UN RAPPORT SUR L’INVESTIGATION DE FOLLINS POND

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L’endroit exact du Vinland de Lief Ericsson n’a jamais été trouvé – jamais, faut-il préciser, à la satisfaction de ceux qui demandent une preuve tangible de son existence. Au cours des 100 dernières années, une cinquantaine de théories ont vu le jour, chacune proclamant avoir finalement interprété les sagas scandinaves correctement, et avoir trouvé l’endroit où Leif avait bâti sa demeure hivernale en l’an 1003 de notre ère.

[…]

C’est donc avec un intérêt certain que le grand public américain a lu, dans le Saturday Evening Post du 12 juin 1951, un article intitulé « The Secret of the Vanished Explorer » [Le secret de l’explorateur disparu] par Morton M. Hunt, qui exposait tous les détails de la dernière théorie sur le sujet, celle de M. Frederick J. Pohl, un enseignant à la retraite de Brooklyn, New York.[…]

Il s’est ensuite rendu sur les lieux et, avec son épouse, a passé l’endroit au complet au peigne fin afin de trouver des preuves tangibles de ses théories. Après quelques déceptions initiales, M. Pohl a trouvé, dans un groupe de rochers le long du rivage de Mill Pond, de Follins Pond et de la rivière Bass, une série de trous forés qui, d’après leurs caractéristiques et l’endroit où ils étaient situés, lui ont fait penser que l’endroit aurait pu servir pour amarrer les bateaux vikings à leur manière bien connue. Pohl s’est assis sur ses lauriers. Il était satisfait de son interprétation et le fardeau appartenait maintenant à la science archéologique de prouver sa théorie hors de tout doute.

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[…]À partir de ce qui précède, il a été déterminé qu’il y avait cinq endroits hautement propices qui s’étendaient tout le long de Follins Pond – une distance d’un peu moins de un mille. Certaines parties de cet endroit ont été éliminées à cause de la construction de maisons, des pelouses, des routes, et ainsi de suite. D’autres endroits ne convenaient pas du tout à un site pour y établir un établissement hivernal, mais il restait une immense étendue à couvrir.

[…]

Environ 50 personnes ont participé aux fouilles sur deux jours : certains ont travaillé le samedi, d’autres le dimanche, mais la majorité a besogné pendant les deux jours. […] trois groupes distincts ont été formés. Le plus grand groupe s’est retrouvé à la « crique » sous la direction de Maurice Robbins et J. Burleigh Moulton.

FOUILLES À LA CRIQUE DE FOLLINS POND

La crique de Follins Pond est une échancrure assez longue et étroite le long de la rive de Follins Pond, le restant de la rive étant plutôt escarpée sur le côté sud de Follins Pond. La plage à cet endroit est d’environ 50 pi de large, mais le sable qui la recouvre semble y avoir été apporté et déposé sur une couche de terre noire et de tourbe qu’on peut trouver n’importe où sous environ 6 po de sable. La crique mesure environ 70 pi de long par 25 pi de large en son centre. Le terrain s’incline abruptement au sud et à l’est à une hauteur d’environ 35 pi, mais à l’ouest, l’inclinaison est un peu moins abrupte. Le plancher de la crique en son centre est à peu près 3 pi au-dessus de la ligne moyenne des hautes eaux.

[…]

Le piquet 1 a été trouvé dans la tranchée D dès le début des fouilles. Le piquet mesurait environ 5 po de diamètre et 2 pi de long. Cela semble être le restant d’un poteau en cèdre rouge, l’extrémité inférieure ayant été taillée pour l’enfoncer. Sa pointe inférieure était dans le sable ou l’argile sous la tourbe et le poteau était entièrement enchâssé dans la tourbe. Dix autres poteaux ont été trouvés par la suite. Cinq grands poteaux formaient une sorte de ligne centrale. Trois de ces poteaux centraux étaient supportés par de grandes roches plates et les deux autres étaient renforcés par des pierres posées verticalement sur les roches. Tous ces poteaux centraux semblent avoir été mis en place dans des trous qui avaient été creusés sauf le 11 qui est pointé de sorte qu’il semble être prêt à être enfoncé. Il est important de noter que les têtes de tous les poteaux étaient à toutes fins pratiques de niveau (cela a été vérifié par des lectures du méridien faites à partir du piquet A). La ligne centrale continuait à partir du piquet 2 et était définie par deux grosses pierres qui maintenaient à niveau l’extrémité supérieure des piquets. Le groupe de pierres indiqué au plan à l’extrémité nord de l’endroit préalablement excavé était 3 pi 11 po au-dessus de ce niveau.

