricieux au monde en matière d’art, et rares sont ceux qui y présentent une quelconque forme d’art sans éprouver une vive inquiétude. Le faire au Jeu de Paume est un projet encore plus risqué. Les galeries de la section étrangère du Luxembourg sont la mecque des nations au plus grand potentiel artistique et il n’est pas facile d’y accéder. L’honneur fait à l’art canadien en était donc d’autant plus grand.

L’exposition de Wembley, agrémentée de rétrospectives des œuvres de J. W. Morrice et Tom Thomson, était dûment installée et la critique était attendue comme d’habitude avec anxiété. Ce verdict, même s’il faisait l’effort minimum inévitable d’être drôle pour le bien de l’habitué du tabloïde, était en général uniforme et grandement généreux dans son appréciation.

On s’attendait bien sûr à ce que Morrice, qui semble être inextricablement lié à la tradition parisienne en tant que Français, remporte les honneurs, voire qu’il aille jusqu’à tous se les accaparer. Toutefois, l’intérêt s’est rapidement divisé avec la présence canadienne peut-être moins raffinée, mais plus imposante. Le groupe de Thomson est devenu l’un des points les plus populaires des galeries et il a mérité toutes les épithètes associées à l’intérêt, à l’originalité, à la nationalité, à l’individualité, sans parler du mot épatant.

Il va sans dire que les Français ont la ferme conviction que toutes les bonnes routes artistiques partent directement de Paris, peu importe où elles mènent; mais devant l’œuvre de Thomson et le mouvement de son époque, il était difficile de soutenir qu’ils émanaient de cette source et de cette origine.

Un autre problème des critiques était leur ignorance du pays qu’est le Canada, qui leur semblait bien plus complexe que tout ce qu’ils avaient pu voir à Londres et si elle n’a servi qu’à cela, l’exposition aura au moins dépeint la philosophie canadienne et le pays en soi d’une façon plus vivante que tout ce qui a été fait depuis la description du Saint-Laurent par Jacques Cartier. Un critique a exprimé cela assez adroitement quand il a dit que tous les paysages jamais peints en France faisaient sentir la présence de l’homme, mais que dans les paysages canadiens, on sentait son absence.

Il ne fait aucun doute que l’éclat cru de la lumière, les forts contrastes de couleur et l’immensité des formes ont causé un certain choc. La sincérité et la vitalité de leur traitement ont convaincu les gens ouverts d’esprit de leur authenticité, et les critiques les ont accueillis à l’unanimité avec une grande générosité. Plusieurs peintres ont voulu sauter dans le premier bateau à destination de Québec et il serait surprenant qu’au moins quelques-uns d’entre eux n’y fassent pas une petite visite.

La situation a été résumée à la clôture de l’exposition par plusieurs agents responsables du Ministère, qui ont déclaré que l’exposition canadienne avait reçu une meilleure presse que toute autre exposition étrangère depuis des années.

Un petit nombre de sculpture indienne en argilite, en pierre et en bois provenant de la côte ouest, prêtées par le Musée national d’Ottawa, faisait partie de l’exposition et a suscité un tel intérêt tant de la part des sculpteurs que des critiques qu’il serait surprenant de ne pas voir de totems ou de motifs de masques dans les prochains salons. L’un des critiques les plus remarquables et les plus lucides, M. Thiébault-Sisson, du journal Le Temps, est allé jusqu’à discerner dans le traitement ornemental de certains des paysages modernes le même élan indigène qui avait donné naissance aux motifs décoratifs et hautement stylisés des Indiens de la C.-B. Il s’agit d’une question intéressante qui risque de faire l’objet de débats dans les ateliers et au coin du feu dans les clubs l’hiver prochain.

L’art canadien s’est fait connaître à l’étranger. Il est reconnu en tant qu’expression naturelle pleine de vigueur dotée, comme ce devrait être le cas pour tous les arts, des caractéristiques de son pays, tant mentales que physiques. Vu les honneurs qu’il a reçus en Angleterre, en France et aux États-Unis, on peut imaginer qu’il sera apprécié sous peu à sa juste valeur dans son propre pays. Les signes d’un intérêt croissant sont visibles de part et d’autre, et si la douleur précédant la renommée est parfois aiguë, elle est aussi l’un des signes de qualité les plus sûrs, comme ce fut le cas pour tous les arts, anciens comme modernes.

Source: Eric Brown, "L’art canadien à Paris," The Canadian Forum 8 (31 septembre 1927): 360-1

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