Meurtre et mystère à la maison Redpath

Par Amy Linda Redpath

Que s’est-il vraiment passé le jeudi 13 juin 1901? M’appuyant sur les preuves dont nous disposons, je soutiens que c’est Clifford, alors en proie à une vive agitation, qui a défié sa mère, lui a tiré une balle derrière la tête, et a ensuite retourné l’arme contre lui-même, signant ainsi un meurtre-suicide. Les motifs de Clifford, cependant, demeurent nimbés de mystère.

Par cette discussion au sujet des décès d’Ada et de Clifford, je souhaite arriver à jeter un éclairage plausible sur cet incident tragique. Il s’agit d’un évènement au cœur duquel les merveilles et les complexités de la nature humaine s’affrontent.

La famille Redpath ne s’est jamais trop hasardée en conjectures. Ils ont érigé un infranchissable mur de silence, dont un seul témoignage anonyme a transpiré :

Clifford est entré en trombe et a monté les escaliers quatre à quatre, se précipitant dans la chambre de sa mère. Ce faisant, il est passé tout près d’Amy et de Peter, qui étaient au salon, sans les saluer. Les bribes d’une vive altercation entre Clifford et sa mère ont été entendues. Deux coups de feu ont retenti. Peter, talonné par Rosa Shallow, une domestique, a gravi les escaliers et a trouvé sa mère et son frère gisant sur le plancher à quelques pieds de distance l’un de l’autre, mortellement blessés. (Un membre anonyme de la famille, années 1970, témoignage basé sur une conversation antérieure avec Amy Redpath)

La famille Redpath n’aspirait pas à occuper une position sociale en vue, et ne désirait pas faire parler d’elle. Les problèmes personnels, les sentiments et les états d’âme, dont on pouvait discuter ailleurs, dans d’autres milieux sociaux ou économiques, n’étaient jamais abordés chez les Redpath. Les problèmes familiaux n’étaient jamais ouvertement soulevés.

Quoi qu’il en soit, Amy et ses frères étaient avenants et chaleureux à l’intérieur du cercle familial. En tant qu’aînée et seule fille de la famille, Amy prenaient ses responsabilités au sérieux. Depuis de nombreuses années, la santé de sa mère Ada était mauvaise et c’était elle qui s’occupait des tâches de la maison, embauchant les domestiques et prodiguant des conseils financiers à ses jeunes frères. L’exception était Harold. En 1901, la famille éprouvait à la fois une grande inquiétude et une grande fierté à l’égard de Reggie, qui, l’année précédente, s’était enrôlé dans les Mounted Rifles, en Alberta. Il s’était ensuite rendu en Afrique du Sud, avec son régiment et les chevaux, afin d’appuyer les forces britanniques engagées dans la Guerre des Boer. Les efforts déployés par Peter afin de surmonter la tuberculose dont il était atteint sapaient la majeure partie de ses énergies durant les dernières années de sa vie.

Bien que les cinq enfants aient tous appuyé et épaulé leur mère, Peter, Reggie et Harold étaient souvent pris par d’autres occupations. Ada était devenue largement dépendante d'Amy et de Clifford, qui pour sa part était très proche de sa mère. La mauvaise santé d’Ada avait débuté bien avant son veuvage. Son mari, John James Redpath, mentionnait en 1880, dans une lettre envoyée à ses enfants de New York, que leur mère avait dû prendre une journée de repos afin de se remettre d’une promenade dans le parc en voiture à chevaux. Les maux dont était affligée Ada n’ont jamais été diagnostiqués de façon claire, mais si l’on se fie à ses symptômes, il est probable qu’elle souffrait de polyarthrite rhumatoïde ou de quelque autre maladie auto-immune. Dans des lettres adressées à Clifford, Amy, Reggie et Peter, maintenant en ma possession, Ada fait souvent allusion à sa mauvaise vue, à ses douleurs et à sa névralgie. (Quelques-unes de ces lettres sont reproduites dans ce site).

Des rumeurs familiales veulent que Clifford ait eu une aventure avec l’une des domestiques de la maison. Bien que de telles amourettes aient été monnaie courante à l’époque, une aventure de ce genre aurait pu gravement bouleverser l’équilibre émotif d’Ada. Des membres de la famille ont aussi suggéré que Clifford s’était procuré deux révolvers en ville, ce qui contredirait le rapport du coroner affirmant qu’aucun revolver n’avait été retrouvé dans la chambre. Il est possible que Clifford ait été dans une agitation telle qu’il n’avait plus conscience de ses actes.

Quelle était la portée de l’influence qu’exerçait Ada sur Clifford? La cousine de Clifford, Helen Redpath, qui était entrée dans l’Ordre de Sainte Brigitte de Suède, en Angleterre, avait rédigé un vibrant poème à la mémoire de Clifford. Le poème a été accroché à un mur, sous un portrait de Clifford, dans l’abbaye de Syon, dans le Devonshire, jusqu’à ce qu’il disparaisse à la mort d’Helen. Il n’y avait là aucun hommage à Ada, ni aucune autre célébration de sa mémoire ailleurs.

Les funérailles d’Ada et de Clifford se sont déroulées en privé. Certains éléments semblent indiquer que des lettres de condoléances ont pu être détruites. Amy affirme, par exemple, dans une lettre rédigée deux mois après l’incident qu’elle s’est occupée de déchirer de vieilles lettres. Des lettres toujours existantes faisant allusion à la tragédie, peu, voire aucune, ne mentionnent Ada. Ceci contraste fortement avec l’immense sympathie et les nombreux éloges funèbres exprimés à l’endroit de Clifford. Même si c’était Clifford qui avait tiré, Amy et ses frères accusaient-ils en silence leur mère? Estimaient-ils que les attentes qu’elle avait envers Clifford et l’attention qu’elle lui réclamait avaient justifié les gestes posés par ce dernier?

Source: Amy Linda Redpath, Meurtres et mystères à la maison Redpath, 2007

Retour à la page principale