Six poteaux plus petits, tous étant pointus et ayant probablement été enfoncés dans leur position, semblaient montrer le contour approximatif d’un bateau ou d’un navire. Les distances entre ces poteaux extérieurs étaient comme suit : 1 à 3 – 16 pi 4 po; 4 à 5 – 13 pi 1 po; 8 à 9 – 6 pi 2 po. Au-delà de la section centrale, on n’a pas trouvé d’autres poteaux.

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La longueur totale à partir du poteau central 10 jusqu’à la dernière pierre de niveau à l’extrémité nord de la crique était de 58 pi, et du poteau 10 au groupe de pierres montrées tout juste au sud du piquet B, la longueur était de 70 pi. En supposant qu’il s’agit effectivement des restants d’un ber ou d’un appui pour un quelconque bateau échoué sur la plage, on pourrait dire que la longueur de l’embarcation serait d’environ 70 pi, la hauteur de la proue atteignant presque 4 pi et la largeur, plus de 16 pi.

[…]

Le clou, qui avait été usiné, se trouvait à une profondeur de 27 po et […]n’était en aucune façon associé à aucun des piquets trouvés[…] La lame de hache trouvée juste au nord du piquet 11 se trouvait à une profondeur de 7 po de la surface en sol limoneux. Elle ressemble aux outils coloniaux de ce type.

[…]

Un groupe, sous la direction de Ross Moffett, a fouillé les soi-disant « tombes » sur le tertre au sud-ouest du « récif ». M. Pohl a indiqué les endroits qu’il avait déjà fouillés avec Frederick Johnson. Une « tombe » près des autres a été choisie pour subir une fouille complète. Les « tombes » ont été identifiées par des groupes de petites pierres déposées en parcelles mesurant 3 pi de diamètre sur la surface graveleuse. L’excavation a permis de découvrir un petit endroit décoloré en forme de panier situé à environ 16 po sous la surface et mesurant environ 18 po de diamètre. Il ne contenait aucun os ou artefact et ce n’était définitivement pas une tombe. Cela ressemblait à une petite fosse pour les déchets utilisée par les Indiens, d’un type connu de tous les archéologues de la Nouvelle-Angleterre. Après avoir creusé un certain nombre de trous tout le long de la surface du tertre, aucune trace de tombes ou d’artefacts de quelque type que ce soit n’avait été trouvée.

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[…]

Un des piliers principaux de la théorie de M. Pohl, en plus de son interprétation laborieuse des sagas, était la découverte de roches qui avaient été forées le long des rives de Mill Pond, de Follins Pond et de la rivière Bass. L’article du Saturday Evening Post donnait l’emplacement de trois trous d’amarrage placés de façon stratégique et cette découverte est racontée de manière dramatique. Cependant, ce cas présente l’embarras du choix, car le relevé de M. Haglund et Dr Howe présente les données de l’emplacement et de l’examen d’un trou au récif de Mill Pond, un trou à celui de Follins Pond, en plus de sept autres sur le rivage près de l’embouchure et un autre sur la rivière Bass. Il y en a plusieurs autres dans les roches à l’arrière du rivage, nous ne les avons pas comptés. Il y a même un rocher sur la pelouse avant de M. Lyon qui est très retirée du rivage.

Quelle est l’explication de ces trous? Un résidant natif de la ville a dit au directeur que, lorsque la digue de la rivière Bass a été construite (elle fait près de un demi-mille en longueur), chaque rocher et chaque grosse pierre qui pouvaient être déplacés ont été transportés sur le site par chevaux, traîneau, drague et chaland. Les roches des deux côtés de la rivière ont été transportées par la rivière et intégrées à la structure. Lorsqu’ils ont manqué de petites roches, ils ont foré et dynamité les plus grosses. Ils foraient encore les roches moins accessibles au moment où on a mis fin au travail. Plusieurs trous dans le groupe densément rapproché que constituent les six roches du groupe V sont en pente vers l’eau et une corde par-dessus un piquet à l’intérieur les aurait fait glisser de leur propre poids. Une de ces roches contient deux trous espacés de 30 po. La plupart des trous ont été trouvés à l’emplacement précis qu’on choisirait si on voulait fendre des roches par explosion ou avec des coins.

