L’énigme que représente le climat américain à l’ère de la colonisation

[…]l’information provenait des Français, qui sont arrivés parmi les premiers et qui ont récolté et enregistré les données de façon systématique. Les promoteurs anglais, tels que Richard Hakluyt, voulaient apprendre leurs méthodes et désiraient que leurs écrits soient publiés en langue anglaise. 29 Jacques Cartier a exploré le fleuve Saint-Laurent dans les années 1530. La température était plus froide que prévu. En mai, dans les eaux portuaires, il a découvert de la glace flottante, d’une épaisseur pouvant aller jusqu’à environ 2 mètres de profondeur (six pieds) et quatre pieds de neige de la mi-novembre jusqu’à la mi-avril. « Sur tous les bateaux, la glace était plus épaisse que la largeur d’une main, et ce, autant au-dessus des écoutilles que dessous. » Mais la chaleur de juillet était plus intense qu’en Espagne. Malgré tout, Cartier est revenu en 1541 avec un groupe de colons pour tenter de fonder une colonie près de Québec. 30

De 1604 à 1607, Samuel de Champlain a voyagé dans les régions maintenant connues comme la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-Écosse. Le premier hiver qu’il a passé dans le Maine a été difficile avec une couche de neige persistante. Il a écrit dans son rapport que les colons devaient s’attendre à six mois d’hiver commençant en octobre; le printemps tardait jusqu’en mai. Le froid, beaucoup plus intense qu’en France, était si ardu que tout gelait à l’exception du vin espagnol. « Le cidre était donné à la livre. » La différence entre le climat qu’il y avait trouvé et celui qu’il pensait y trouver le déconcertait. Tout comme Cartier, Champlain a trouvé les étés chauds. Les Indiens rencontrés au Cape Cod l’ont convaincu que les hivers à cet endroit y étaient plus doux. Les deux hivers suivants, passés en Nouvelle-Écosse, ont effectivement été plus agréables que le premier; Champlain s’est demandé si le premier hiver n’avait pas été un simple phénomène local. Marc Lescarbot a également parlé de l’hiver doux qu’il avait connu, mais il a dit être au courant de la rigueur climatique d’autres hivers. […]

Au cours de la même période, des comptes rendus mitigés furent rapportés par les expéditions anglaises en Nouvelle-Angleterre et dans les régions plus au nord. Plusieurs personnes à qui la chaleur du sud faisait peur, croyaient que la Nouvelle-Angleterre était le meilleur endroit pour les colons anglais, la seule vraie terre jumelle de l’Angleterre. Un des premiers rapports de Bartholomew Gosnold, qui a voyagé le long de la côte et s’est installé à Martha's Vineyard et au Cape Cod à l’été 1602, assurait ses lecteurs que la température de la Nouvelle-Angleterre en hiver était plus chaude que celle de l’Angleterre, même si elle était plus froide que celle des pays situés à des latitudes européennes comparables. Les saisons étaient quelque peu déplacées dans le temps : le printemps était tardif mais l’été durait plus longtemps en Amérique qu’en Angleterre. […]32[…]

En 1607, deux colonies de Virginie voyaient le jour : les marchands de l’ouest, la Virginia Company, fondaient Sagadahoc dans le Maine et la London Company, Jamestown. Sagadahoc n’a survécu qu’une seule année, en partie à cause d’une mauvaise gestion dans la colonie et de revers en Angleterre, mais aussi à cause de l’hiver « extrêmement froid et long ». Raleigh Gilbert, qui était dans le Maine, en parle comme de « cet hiver exceptionnel (capable de geler le cœur d’une plantation) ». Les rapports soulignent que cet hiver avait également été particulièrement rigoureux en Europe et que des bateaux avaient été construits sur la Tamise gelée. L’Amérique du Nord a cependant gardé la réputation d’un climat inhospitalier. Comme le rappelait Sir Ferdinando Gorges en 1622, « tous nos espoirs sont morts gelés », et il s’est passé plus d’une décennie avant que quiconque n’essaie d’établir une colonie en Nouvelle-Angleterre. John Smith a dit, qu’après 1608, le pays avait été « considéré comme un désert froid, aride, montagneux et rocailleux ». 33

