Les types et les dimensions des bateaux de 800 à 1400 de notre ère

Il n’y a pas que dans les fouilles maritimes qu’on a découvert des rivets de fer. On en trouve, par exemple, dans les chariots qui servaient de cercueils dans les tombes des femmes à l’ère viking. De plus, on trouve rarement des clous à river avec des tiges à quatre faces dans les bateaux danois de la même époque, mais on en trouve dans des bateaux scandinaves et anglais trouvés ultérieurement.

Dans certaines régions, les planches de bateaux étaient assemblées avec des petites chevilles de bois, ou « gournables », au lieu d’attaches en fer. On trouve parfois ces chevilles dans les planches du haut des bateaux vikings.

[…]

Cette vue en plan des différents assemblages de planches démontre que les découvertes de bateaux entre le neuvième et le quatorzième siècle étaient si nombreuses qu’il est possible de témoigner avec assez d’exactitude des modèles de base utilisés dans la construction des bateaux et même de discuter des variations apparues au cours de cette période.

Que nous apprend donc ce matériau, en particulier sur les types et les dimensions des bateaux scandinaves […]Ces […] révèlent une seule tendance dans la construction qui se dessine dès le bateau de Hjortspring, au début de l’âge du fer, jusqu’au bateau de Nydam et qui se poursuit dans les bateaux vikings de Gokstad et d’Oseberg.

Nous devons cependant nous souvenir que les grandes découvertes classiques proviennent toutes des tombes et des tourbières. Il n’est donc pas impossible qu’il y ait eu des bateaux de proportions différentes qui auraient pu être utilisés à des fins autres que cérémoniales ou guerrières. Cependant, si des bateaux de formes différentes et destinés au commerce ont réellement existé à l’âge du fer, on aurait dû en retrouver des vestiges lors des fouilles. Pourtant, les quelques pièces provenant de naufrages qui ont été trouvées et datées des septième et huitième siècles ne diffèrent pas vraiment des bateaux trouvés dans les tombes et les tourbières.

Par ailleurs, les découvertes de bateaux scandinaves datant du dixième siècle et de périodes ultérieures montrent que leur conception diffère visiblement de celle de l’ancien bateau viking standard, soit celui de Gokstad. […]. Il est important de se souvenir que ces découvertes sont particulièrement concentrées dans les régions danoises. Il pourrait bien y avoir des bateaux de factures différentes dans l’ouest de la Norvège et au Uppland, en Suède. […]

Quoi qu’il en soit, seuls des bateaux de guerre longs et étroits ont été trouvés dans les anciennes régions danoises. La découverte classique est celle du bateau Ladby. Sa découverte a suscité beaucoup d’enthousiasme, bien que de courte durée quand on s’est rendu compte à quel point il était bas et étroit en comparaison de la norme établie par le bateau de Gokstad. Dans l’article publié sur cette découverte, il s’en est fallu de peu pour que l’auteur affirme que ce bateau était inutilisable en navigation. Cette impression venait du fait que ses planches supérieures avaient été involontairement arrachées lors des fouilles.

Les essais réalisés avec une réplique de ce bateau et une autre de même conception, le Skuldelev 5, légèrement plus petit, ont démontré que les deux bateaux étaient des embarcations amphibies tout à fait appropriées pour faire la guerre dans les eaux danoises. Ils pouvaient accueillir un équipage de 25 à 35 hommes. Un petit navire de même type a été déterré au blocage de Fotevik dans le Skåne. Nous connaissons également l’existence de deux bateaux longs extrêmement étroits, à Skuldelev et à Hedeby, qui mesurent 30 m de long et qui pouvaient accueillir un équipage de 50 à 60 hommes.