Les trous d’amarrage ont été utilisés par les Vikings pour amarrer leurs bateaux dans les profondeurs des fjords rocheux de la Scandinavie, mais quelle aurait été leur utilité dans un étang peu profond où notre expédition ne pouvait trouver plus de 5 pi d’eau à aucun endroit, bien qu’il soit fort possible qu’il y ait eu plus ou moins d’eau en 1003. De plus, pourquoi avoir recours à des trous d’amarrage alors qu’il y avait des arbres qui poussaient jusqu’au rivage et que les bateaux pouvaient s’ancrer à la poupe et s’attacher à un arbre par les amarres de pointe? La théorie de M. Pohl se lit bien, mais la présence de ces trous d’amarrage n’y apporte aucun argument de poids selon l’avis de ce rédacteur.

Le bateau nous a tous procuré une vive émotion. La grandeur était à peu près exacte, l’endroit était parfait, mais il y avait des problèmes.

Un historien du Cape (qui, incidemment, n’est pas d’accord avec les théories de M. Pohl) a écrit ce qui suit :

« Si M. Pohl avait vérifié avec les natifs de Yarmouth et de Dennis, et s’il avait fait des recherches dans les vieux documents comme je l’ai fait, il aurait découvert que la crique où les fouilles ont été menées il y a quelques semaines avait été utilisée, il y a plusieurs années, pour amener à terre les bateaux de pêche qui avaient besoin de réparations

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alors que Follins Pond regorgeait d’huîtres, de pétoncles et à une époque où il y avait des fascines dans l’étang. »

La découverte d’une hache en fer qui était utilisée par des constructeurs de bateaux et qui était d’un type colonial bien connu semble éliminer définitivement la théorie du bateau.

Au début, on a donné beaucoup d’importance au fait que les « trous d’amarrage » étaient triangulaires, ce qui était apparemment caractéristique des Vikings. Un résidant âgé a décrit au directeur le type de foret généralement utilisé à cet endroit au dix-neuvième siècle. Il s’agissait d’un burin avec une lame droite et un trou dans le centre de la lame. Le trou avait d’abord la forme d’un triangle et lorsqu’il devenait plus profond, le manche du burin était appuyé sur chacune des pointes alternativement. Le burin laissait une dépression centrale qui se défaisait continuellement lorsque le trou devenait plus profond. Il restait un trou triangulaire du type que nous avons trouvé.

[…]

CONCLUSIONS

Cette investigation a été menée par la Société d’archéologie du Massachusetts dans le but de prouver l’exactitude de la théorie de M. Pohl et pour essayer de trouver des preuves souterraines d’une occupation du territoire par les Vikings. Nous n’avons pas réussi. L’endroit est grand et, dans le temps dont nous disposions, il nous a été impossible de faire autre chose que d’examiner les endroits les plus propices. Ce que nous avons accompli le plus minutieusement possible. Nous avons trouvé des traces indubitables d’occupation indienne. Nous avons trouvé le ber enfoui d’un bateau d’un certain âge, mais d’après nos observations, il date de l’époque coloniale. Nous avons examiné les prétendues « tombes » et nous avons constaté qu’une d’elles n’en était pas une. Nous avons examiné les trois « trous d’amarrage » et en avons ajouté sept autres à la liste. À notre avis, il s’agit de trous forés pour dynamiter des roches dont on avait besoin pour la construction de la digue de la rivière Bass. Il y en a plusieurs autres dans les collines qui, même avec une imagination des plus fertiles, ne pourraient en aucun cas être d’origine viking. À notre avis, il était parfaitement inutile d’avoir recours à des « trous d’amarrage » car l’eau est peu profonde et tranquille et les bateaux auraient pu s’ancrer facilement et s’amarrer en toute sécurité aux arbres sur le rivage. Nous n’avons ni prouvé ni réfuté les théories de M. Pohl. Il se peut qu’il ait entièrement raison, mais rien dans nos deux jours d’investigation intense de l’endroit n’indique que la colonie viking de Vinland était située à Follins Pond.[…]

Source: Benjamin L. Smith, "Un rapport sur l'investigation de Follins Pond ," Massachusetts Archaeological Bulletin 14 (31 janvier 1953): 82-88.

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