L’Uunartoq, un compas solaire, est-il un instrument de navigation maritime?

Entre les années 1945 et 1948, alors que l’archéologue danois, Christen Leif Vebæk, effectuait des fouilles dans un site scandinave au fjord Uunartoq dans le sud-ouest du Groenland, il a découvert un objet qui, à l’époque, n’a pas vraiment attiré l’attention. En fouillant les ruines de ce qu’on croyait être un couvent bénédictin, on a découvert un petit objet en bois dans les couches inférieures culturelles qui, croyait-on, avaient précédé le couvent. Il s’agissait d’un disque semi-circulaire mesurant 7 cm de diamètre. Autour du rebord incurvé, se trouvaient des entailles triangulaires qui avaient été sculptées; le tout ressemblait à une roue dentée à moitié complétée. (fig. 1).

Dans un article publié dans The Illustrated London News (1952), Vebæk a décrit l’objet comme étant d’usage inconnu. L’article a attiré l’attention d’un manufacturier de compas et historien maritime danois, le capitaine Carl V. Sølver, qui a alors suggéré qu’il s’agissait en fait des vestiges d’un compas solaire (Sølver 1953; 1954). Il est généralement convenu que le compas magnétique (leiðarsteinn, aimant, en vieux norrois) n’a été connu en Europe du Nord qu’après l’ère des Vikings (KLNM 12, 260). La découverte d’un compas solaire dans le lointain Groenland semblait donc apporter un élément de solution quant au secret de la navigation viking : comment traverser l’Atlantique Nord sans instrument de navigation moderne.

La solution de Sølver a acquis une certaine notoriété et plusieurs travaux prestigieux l’ont présentée comme un fait (KLNM 12, 261; Graham-Campbell et al. 1994, 80-81). Pendant un certain temps, le compas a également été montré sur des affiches lors de l’exposition sur les bateaux vikings au Musée d’Oslo. Le disque a récemment été présenté comme un objet controversé (Seaver 2000, 274).

L’ambiguïté quant à l’identité de l’objet a probablement été perdue au fil des ans; de plus, on semble avoir oublié les bases de l’archéologie expérimentale : faire la différence entre explorer ce qui pourrait être arrivé et trouver des preuves de ce qui est probablement arrivé.[…]

Il est donc important de séparer le plausible du possible. Cet essai tente de trouver une interprétation différente au disque Uunartoq en utilisant une approche archéologique plus traditionnelle qui consiste à chercher des objets similaires ou apparentés dans la même sphère culturelle. Le disque Uunartoq serait un soi-disant « disque de confession », un instrument mnémonique utilisé pour consigner certains services ecclésiastiques qui préparaient les gens pour un voyage tout à fait différent de celui qui consistait à traverser l’Atlantique du Nord. Cette suggestion est faite sous toute réserve, car on en sait bien peu sur l’utilisation et la datation des disques de confession. De plus, les exemples connus proviennent des dix-septième et dix-huitième siècles, ce qui veut dire que les disques seraient des objets luthériens postRéforme. Le Groenland du Moyen-Âge étant résolument catholique, ceci apporte un élément troublant à l’hypothèse.[…]

LES DISQUES DE CONFESSION ISLANDAIS

Au Musée national d’Islande, il y a des objets dont la forme et le style diffèrent énormément, mais qui ont tous été trouvés dans des églises paroissiales à travers le pays. En islandais, on les appelle des skriftaskífar, ce qui se traduit par « disques de confession » […]. Brièvement décrits, les disques de confession étaient des instruments utilisés par les pasteurs ou les prêtres pour compter le nombre de paroissiens qui venaient se confesser. Il y avait deux méthodes d’utilisation : en tournant un cadran qui ressemble au cadran d’une horloge ou en insérant une petite cheville dans un trou à côté d’un chiffre.[…]

Bien sûr, pour résoudre l’enjeu principal, il reste à déterminer si les disques de confession étaient utilisés par les pays scandinaves sous l’Église catholique ou si ces disques étaient un phénomène qui a émergé après la Réforme.[…]

Aujourd’hui, la plupart des gens diraient que la confession individuelle est un des sacrements de l’Église catholique, mais qu’elle n’est pas une pratique de l’Église luthérienne postRéforme. Il serait tentant de suggérer que le disque de confession a une origine médiévale, mais ce serait trop simplifier les choses. Il faut étudier plus profondément la pratique de la confession. […]

DERNIERS COMMENTAIRES

[…]Il faut conclure qu’il n’est pas encore possible de proposer une interprétation définitive du disque Uunartoq. Cet essai a offert quelques nouvelles hypothèses et il est possible que l’énigme soit un jour résolue par une nouvelle découverte qui sera faite quelque part dans un contexte plus éclairant. Cet objet a peut-être été créé dans un but mnémonique, pour la navigation ou peut-être était-il simplement un jouet.

La façon dont les navigateurs vikings ont traversé l’Atlantique Nord n’est pas complètement résolue. Ils ont peut-être utilisé l’étoile polaire, ou la navigation solaire avec ou sans des courbes gnomoniques, ou peut-être plusieurs techniques. Le manque de preuves concluantes ne devrait cependant pas arrêter la formulation de nouvelles hypothèses. Nous avons peut-être besoin de réponses, mais nous avons tout aussi besoin de mystères.[…]

Abréviation

KLNM

Kulturalhistorisk Leksikon for Nordisk Middelader 1956-1978, 2nd ed. 1982, vols 1-21, Copenhagen.

Bibliographie

Graham-Campbell, J et al., eds, 1994. Cultural Atlas of the Viking World, Oxford and New York.

Seaver, K. 2000. ‘Unanswered Questions’, in Fitzhugh and Ward 2000, 270-279.

Sølver, C.V. 1944. Vestervejen. Om Nordboernes Navigering over Allanteren. Det Grønlandske Sclshabs Aarsskrift, Copenhagen

-1953. ‘The discovery of an ancient bearing dial’, Journal of the Institute of Navigation, 6, 294-6
-1954. Vestervejen. Om Vikingernes Sejlads, Copenhagen

Vebæk, C.L. and Thirslund, S. 1992. The Viking compass guided Norsemen first to America, Humlebæk, Denmark.

Source: Christian Keller and Arne Christensen, "L’Uunartoq, un compas solaire, est-il un instrument de navigation maritime?" in Vinland Revisited: The Norse World at the Turn of the First Millennium, Shannon Lewis-Simpson (St. John's, NL: Historical Sites Association of Newfoundland and Labrador, 2002), 429-430, 438-441.

Retour à la page principale