S. Bernard Shaw, village de Mowat et ruisseau Potter, 1996

[…] En mai 1896, Arthur Sturgis Hardy, commissaire des Terres de la Couronne, accorde un permis à Allan et David Gilmour de la société Gilmour and Company, marchands de bois de sciage, pour l’exploitation de 326 acres se trouvant principalement au sud du chemin de fer qui allait relier, une fois sa construction terminée, Ottawa, Arnprior et Parry Sound, ainsi qu’à l’ouest du ruisseau Potter. Le permis était valide dix ans et renouvelable, sous réserve d’offrir un rendement satisfaisant, au coût de quarante dollars par année, « afin d’y ériger des scieries et de projeter la construction de moulins ainsi que des bâtiments et des maisons nécessaires et qui seront utilisés par les titulaires du permis lors de la coupe, du sciage et du ramassage du bois d’œuvre en pin dans les cantons de Peck, Hunter et McLaughlin ». Une clause a été incluse pour les « aires d’estacades » (entreposage de billots à l’intérieur de chapelets formés de billots) sur le lac Canoe. En échange de quelque soixante-neuf acres dans le sud de cette région, les Gilmour obtiennent un second permis le 11 novembre 1897 pour exploiter cinquante-trois acres à l’est du ruisseau Potter.

Le moteur à vapeur utilisé à la centrale d’énergie du tramway près de Dorset est démonté et, au cours de l’hiver de 1896-97, laborieusement déplacé sur des rouleaux à l’aide d’attelages de chevaux par la route Gilmour dans le but d’alimenter une nouvelle scierie sur la rive nord-ouest du lac Canoe. […]

Un élément essentiel du nouveau plan de Gilmour est le chemin de fer de J. R. Booth qui relie Ottawa, Arnprior et Parry Sound et qui passe en plein à travers le Huron Tract à partir de la rivière des Outaouais jusqu’à Parry Sound. Avec le recul, il est probable que David Gilmour aurait préféré investir son argent et en récolter les intérêts en attendant que les trains de Booth atteignent le lac Canoe plutôt que de dépenser une fortune sur la drave de Trenton. Un tour d’essai est tenté le 28 décembre 1896 à partir d’Ottawa jusqu’à Depot Harbour sur la baie Georgienne, mais le chemin de fer n’est officiellement en opération qu’au printemps 1897. Cette date est parfaite pour Gilmour qui, entre-temps, a prévu que sa scierie traite l’énorme quantité de billots stockée au lac Canoe. Un embranchement du chemin de fer d’une longueur de 2,4 kilomètres est construit à partir de la ligne principale à la gare du lac Canoe jusqu’aux voies d’évitement près de la scierie. Des voies d’évitement sont aussi construites près de la gare, incluant un « Y » pour permettre aux locomotives de faire demi-tour. Ces voies d’évitement sont d’une longueur totale d’environ quatre kilomètres.

Une fois le moteur à vapeur en place, la partie nord-ouest du lac Canoe devient une vraie ruche. Les travailleurs s’activent jour et nuit pour préparer la nouvelle scierie où ils scieront des « madriers » (planches de trois à quatre pouces d’épaisseur) qui seront expédiés par train. David Gilmour vit une énorme pression pour récupérer son important investissement financier, dont la plus grande partie a sans aucun doute été empruntée. Il doit aussi faire face à la nécessité de déplacer les billots accumulés qui bouchent le lac Canoe, afin de recevoir la récolte de l’hiver 1896-97. Peut-être en raison de la vulnérabilité financière de la nouvelle scierie, la Canoe Lake Mills est fondée en tant qu’entité indépendante.

On en est encore à ébaucher les politiques administratives du parc Algonquin lorsque les Gilmour acceptent, sur papier du moins, de se plier aux nombreuses conditions visant à protéger l’environnement. Aucun bâtiment ne doit être destiné à la vente de marchandises; tous les bâtiments doivent être utilisés « à bon escient » par les Gilmour ou leurs employés; il ne doit y avoir aucune interférence avec les canots ou autre moyen de navigation, « sauf pendant cinq jours par année qui peuvent être absolument nécessaires pour faire flotter lesdits billots auxdites scieries lors de la crue des eaux du printemps de façon à éviter la montée des eaux en été »; les rebuts qui risquent de prendre feu ou de le propager doivent être éliminés; et la propriété doit être clôturée et maintenue en bonne condition d’hygiène. Une règle, dont s’inspirent celles s’adressant aux campeurs d’aujourd’hui, stipule que la « vente de tous spiritueux, boisson fermentée ou enivrante est interdite ». Les Gilmour doivent payer la moitié du salaire d’un garde forestier, employé pour assurer qu’il n’y ait pas d’infraction aux règles du parc, et accepter de congédier tout employé qui les transgresse. Tout est sujet à l’approbation du directeur du parc.

