LE PÉNITENCIER DE KINGSTON.

La vie et l’environnement de sept cent détenus.

LES COULOIRS LUGUBRES DU DORTOIR.

Les détenus au réfectoire et de quoi ils se nourrissent.

LA QUALITÉ DE L’ALIMENTATION DES DÉTENUS.

Exercices après le dîner, salle de classe et pratique de chorale.

LES DÉTENUS AU TRAVAIL.

(Par notre envoyé spécial.)

[Pour le Globe]

KINGSTON, le 15 juillet.

L’apparence des bâtiments pénitentiaires de Kingston n’est pas aussi lugubre que dans l’imagination populaire. Les longs murs, dont deux descendent jusqu’à la rive et les autres font face au lac et au port de Portsmouth, ont un air gai et élégant. La maçonnerie et l’architecture sont de bon goût, et la pierre de couleur claire produit un effet agréable. La hauteur des murs, et les tours de guet qui les surmontent ça et là, sont les seuls éléments qui trahissent la nature pénitentiaire de l’établissement; mais ces éléments ne sont pas associés spécialement aux pénitenciers, et n’affectent en rien l’aspect général agréable des lieux.

[ Prisoners Eating at the Kingston Penitentiary, 1875, Prisoners at Kingston Penitentiary ate breakfast and lunch together, but ate supper by themselves in their cells.  This illustration is a detail of a larger picture that originally appeared in La grande porte d’entrée, avec ses serrures et ses barreaux, et les gardes qui se tiennent devant elle, clefs à la main, sont les premiers signes qui laissent deviner que la vie à l’intérieur est lugubre. De l’autre côté du portail, le chemin de gravier sinueux bien entretenu, le gazon et le jardin de fleurs exhibant avec gloire le cramoisi, le bleu et le vert et embaumant l’air de parfums, ne réussissent pas à détourner le visiteur de la vue des fenêtres munies de barreaux à chaque étage en face de lui, et qui lui font comprendre jusqu’à un certain point ce que ressent un homme menotté qui franchit le portail lugubre et entend les charnières grincer derrière lui et les serrures lui souhaiter tristement la bienvenue dans ce réceptacle de vies anéanties. Les grands corridors avec les chambres des officiers de chaque côté sont de bon goût, mais l’atmosphère sinistre est accrue par la présence occasionnelle de détenus dans leur tenue, tantôt brune ou noire, tantôt jaune ou blanche.

LES CELLULES DU DORTOIR.

[…] Les cellules, qui n’ont environ que deux pieds et demi de largeur, contiennent une couche basse, qui remplit le fond de la cellule d’un mur à l’autre et ne laisse au dormeur que peu d’espace pour se retourner lors de ses sombres pensées nocturnes. À la tête de la couche se trouve une petite ouverture munie de barreaux sur le rebord de laquelle est placée une lampe qui reste allumée jusqu’à 9 h du soir, alors que tout le bâtiment est plongé dans la noirceur et qu’il n’y a aucun son, sauf le pas furtif du gardien qui arpente de long en large les corridors ou qui, secrètement, à travers les trous pratiqués dans les murs en face de chaque cellule, observe les mouvements de tout prisonnier qu’il juge bon de surveiller. Lorsque les prisonniers se retirent le soir venu, chaque rangée de cellules est verrouillée d’un seul geste – une amélioration inventée par un ancien détenu. […]

L’APPARENCE DES PRISONNIERS.

Il n’était pas midi trente que les prisonniers avaient terminé leur repas et restaient assis tranquillement en attendant les ordres du directeur adjoint. Cela ressemblait à une assemblée étrange. Près de sept cent meurtriers, voleurs et desperados du pays s’y trouvaient réunis. Des têtes grisonnantes surgissaient ça et là; les hommes d’âge moyen étaient présents en nombre considérable; mais la majorité était composée d’hommes relativement jeunes, plusieurs encore adolescents. Mines sombres, menaçantes et regards provocateurs dans lesquels sommeillait le feu d’une colère terrible, visages pâles et sans expression, mornes, hébétés et sensuels étaient ceux qu’on remarquait en premier, mais il y avait aussi les visages, tristes et songeurs, de jeunes hommes qui avaient de toute évidence beaucoup de remords sincères en pensant à « ce qui aurait pu être ». Vêtus d’autre chose que de la triste tenue deux tons fournie par la prison, plusieurs d’entre eux auraient pu passer pour des étudiants en théologie, alors qu’entièrement [illisible] toute l’assemblée n’avait pas l’air plus [illisible] que certains groupes de jeunes hommes qui se réunissent dans nos parcs et nos aires de repos lors des jours fériés. Des sept cent détenus, cent étaient des meurtriers, alors que la majorité des autres était composée de faussaires et de voleurs.

OCCUPATIONS D’APRÈS-MIDI.

[…] puisque c’était jour de rasage, une douzaine de détenus barbiers se sont avancés et on leur a fourni des rasoirs. Ensuite, les autres prisonniers ont fait la file pour prendre place à tour de rôle sur les chaises. Pendant ce temps, les chorales catholique et épiscopalienne se sont retirées dans leur chapelle respective pour leur demi-heure de pratique de chant, et une classe de prisonniers sans instruction se sont dirigés à l’étage supérieur vers leur salle de classe pour une demi-heure d’étude. Votre correspondant les a suivis jusque dans la salle de classe pour les trouver en train de lire attentivement leur premier, deuxième ou troisième livre, ou d’emprunter des volumes de la bibliothèque, dont l’existence accentue nettement le contraste entre la vie de prisonnier du temps de Howard et le temps présent. Dans la spacieuse chapelle épiscopale, une chorale de plus de douze détenus, dont trois nègres, pratiquaient des cantiques, alors qu’un autre détenu jouait de l’orgue. Les voix étaient claires et mélodieuses, et gardaient la mesure avec une précision remarquable.

À CHAQUE PRISONNIER SON MÉTIER.

À une heure de l’après-midi les prisonniers sont sortis en file dans la cour, d’où, après avoir été fouillés, ils ont été accompagnés jusque dans leurs ateliers respectifs. Ces ateliers constituent la caractéristique la plus intéressante du pénitencier, et sont amplement dignes de mention. Une grande fonderie où sont fabriqués la quincaillerie utilisée en menuiserie et les moulages destinés aux bâtiments gouvernementaux, un atelier de menuiserie et une usine de meubles, un atelier de couture, une boutique de cordonnerie et un centre de taillage de pierre offrent de l’emploi à presque tous les prisonniers. Faire de l’étoupe et casser de la pierre en intéressent quelques autres. Le choix d’un métier dépend largement de chaque prisonnier mais, bien sûr, chaque choix doit être approuvé par les responsables de la prison avant que le détenu puisse y accéder. Dans les salles de lavage et de séchage adjacentes à la prison, on utilise les toutes dernières innovations, ce que l’on peut aussi affirmer de tous les services de l’institution. […]

Source: Unkown, "Kingston Penitentiary, The Life and Surroundings of Seven Hundred Convicts," The Globe, juillet 16, 1881.

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