Malgré l’échec de Sagadahoc, Sir Ferdinando, dans Briefe Relation of the Discovery and Plantation of New England (Un court énoncé sur la découverte et la plantation de la Nouvelle-Angleterre (1622), soutient que la latitude de la Nouvelle-Angleterre se trouvait au centre d’une zone tempérée, le « Golden Meane (juste milieu) », comparable à « Constantinople et Rome, les dames de ce monde, et à l’Italie et à la France, les jardins d’Europe ». Il écrit que le climat s’était avéré, « logiquement et par expérience », tempéré, délicat et sain. Dans Description of New England (Description de la Nouvelle-Angleterre), John Smith, parlant de son expédition de 1614 qui a duré trois mois, a affirmé que la température de la Nouvelle-Angleterre était plus froide en hiver et en été que dans les latitudes européennes et asiatiques comparables.

Dans les années 1620, les colons de la Nouvelle-Angleterre ont exprimé incertitude et ahurissement quant à la température. Les colons de Plymouth ont rapporté du gel et de la neige en novembre et en décembre lors de leur premier hiver, celui de 1620-1621; ils savaient que la région était plus chaude et plus froide que l’Angleterre, bien qu’ils n’en avaient pas fait l’expérience. Un rapport des dirigeants du groupe des Pèlerins a confirmé que les hivers étaient plus froids mais qu’ils en ignoraient la raison. Le froid était quelque peu atténué, ont-ils dit, par les jours d’hiver plus longs. Christopher Levett, un capitaine de vaisseau arrivé en Nouvelle-Angleterre en 1624 et qui y a passé plusieurs mois, croyait que le climat était aussi bon que celui de l’Angleterre, mais il ne comprenait pas pourquoi il n’était pas plus clément. 35

Au fur et à mesure que les colonies s’installaient définitivement, les écrits provenant de la Nouvelle-Angleterre ont commencé à traiter des régimes climatiques plutôt que de fournir des rapports saisonniers. William Wood a écrit que l’hiver était froid mais ne durait pas plus de dix semaines. Il a cité les Indiens qui disaient qu’à tous les dix ans, il y avait « un hiver court ou inexistant », ce qui a été confirmé par sa propre expérience en 1629-1630, un hiver doux, et dans ses rapports de l’hiver 1620-1621, qui a aussi été doux après une courte période de froid au début de la saison. Wood a aussi affirmé sans équivoque que les étés étaient chauds. […] Francis Higginson a fait un rapport élogieux sur les possibilités offertes en Nouvelle-Angleterre, mais il hésitait à révéler la vérité au sujet de la température. Il a dit que le climat de la Nouvelle-Angleterre était plus froid que celui de l’Angleterre en janvier et en février et plus chaud en juillet et août. Les deux mois de neige auxquels il fallait s’attendre en hiver faisaient partie de la liste des désagréments du pays. […] Finalement, John Winthrop a stoïquement inscrit dans son journal de l’information sur la température, notant en particulier les hivers difficiles et les aberrations climatiques en été. Ses données, qui couvrent une période de dix-neuf années de 1630 à 1649, ont pavé le chemin pour une réelle analyse des régimes climatiques du Massachusetts. Les hivers de 1632-1633 et 1637-1638 ont été rigoureux et celui de 1641-1642 a été pire encore. La baie a été gelée de la mi-janvier à la fin de février et les gens pouvaient la traverser en chariots. […] Cet hiver rigoureux a été suivi d’un été froid et pluvieux au cours duquel des récoltes ont pourri dans les champs. L’hiver 1645-1646 a été encore plus froid. 37[…]

29Quinn. England and the Discovery of America. 315: and Douglas R. McManis. Europran Impressions of the New England Coast, 1497-1620. University of Chicago Department of (Geography. Research Paper no. 139 (Chicago. 1972). 59-60. 137.

