A.Y. Jackson, Lettre à Lawren Harris, le 26 mars 1913

Il me semble impossible de vous écrire, à vous et au Signor MacDonald, sans me forger un tout nouveau vocabulaire. Votre lettre m’est bien parvenue hier soir, accompagnée du chèque. MacDonald m’a dit que vous étiez un véritable passionné, un artiste dynamique, du genre qui peut joindre le geste à la parole et battre les Hollandais à plate couture quand l’occasion se présente, et, si je me fie à votre lettre, je soupçonne fortement MacDonald d’avoir tout à fait raison. Ces pauvres Hollandais! S’ils n’étaient pas déjà morts, je verserais quelques larmes pour eux.

Il augure que le feu sacré sera ravivé à Toronto, grâce à vos fidèles efforts, ainsi qu’à ceux de MacDonald et du millionnaire modeste. Le feu a déjà couvé à Montréal. Il se serait probablement vite propagé si on ne l’avait pas éteint à coups de briques et de fanaux, si on n’avait pas barricadé tout l’édifice avec des œuvres alimentaires, coupant ainsi toute source d’air et de lumière. Or, lorsqu’on a édifié une nouvelle galerie d’un demi-million de dollars pour héberger les miettes et les restes de l’Europe, ce feu, déjà faible, s’est éteint. Triste, n’est-ce pas?

Oui, je suis plutôt en accord avec vous. Vous n’avez qu’à ouvrir les catalogues de nos expositions pour y découvrir l’Europe et la parcourir : « Hiver en Hollande », « Printemps en Belgique », « Été à Versailles », « Automne sur la Côte d’Azur ». Seigneur Dieu! Imaginons Monet se faisant la main en Jamaïque; Picasso s’évertuant au Japon; Renoir explorant les Rocheuses canadiennes; Sisley en Sicile… Aurions-nous eu, à ce compte, les impressionnistes français?

Nous devons également nous rendre compte des restrictions imposées aux artistes de chez nous, par des gens pour qui l’art n’est rien de plus que de la simple copie. Donnez le plus possible dans le réalisme, que ce soit à s’y méprendre surtout. Peignez une grange et collez-y des brins de paille, de manière à ce qu’on ne puisse discerner le vrai du faux.

[…]

Source: A. Y. Jackson, Lettre à Lawren Harris in A Canadian Art Movement: The Story of the Group of Seven, F. B. Housser (Toronto: Macmillan Company of Canada, 26 mars 1913), 79-80

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