Malgré les apparentes similitudes entre ces bateaux, une étude approfondie révèle plusieurs variations très intéressantes. Le bateau long de Hedeby a été fabriqué en conformité avec les plus hautes normes et bâti avec de très longues planches, alors que le Skuldelev 5 a initialement été construit avec des matériaux recyclés. Au moment où ce dernier a coulé, il était très vieux et avait subi tellement de réparations qu’il n’était plus apte à prendre la mer depuis longtemps. Les deux bateaux témoignent donc de deux niveaux très différents de la société du onzième siècle. Le Hedeby était probablement la propriété d’un roi ou d’un chef alors que le Skuldelev 5 appartenait à la [flotte], leidang, un bateau de guerre bâti et entretenu par un groupe de fermiers, qui s’acquittaient ainsi de leur devoir envers le roi et qui agissaient selon ses ordres. […]

De nombreuses expériences archéologiques ont été effectuées sur le Skuldelev 3 afin d’en comprendre la construction et de tester ses qualités de navigation. Cependant, lorsqu’on connaît les dimensions et les lignes d’un bateau, il est également possible d’arriver à des réponses assez précises quant à sa capacité de chargement et à sa stabilité sans faire d’autres expériences (fig. 9). Nous avons ainsi découvert que le Skuldelev 3 mesurait 14 m en longueur et pouvait contenir un chargement de 4,6 tonnes avec un tirant d’eau de 0,84 m, ce qui correspond, au milieu du bateau, à une hauteur de franc-bord équivalant à 40 % de sa hauteur totale. Par contre, le Skuldelev 1, un bateau beaucoup plus solide, mesurait 2,3 m de plus en longueur et pouvait contenir un chargement de 24 tonnes à une hauteur de franc-bord de 40 % et un tirant d’eau de 1,28 m. Puisqu’il fallait le même équipage d’au moins cinq hommes sur chacun des bateaux, le Skuldelev 1, avec sa capacité de chargement de quatre à cinq tonnes par homme, était de toute évidence le plus rentable, car il pouvait transporter un chargement lourd et volumineux. La capacité de chargement du Skuldelev 3 était de moins de une tonne par membre d’équipage, indiquant qu’il transportait de la marchandise légère, assez coûteuse ou qu’il était utilisé à des fins multiples. […]

Cela est encore plus évident quand on examine le grand navire marchand de Hedeby. Seules certaines parties centrales ont été sorties du fond de l’eau dans le port, mais c’est suffisant pour démontrer que ce bateau est du même type que le Skuldelev 1. Par contre, le Hedeby mesurait près de 8 m de plus en longueur et avait une capacité de chargement qui était le double de celle du Skuldelev 1. Il existe donc des preuves archéologiques de l’existence de bateaux de marchandises avec une capacité de chargement de 40 à 50 tonnes à la fin de l’ère viking.

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[…]Les découvertes de pièces de grands bateaux de marchandises datant des douzième et treizième siècles à Lynæs et à Bergen démontrent que les bateaux devenaient de plus en plus en grands. On estime la capacité de chargement minimale du bateau de Lynæs, au milieu du douzième siècle, à 60 tonnes, et celle du bateau de Bergen, détruit par le feu vers les années 1240, à plus de 150 tonnes.

On a maintes fois affirmé qu’il avait été impossible de transformer les bateaux vikings en bateaux de marchandises et que, par conséquent, ils ont dû être remplacés par les cogghes, des bateaux beaucoup plus grands et plus économiques. Ces affirmations ne cadrent aucunement avec les découvertes archéologiques.

En Scandinavie, la construction des bateaux était un procédé complexe. Il fallait trouver du bois devenu mature avec des formes atypiques pour construire la charpente et des gros rondins de qualité supérieure pour en faire des planches. De plus, la rareté du bois se faisait déjà sentir aux onzième et douzième siècles. Les matériaux de construction navale étaient donc recyclés comme le prouvent le Skuldelev 5 et le Fotevik 1 ainsi que les découvertes de Fribrødreåen. À cette époque, ils ont aussi réduit la longueur des planches. Entre le Skuldelev 3 et le Lynæs, on dénote une différence d’environ 1 m de moins en longueur et 10 cm de moins en largeur.[…]

Source: Ole Crumlin-Pedersen, "Les types et les dimensions des bateaux de 800 à 1400 de notre ère" in Aspects of Maritime Scandinavia AD 200- 1200: Proceedings of the Nordic Seminar on Maritime Aspects of Archaeology, Roskidle, 13th-15th March, 1989, (Århus, Denmark: Kannike Tryk, 1991), 69-82.

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