En sachant que la Canoe Lake Mills finit par faire banqueroute, il est significatif de constater que le permis des Gilmour contient des clauses exigeant que « tous les bâtiments et les structures de toute sorte soient démolis et éliminés… en cas d’inutilisation de ladite scierie ou de l’interruption de ses activités ». L’ensemble des installations, de la machinerie, des appareils, des déchets et des débris devraient alors être retirés du parc et le site ramené à « une condition décente et convenable ». En réalité, les Gilmour laissent derrière eux un lac parsemé de débris, des collines environnantes dénudées et de nombreux bâtiments à Mowat et au ruisseau Potter, dont certains sont encore utilisés aujourd’hui. Aucun effort réel n’a été déployé pour nettoyer le site et la majorité de l’équipement a simplement été abandonné, au grand plaisir des chasseurs de trésors modernes. Nombreux sont les cottages en bordure du lac Canoe où l’on peut voir des billots qui portent un « G » estampé par le mesureur de la Gilmour, et une grande variété d’artefacts a été retrouvée dans les bois.

Il faut donner un nom au village qui prend vite de l’expansion autour de la Canoe Lake Mills. David Gilmour décide de rendre hommage – et de flatter – Oliver Mowat, le politicien le plus influent de la province à l’époque. Il veut de toute évidence avoir le gouvernement de son côté. Le fait de nommer le nouveau village d’après le nom du premier ministre rallie le gouvernement à l’intention de Gilmour d’exploiter une vaste partie de cette région sauvage. En fait, à l’instar de la plupart des initiatives qu’il prend au cours de cette période, Gilmour choisit plutôt mal le moment d’agir. Sir Oliver (il est fait chevalier en 1892) voit sa santé décliner et se retire de la politique en 1897 pour devenir lieutenant-gouverneur de l’Ontario, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1903.

La pierre tombale du travailleur de la scierie James Watson au cimetière du lac Canoe indique que la population de Mowat compte 500 habitants en 1897 lorsque la Canoe Lake Mills commence ses activités. Un hôpital, des écuries assez vastes pour loger cinquante attelages de chevaux, un grand dépôt, une cuisine et une variété d’entrepôts, de bureaux, de bâtiments de ferme et de cabanes poussent autour de la scierie. Il est possible d’être hébergé à l’hôpital et à la maison de pension. Durant sa courte vie, Mowat connaît une croissance remarquable dans une région que l’arpenteur James Dickson qualifie en 1886 d’endroit « où il n’y a pas âme qui vive ».

L’an 1898 marque le commencement de la fin pour Mowat alors que l’industrie du bois d’œuvre connaît un ralentissement. Le pin de première qualité s’empile dans l’attente d’une reprise du marché – peut-être une autre mauvaise décision. Le bran de scie, les blocs de bois et les billots de qualité inférieure sont jetés dans la baie le long de la scierie pour créer davantage d’espace pour empiler le bois. (Aujourd’hui, on voit encore du bois de sciage jaillissant du sol spongieux de la cour à copeaux.) Le marché ne reprend pas à temps pour sauver les fortunes investies dans la Canoe Lake Mills qui déclare faillite en 1900. Robert Gallna, qui travaillait à la scierie, y demeure comme concierge et fait de son mieux pour vendre le reste des biens. Il aurait agi à titre de contact lors de la vente des bâtiments quelque dix ans plus tard au Dr Pirie, au contremaître de la Huntsville Lumber Company, Hugh Trainor, et à d’autres encore. Deux banques, la Banque Canadienne de Commerce et la Banque Molson, apparaissent dans les Registres des concessions forestières, 1830-1949, Archives du musée du parc Algonquin, en tant que propriétaires des concessions forestières autour du lac Canoe en 1901, sans doute reprises lorsque Gilmour cesse de rembourser ses emprunts. En 1907, une entreprise de Kingston est nommée syndique. Shannon Fraser, un ancien employé de la Kingston Locomotive Works qui deviendra un personnage éminent au lac Canoe, est accusé d’avoir démonté la machinerie.

Mowat est une cité ouvrière et la scierie Gilmour est sa seule raison d’exister. La faillite de la scierie marque le début de la fin pour Mowat.

Abandonnant pour de bon l’exploitation forestière et Mowat en 1900, David Gilmour se tourne vers la fabrication de portes et fenêtres à Trenton. À ce moment, probablement à la suite d’un désaccord concernant la gestion de l’entreprise, Allan ne participe plus directement aux activités. Les permis d’occupation des Gilmour autour du lac Canoe sont annulés par décret en conseil le 11 décembre 1911. […]

Source: S. Bernard Shaw, "Village de Mowat et ruisseau Potter" in Canoe Lake Algonquin Park: Tom Thomson and Other Mysteries, (Burnstown, ON: General Store Publishing House, 1996), 41, 43-45

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