Thorhall le Chasseur dans « La saga d’Eirik le Rouge »

Chapitre 8

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[…] Thorhall, qui était nommé le Chasseur. Pendant des années, il avait accompagné Eirik lors de ses parties de chasse estivales et on lui donnait plusieurs tâches. Thorhall était un homme corpulent, à la peau foncée et aux traits grossiers; il avançait en âge et il devenait difficile à contrôler. C’était un homme silencieux, qui n’était pas porté sur la conversation, retors et insultant, et qui faisait normalement tout ce qu’il pouvait pour fomenter le trouble. Il s’était peu intéressé aux questions de la foi depuis son arrivée au Groenland. Thorhall n’était pas un homme populaire, mais il était le confident d’Eirik depuis longtemps. Il faisait partie de l’équipage de Thorvald et de Thorvard, car il possédait de grandes connaissances des régions inhabitées.

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[…] Après cela, ils ont prié Dieu de leur envoyer quelque chose à manger, mais la réponse tardait à venir et leur besoin était pressant. Thorhall a disparu et les hommes sont partis à sa recherche. Ils l’ont cherché pendant trois jours et, le quatrième, Karlsefni et Bjarni l’ont trouvé au bord d’un précipice. Il était étendu, regardant le ciel fixement, bouche bée et narines dilatées; il se griffait, se pinçait et marmonnait.

Ils lui ont demandé ce qu’il faisait là et il a répondu que cela ne les regardait pas. Il a dit qu’ils n’avaient pas besoin d’être si surpris et que, jusqu’à maintenant, il s’en était très bien sorti

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sans leurs conseils. Ils lui ont dit de revenir avec eux et c’est ce qu’il a fait.

Peu après, ils ont trouvé une baleine échouée sur une plage et se sont précipités pour la dépecer, même s’ils ne reconnaissaient pas cette espèce. Karlsefni connaissait bien les baleines, mais même lui ne l’a pas reconnue. Les cuisiniers ont fait cuire la viande, ils en ont mangé et tout le monde a été malade.

Thorhall est ensuite venu et a dit : « Est-ce que le vieux Barberousse a été plus utile que votre Christ? C’était le paiement que j’ai reçu pour le poème que j’ai composé pour Thor, mon gardien, qui me fait rarement faux bond. »

En entendant cela, plus personne ne voulait manger cette viande de baleine; ils l’ont jetée du haut de la falaise et se sont abandonnés à la merci de Dieu. Le temps s’est amélioré et ils ont pu aller pêcher et, à partir ce de moment, ils ont eu amplement de victuailles.

[…]

Chapitre 9

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Ils ont alors commencé à planifier la suite de leur périple. Thorhall voulait se diriger vers le nord, en haut de Furdustrandir, et contourner Kjalarnes pour voir le Vinland. […] Thorhall a alors préparé son bateau, restant près de l’île, et il n’avait que neuf hommes avec lui. […]Un jour, alors que Thorhall transportait de l’eau sur le bateau, il en a bu et a récité ces vers :

Avec la promesse de bonnes boissons
les arbres de guerre m’ont enjôlé,
m’exhortant à poursuivre mon voyage
vers ces rivages déserts.
Moi, un chêne de guerre pour le dieu casqué,
me voilà maintenant avec un seau;
pourtant, ce n’est pas du vin que je bois
lorsque je m’abaisse à la source.

arbres de guerre : guerriers
chêne de guerre : guerrier
dieu casqué : Odin

[...]

Avant de hisser la voile, Thorhall a récité ces vers :

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Nous reviendrons là où
nos compatriotes nous attendent,
nous guiderons notre cheval des célestes sables
pour explorer les vastes plaines s’offrant à notre bateau.
Laissez les porteurs d’épées fougueuses
glorifier la terre, inlassables,
coloniser les plages miraculeuses
et festoyer de baleine.

célestes sables : la mer
le cheval des célestes sables : le bateau
les plaines s’offrant à notre bateau : les mers
porteurs d’épées fougueuses : les guerriers

Ils se sont alors séparés; Thorhall et son équipage ont navigué vers le nord, plus loin que Furdustrandir et Kjalarnes; de là, ils ont essayé de naviguer vers l’ouest. Mais ils ont essuyé la tempête et se sont échoués en Irlande où ils ont été battus et mis en esclavage. Thorhall y est mort.

Source: Keneva Kunz, trans., "Thorhall le Chasseur dans « La saga d’Eirik le Rouge » " in The Sagas of Icelanders: A Selection, preface by Jane Smiley, introduction by Robert Kellogg, (New York, London, Victoria (Australia), Toronto: The Penguin Group, 2000), 653-674. Notes:

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