S. H. F. Kemp, « Souvenirs de Tom Thomson », 1955

Extrait du manuscrit de Kemp transcrit par Blodwen Davies le 3 déc. 1955, puis réimprimé dans le livre de William T. Little, The Tom Thomson Mystery [Le Mystère Tom Thomson], 1970.

La période pendant laquelle je l’ai connu [Tom Thomson] se situe avant qu’il ne commence à peindre. Nous étions tous deux employés (des artistes, comme on nous appelait) dans un atelier de photogravure réputé de Toronto. La Grip Limited pour être exact. Nous y avons tous travaillé à un moment ou à un autre auprès de plusieurs personnalités connues. Nous avons entre autres collaboré avec W. Smithson Broadhead, Frank Carmichael, Frantz Johnston, Ivor Lewis, Arthur Lismer, J.E.H. MacDonald, Tom Marten, Rowley Murphy et A.H. Robson. Il y avait plusieurs autres artistes, mais je ne nommerai que ceux-ci.

Thomson a été pendant longtemps dessinateur publicitaire avant de devenir peintre. Il était non seulement un artiste commercial hors pair, mais également un dessinateur solide et fiable. Si le génie est synonyme d’extrême minutie, Tom avait définitivement du génie. Grâce à cela, il avait la capacité, et l’obligation/la responsabilité, d’exécuter des travaux requérant méticulosité et patience. Il y avait une ressemblance physique entre Tom Thomson et J.E.H. MacDonald, probablement à cause de la sérénité qu’ils dégageaient, mais MacDonald avait l’air plus angélique. Thomson fumait la pipe et était un connaisseur en matière de bon tabac.

Ses cheveux étaient noirs de jais et longs,

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du moins à l’avant. Il les avait parfois dans les yeux quand il se penchait sur son travail et il les repoussait lentement d’un simple coup de tête, sans se servir de ses mains.

À l’époque, comme aujourd’hui, l’équipement d’une usine de gravure comprenait une machine à griser complexe connue sous le nom de Ben Day. Grâce à cette machine, on pouvait obtenir un éventail d’ombres sur un dessin ou une plaque pour reproduction par un procédé appelé photogravure. Lorsque des êtres arrogants méprisaient le Ben Day (et, incidemment, étaient incapables de l’utiliser) Thomson ne se laissait pas démonter. Conscient de ses talents variés et incontestables, il ne faisait pas l’important. Accomplir les travaux où il fallait faire appel au Ben Day pour l’ombrage n’affectait pas sa dignité. Il ne faisait jamais de mots d’esprit, ne donnait pas de conseils pour une vie meilleure, pas plus qu’il ne parlait de ses philosophies de vie. [...]

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Le livre de Norman Angell, The Great Illusion [La grande illusion] avait été publié et nous en discutions au travail. Le livre exposait clairement que dans une guerre, le vainqueur ne s’en sortait jamais mieux que le vaincu. L’ombre de la Première Guerre mondiale ne planait pas encore au-dessus de nos têtes, mais Norman Angell avait rallié plus d’un adepte à sa théorie. Thomson croyait depuis longtemps que la guerre n’était qu’un guet-apens et un acte de pure folie et que le militarisme et ce que nous appelons maintenant la capacité de réaction étaient mauvais. Il faisait valoir son point de vue avec passion et sincérité. Il n’était pas content lorsqu’un de nos collègues artistes a été aperçu dans la parade de la garnison portant le manteau écarlate et le bonnet à poil d’un soldat du 10th Royal Grenadiers, la milice locale. Thomson n’était pas le seul à partager cette opinion à ce sujet. [...]

Source: S. H. F. Kemp, Souvenirs de Tom Thomson, in Blodwen Davies, William T. Little, ed, The Tom Thomson Mystery (Toronto: Toronto, 1955), 173-178

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