Mark Robinson, lettre à Blodwen Davies, 23 mars 1930

À Blodwen Davies
Toronto, Ontario

B.P. de Brent, Ontario
Via North Bay
23 mars 1930

J’ai reçu votre lettre du 11 mars qui m’est parvenue en retard, c’est pourquoi j’ai tardé à vous répondre. Oui, j’ai très bien connu Thomas Thompson nous étions amis et avons passé plusieurs beaux moments sur les sentiers et auprès du feu de camp, à discuter des beautés de la nature. des amis sauvages de la forêt, de pêche, etc. Il fallait le voir, ce Tom : un jour il était jovial et enjoué prêt à faire des folies de toutes sortes pour autant que le but était pur et honnête. Par moments il semblait très mélancolique et avait la mine déconfite. Il devenait alors comme s’il était soudainement réveillé et il y avait presque de la colère dans son air et ses gestes. C’était dans ces moments-là qu’il faisait ses plus belles œuvres. Il venait assez souvent dans ma cabane en toute hâte et sur un ton excité me posait des questions au sujet de certains rochers ou arbres ou alors de collines onduleuses. Je vais mentionner une anecdote en exemple.

Nous avions vu Tom venir presque en courant sur le portage du lac Joe, son canot sur la tête. Lançant son canot dans l’eau il a attrapé sa rame et propulsant son canot sur l’eau il a ramé comme un fou jusqu’à notre quai. Là, il a soulevé son canot à la hâte et est monté jusqu’à notre cabane. dis Mark tu sais. Je sais que tu sais exactement où trouver ce que je veux, trois arbres. Des épinettes, des épinettes noires qui ont l’air rêches et vieilles tu vois ce que je veux dire. des arbres sur un ciel du nord, froid, gris-vert où est-ce que je pourrais avoir tout ça réuni. J’ai dit Tom dis-moi seulement ce que tu veux et je pourrai sûrement t’aider. Il m’a ensuite décrit les deux épinettes noires. J’ai dit rends-toi au petit quai en aval de Sims Pt tu vas trouver les arbres que tu veux dans un bosquet. Mais est-ce que je pourrai les voir sur un ciel froid du nord? Je lui ai assuré qu’à mon avis, il le pourrait. Il est parti comme une flèche et

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comme un fou, il est disparu sur le chemin du portage. Trois jours plus tard Tom est arrivé dans notre cabane. il avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles quand il nous a dit, dis Mark, ces arbres, c’est exactement ce dont j’avais besoin pour ma toile et le ciel était parfait. Comment fais-tu pour toujours savoir ce que je veux. Je n’ai pu que lui répondre, Tom tu décris tellement bien les choses que c’est pas difficile de se rappeler les petites choses qu’on voit chaque jour.

à un autre moment, il avait besoin d’un vieil arbre mort. Je l’ai envoyé au lac Hickeys. Exactement ce que je cherchais, qu’il a dit une semaine plus tard Ça fait une belle toile. Je n’ai vu aucune des peintures mentionnées ci-dessus. Nous avons passé bien des heures agréables à regarder de vieilles souches d’arbres etc. Un jour nous regardions un bouleau blanc et j’ai dit à Tom ce serait difficile de reproduire tous ces vieux nœuds au pinceau. Pas du tout qu’il a répondu, et quelques jours plus tard il m’a montré une toile, presque une copie parfaite de l’arbre réel. À un autre moment nous regardions la souche d’un vieux pin qui était partiellement couverte de mousse et la couleur grise du bois avait plusieurs nuances de gris. il l’a regardée et a dit c’est une des choses de la forêt les plus difficiles à peindre, tu vois ces différentes nuances de gris. un artiste doit les reproduire parfaitement ou alors le croquis est une imposture envers le public pas plus de deux ou trois personnes sur cent vont le remarquer si ce n’est pas fidèle à la nature et de la même façon que des notes imparfaites détruisent l’âme de la musique, une couleur imparfaite détruit l’âme de la toile. Je mentionne ces faits simplement pour démontrer l’authenticité des points de vue de Tom sur les différentes choses de la vie.

Le printemps précédant sa mort prématurée il a peint une toile par jour pour représenter les divers stades du printemps et de l’été.

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Il adorait ce travail et un jour où il faisait irruption dans ma cabane il a dit est-ce que je pourrais mettre mes œuvres aux murs pour l’été. Je lui ai assuré qu’il le pouvait mais la mort s’est interposée et elles n’ont jamais été accrochées. J’ai vu un grand nombre de ces toiles elles étaient belles. Je pense que les frères et sœurs de Tom ont récupéré la plupart d’entre elles.