30Carticr. A Shorte and Briefe Narration of the Two Navigations and Discoveries to the Northwest Partes Called Newe France, trans. John Florio (London. 1580). 1-3. 18. 60. 66-67: John Alphonse "Here Followeth the Course from Belle Isle, Carpont. and the Grand Bav in Newfoundland up the River of Canada" (1542). in Richard Hakluyt,. The Principal Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation, 12 vols. (1598-1600; reprint edn.. Glasgow. 1904). 8: 278: Sir Francis Roberval. The Voyage of John Francis de la Roche. Knight, Lord of Roberval, to the Countries of Canada. Saguenai. and Hochelaga (1542). ibid.. 286; and Carl O. Sauer. Sixteenth-Century North America: The Land and the People as Seen by Europeans (Berkeley and Los Angeles. 197 I). 278.

32 Gosnold, “Letter to His Father” (1602), in Purchas, Hakluytus Posthumous: or, Purchas His Pilgrimes, 18: 301. French explorers tried to avoid this mistake: see Champlain, Voyages of the Sieur de Champlain, 307, 352-53; and McManis, European Impressions of the New England Coast, 74.

33 Charles Edward Banks. "New Documents Relating to the Popham Expedition. 1607." Proceedings of the American Antiquarian Society. 39 (1929), 318. 321. 324. 327. 330. 334: Gilbert, as quoted in Purchas, Hakiuytus Posthumous: or, Purchas His Pilgrimes. 19: 296; Gorges. Discovery and Plantation of New England. 206-07. and A Brief Narration of the Originall Undertakings of the Advancement of Plantations into the Parts of America (1658). in Baxter. Gorges and His Province of Maine, 2: 16-17; Strachey. Historie of Travel into Virginia Britania. 173: and Smith. Generall Historie, 696. For the complex reasons for the colony's failure, see, in addition, Gorges to Sir Robert Cecil, in Baxter, Gorges and His Province of Maine, 3: 161; Richard A. Preston. Gorges of Plymouth Fort (Toronto, 1953), 141—50; and McManis, European Impressions of the New England Coast, 106-08. 137.

35Gosnold. "Letter to His Father." 301; William Bradford and Edward Winslow. A Relation or Journal of the English Plantation Setled at Plimoth in New England, known as Mourt's Relation (London. 1622), 8-21. 25—30. 62: William Bradford. Of Plymouth Plantation, 1620-1647. ed. Samuel Eliot Morison (New York. 1953). 70-71; Edward Winslow, Good Sewn from Sew England (London, 1624). 62; Smith. Description of Sew England. 198; James Rosier. A True Relation of the State of Virginia (London, 1605), sig. E2: Levctl. A Vmtage into Sew England (London. 162-1). 23. 26; and John Winthrop to John Winthrop. Jr., J ulv 23. 1630. in Everett Emerson. Utters from Sew England: The Massachusetts Bay Colons. 1629-16)8 (Amherst. Mass.. 1976). 50-51.

37 John Winthrop. Winthrop's Journal: History of New England.1630-1649. ed. James Kendall Hosmer, 2 vols. (New York. 1908). I: 55-56.58.61.69.73-74.89,95.98. 114. 119.130.137.138.143.146. 157.165-67.223. 258. 269-72. 278-79. 291. 296. 306-07. and 2: 14. 44-45. 54-55. 57. 67. 81-82. 91-92. 126. 155-56. 224. 263-64. 267. 286. 328. 341. 346: Edmund Brown to Sir Simonds D'Ewes. September 7, 1638. in Emerson. Letters from New England, 228: Parry. Climatic Change, Agriculture, and Settlement. 163; and Ludlum. Early American Winters. 1604-1820. (Boston, 1966), 12.

Source: Karen Ordahl Kupperman, "L’énigme que représente le climat américain à l’ère de la colonisation," American Historical Review 87 (1982): 1262-1289.

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