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Note de service au commissaire divisionnaire Skinner

MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA COLONISATION

Dossier no 8615
VANCOUVER, C.-B., 17 juillet 1930.

NOTE DE SERVICE AU COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE A.E. SKINNER :

En arrivant à Nelson à minuit le 12 de ce mois, j’ai reçu votre télégramme se lisant comme suit : « Procureur général se plaint sur arrivée de Doukhobors en provenance des États-Unis causant problèmes dans le district de Nelson. Faire enquête et régler autant que possible. »; et à la première occasion, j’ai parlé à l’inspecteur F. Cruickshank, commandant de la Division B, au quartier général de Nelson. L’inspecteur a convoqué son personnel policier ainsi qu’un autre officiel de Victoria et nous avons tenu une réunion de travail sur la situation des Doukhobors qui est actuellement très sérieuse et risque de devenir très critique à tout moment.

De toute évidence, les autorités provinciales ne savent plus quoi faire avec la secte des Doukhobors connue comme les « Fils de la liberté », qui sont accusés de déprédations sous de nombreuses formes dont notamment la destruction par le feu et l’explosion d’édifices publics et d’installations industrielles de grande valeur situées sur les grandes propriétés et les fermes de la communauté des Doukhobors, des citoyens qui respectent les lois dans une certaine mesure. Au cours des dernières semaines, plusieurs personnes de l’extérieur de la Colombie-Britannique, sans aucun doute des sympathisants des Fils de la liberté, sont arrivées au cours des dernières semaines dans les villages doukhobors des Kootenay et on croit que plusieurs seraient des agitateurs. Si on pouvait trouver un moyen quelconque de retirer le droit d'entrée à ces Doukhobors de l'extérieur, la police pourrait alors contrôler et éventuellement redresser la situation; cependant, on s’attend maintenant à l’éruption de troubles sérieux et même à une possible effusion de sang.

[…]

L’inspecteur a admis qu’il y avait un grand nombre de visiteurs doukhobors en provenance des Prairies canadiennes dans son district, mais je l’ai informé qu’il n’y avait aucun moyen, du moins selon les lois en vigueur, d’arrêter les allées et venues de ces personnes qui sont toutes canadiennes soit par leur lieu de résidence ou de naissance; il n’en découle pas nécessairement que tous les étrangers doukhobors dans le district étaient là à titre de sympathisants des Fils de la liberté et certains sont peut-être vraiment des visiteurs qui sont ici pour voir des amis et de la famille dans la communauté des Doukhobors.

Alors qu’ils faisaient une visite d’inspection au campement de Porto Rico plus tard le même après-midi, l’inspecteur Cruickshank et ses hommes ont arrêté un Russe qu’ils recherchaient depuis plusieurs mois et sur qui pesaient des soupçons. Ils savaient depuis fort longtemps que ce Russe, qui n’est pas un Doukhobor, était là mais ils n'avaient jamais pu le localiser et les Doukhobors le protégeaient toujours.

J’ai longuement interrogé cet homme sous tous les angles et j’ai découvert qu’il s’agissait de METRO GRISHEN, alias MIT GRAEN, qui utilise maintenant le nom de Mit Gren. Il a dit avoir soixante-quatre ans, ne pas être marié, mais il a admis être arrivé au États-Unis et au Canada en 1898 avec une jeune femme avec qui il a vécu et qui lui a donné un enfant; il a abandonnés les deux quelques années plus tard à Detroit, Michigan.

Cet homme est arrivé à New York de Russie via l’Angleterre mais ne peut se souvenir du nom du bateau ou du mois de son arrivée. Il est immédiatement entré au Canada et s’est installé sur un lot de colonisation à Yorkton, Sask., y renonçant plus tard. Il gagne sa vie comme horloger itinérant. Il dit avoir résidé en permanence au Canaria pendant vingt ans et avoir ensuite traversé clandestinement aux États-Unis, où il est resté deux ans; depuis, il a traversé et retraversé la frontière internationale lorsqu’il en avait envie, étant toujours le bienvenu dans les villages doukhobors. Il est entré pour la dernière fois aux États-Unis il y a six ans en traversant au sud de Grand Forks, dans cette province-ci, et est revenu au Canada deux ans et demi plus tard en traversant la frontière sans être questionné près du Pacific Highway, évitant délibérément nos officiers. En arrivant à Vancouver, il a rencontré des Doukhobors qui l’avaient connu en Saskatchewan et il est retourné avec eux au village en voiture.

Je lui ai demandé de me montrer son argent; il avait environ 60,00 $. Il disait avoir perdu son passeport russe et n’avoir jamais pris la citoyenneté américaine. L’homme pouvait parler anglais, mais avec l’aide d’un interprète russe au service de la police, nous avons minutieusement examiné toutes ses possessions, dont plusieurs lettres et documents; son sac, qui contenait des outils et tout l’attirail nécessaire pour réparer montres et horloges, a également été fouillé méticuleusement. J’ai trouvé dans ses papiers une lettre du consul soviétique à Tokyo, Japon l’informant qu'il avait reçu l’autorisation du gouvernement soviétique de lui émettre un passeport afin qu’il puisse continuer son retour prévu en Russie une fois arrivé à Tokyo (référence du consul B T-001). Il [Grishen] a déclaré que les Fils de la liberté lui avaient promis de lui fournir le coût du transport vers la Russie simplement parce qu’ils étaient amicaux avec lui. Lorsque questionné sur le but de sa visite ou de sa mission, il est resté très évasif, démontrant même une réticence à répondre, mais il a finalement dit qu’il n’avait d’autre but que de faire un séjour.

Ses papiers démontraient qu’il avait fait des achats chez McGeachie & Holdworth Limited, bijoutiers grossistes, à Calgary.

Même s’il ne fait aucun doute que cet homme réside illégalement au Canada, ayant perdu son droit de résidence, nous ne pouvions pas le déporter parce qu’il est Russe. Cela ne nous donnait pas grand-chose de le poursuivre en justice et de l’emprisonner; en conséquence, j’ai demandé à la police de le relâcher.

On sait que les Doukhobors sont connus pour avoir déjà eu des bombes, par exemple lorsque Peter Verigin le premier a été assassiné; comme cet homme possède de larges connaissances sur les mécanismes d’horlogerie et pourrait être extrêmement précieux pour les Doukhobors s’ils décidaient de mettre en pratique dans notre pays certaines tactiques anarchistes russes, j’ai pensé qu’il valait mieux le persuader, avant de le relâcher, de quitter le district où vivent les Doukhobors, lui faisant comprendre en termes très clairs qu’il serait immédiatement arrêté et accusé d’entrée illégale au Canada si jamais il était trouvé à moins de cent milles du village doukhobor. Il me fait plaisir de rapporter qu’il a pris le train de Nelson vers l'Ouest pour la vallée de l’Okanagan quelques heures après avoir été relâché.

Sans aucun doute, la police prendra les mesures nécessaires pour suivre la trace de cet homme pendant un certain temps.

Soumis respectueusement,

(Signé) W. C. Cowell.

Officier enquêteur itinérant.

Source: Steve Lapshinoff, Documentary Report on the Death of Peter Verigin, et.al. in a Train Explosion near Farron, B.C. in 1924 (Crescent Valley, BC: Steve Lapshinoff, 1993), pp. 259-61, , , W.C. Cowell, Note de service du ministère de l'Immigration et de la Colonisation à A. E. Skinner , 17 juillet, 1930.

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