Tom était un excellent forestier, canoteur, nageur et guide. Il adorait camper et servir de guide et nombreux sont les amis malades que Tom a emmenés pêcher dans les environs et qui ont repris des forces et ont recouvré la santé et il refusait toute rémunération c’était un passionné de pêche et il aurait aimé capturer une très vieille truite qui échappait aux meilleurs pêcheurs. Pendant environ une dizaine de jours avant sa mort plusieurs d’entre nous essayions d’inventer une astuce pour attirer une vieille truite rusée qui se tenait dans une mare en aval du barrage du lac Joe. Tom s’y rendait chaque jour et plusieurs fois la truite a mordu à l’hameçon mais il n’a jamais réussi à la sortir de l’eau. J’ai eu à peu près la même chance et c’était un concours amical entre nous de savoir qui sortirait la truite.

le matin de sa mort il a presque réussi à attraper la truite et comme il l’avait manquée il a dit Je m’en vais à l’un des petits lacs attraper une truite et la mettre devant la porte de Mark tôt le matin et il va penser que c’est le vieux poisson du barrage il s’est rendu à Mowat Lodge ou au cottage de Trainor a pris quelques provisions et est parti pour pêcher un gros poisson dans l’un des petits lacs

J. Shannon Fraser BP du lac Canoe Ont était au lac quand Tom est parti et a été le dernier (à ce que le public sache) à voir Tom vivant il est parti vers 12 h 50 de l’après-midi et l’enquête a révélé que Martin et Bessie Blecher des touristes germano-américains qui avaient le cottage au lac Canoe Ont ont découvert le canot de Tom qui flottait à moins de 3/4 de mille

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de l’endroit où il était parti près du cottage de Trainor vers 3 h de l’après-midi il y avait un vent d’est et le canot n’aurait pas pu se retrouver là dans des conditions ordinaires. ils n’ont pas signalé la découverte du canot avant le lendemain matin quand le canot a été ramené de derrière la petite île Wapomeo. puis J. S. Fraser m’a annoncé l’affaire et j’ai immédiatement transmis l’information au dir. Geo W. Bartlett qui comme moi a refusé de croire que Tom était dans le lac mais qu’il pouvait s’être perdu dans les bois, une jambe cassée, il a donné l’ordre de lancer des recherches et j’ai continué de chercher jusqu’à ce que son corps soit retrouvé par Geo Rowe guide au lac Canoe BP Ont et le Dr Howland de Toronto dans le lac Canoe non loin d’une pointe rocheuse sur la rive ouest du lac Canoe environ à mi-chemin entre les deux îles Wapomeo

j’ai aidé Roy Dixon l’entrepreneur de pompes funèbres de Sprucedale Ontario à repêcher le corps en présence du Dr Howland il n’y avait pas de marques sur le corps à l’exception d’un léger bleu au-dessus de l’œil gauche sa ligne à pêche était enroulée plusieurs fois autour de sa cheville gauche et elle était rompue il n’y avait aucune trace de sa canne à pêche ses provisions et son sac de matériel étaient à l’avant du canot au moment de sa découverte. le lac n’était pas agité. Nous l’avons enterré dans le petit cimetière du lac Canoe, Martin Blecher père a célébré le service funèbre anglican à la tombe. Plus tard, la dépouille a été exhumée et envoyée à Owen Sound pour y être enterrée. Le Dr Ranney de North Bay a mené l’enquête du coroner. Tom se serait noyé. C’est peut-être ce qui est arrivé mais le mystère persiste.

Il vivait à Mowat Lodge la plupart du temps. Faisait fréquemment des excursions seul dans les bois. Quelquefois il

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débarquait et annonçait la date prévue de son retour si tout allait bien pour lui il revenait toujours à la date annoncée et habituellement il était d’excellente humeur et avait plusieurs anecdotes à raconter. pendant ces excursions il recherchait les endroits qui avaient l’air le plus sauvage possible et quand il trouvait une pointe accidentée ou déserte avec quelques pins rouges noueux à l’aspect rabougri, il campait à proximité pour voir de quoi ils avaient l’air pendant un orage et il étudiait le ciel et la couleur etc. son esquisse Le vent d’ouest est le résultat de l’une de ces expéditions dans le fond des bois à l’intérieur du parc. Je sais bien que les quelques faits que j’ai mentionnés ne pourraient faire l’objet d’un livre entier, mais j’avais le sentiment que vous aimeriez les connaître de sorte que vos écrits le présenteront sous un meilleur jour. Voici quelques amis

  • Mlle Trainor de Huntsville Ontario à qui Tom aurait été fiancé pourrait vous dire plein de jolies choses au sujet de Tom si elle le veut bien.
  • Ed Godin garde du parc, Stn Achray CN Ont via Pembroke Ont Tom logeait avec le garde Godin quand il était dans cette section du parc.
  • J. Shannon Fraser et sa femme au lac Canoe Ont et leur fille Mme Arthur Briggs connaissaient tous extrêmement bien Tom et si Fraser veut bien vous dire la vérité vous pourriez tirer beaucoup d’information de lui mais soupesez bien ses dires.
  • Vous pourriez interroger Martin et Bessie Blecher mais cette fois encore soyez prudente. Ils en savent probablement plus long que quiconque sur le triste destin de Tom. BP du lac Canoe Ontario.
  • Edwin Thomas et sa femme Kish Kaduk Station Lodge [Gouv?] du parc Ont connaissaient très bien Tom et étaient des amis de Tom dignes de confiance.

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  • Geo Rowe qui est très âgé maintenant était un bon ami de Tom comme plusieurs autres qui sont partis d’ici et j’ignore où ils se trouvent à présent.

J’espère ne pas vous avoir ennuyée avec cette lettre et, je vous prie d’agréer,
Madame,
mes salutations distinguées,
Mark Robinson
Garde en chef

B.P. de Brent Ont.
Via North Bay

Source: Library and Archives Canada/Bibliotheque et Archives Canada, MG30 D38 ‘Blodwen Davies fond’, Vol. 11, Mark Robinson, Lettre à Blodwen Davies, 23 mars 1930. Notes: Le document original a été retiré de la circulation. Une copie est disponible sur le microfilm C-4579

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