Leonard Rossell, Souvenirs de la Grip, des membres du Groupe des Sept et de Tom Thomson, [avant 1953]

[ Tom Thomson as a graphic artist at Grip Limited ]

Tom Thomson as a graphic artist at Grip Limited, Unknown, 1911, Archives of Ontario, F 1066-6/I0010310, Grip was a commercial design firm Thomson worked at in Toronto. J. E. H. Macdonald is in background, at end of row. A. H. Robson is likely the man seated on the left side of the image

La Grip, à l’époque à laquelle je fais référence, était l’entreprise où travaillait un groupe d’artistes plus tard destinés à influencer grandement l’art canadien.

Parmi eux, inconnus à l’époque mais désormais très familiers, se trouvaient J.E.H. MacDonald, Frederick H. Verley, Tom Thomson, Arthur Lismer, Frank Carmichael, Frank Johnston, son frère Bob et Smithson Broadhead.

M. Robson, le directeur artistique de l’époque, semblait avoir le don d’embaucher les artistes prometteurs et la Grip est devenue célèbre pour l’excellence de ses services. La bonne humeur prévalait dans la Salle de dessin et malgré tout le plaisir et les tours qu’il s’y jouait, nous arrivions à rendre un travail répondant aux plus hautes normes de qualité. Il serait difficile de trouver un groupe d’artistes aux caractères et aux points de vue plus différents. Jimmy MacDonald, comme on le surnommait alors, s’assoyait à une extrémité de la salle. […]

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Il avait l’habitude d’apporter ses esquisses au bureau et a inspiré plusieurs d’entre nous à peindre des paysages. Il est plus que probable que Tom Thomson se soit inspiré d’elles, puisque je me souviens très bien des premières esquisses de Tom. Comme les œuvres de tout débutant, les siennes n’étaient « pas terribles », mais contrairement à la majorité des débutants, il s’est amélioré rapidement; si rapidement en fait que Tom est devenu célèbre alors que la plupart d’entre nous avions encore de la difficulté à vivre de notre art.

Tom, du moins tel que je le connaissais, était aussi un homme tranquille et réservé. Il était grand, comme MacDonald; ils avaient plusieurs points en commun. En fait, ils influençaient par leur constance les esprits trop vifs et animés qui travaillaient dans la même pièce qu’eux. Tom était généreux, presque trop même, et possédait un sens de l’humour discret.

Les autres l’appréciaient généralement et il était impossible de ne pas bien s’entendre avec lui tant il était généreux et aimable. […]

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Peu de temps après mon embauche à la Grip, deux jeunes hommes sont arrivés d’Angleterre; Arthur Lismer et Smithson Broadhead. Ils étaient classifiés comme dessinateurs de personnages, puisqu’ils avaient l’avantage d’avoir reçu une formation en la matière dans des écoles d’art anglaises. Leur arrivée au sein de la Grip était une addition importante puisque MacDonald, Johnson, Tom et la plupart des autres artistes se spécialisaient en dessin. Quelque temps plus tard un autre habile dessinateur de personnage, Horsman Frederick Varley, est venu d’Angleterre pour travailler à la Grip. Il était malin d’attirer tous ces hommes talentueux à la Grip Limited. Je crois que M. Robson possédait un sixième sens; il arrivait à attirer tous les meilleurs talents à la Grip. Et, qui plus est, il les a gardés auprès de lui tout le temps où il a été directeur artistique. Lorsqu’il a quitté son emploi pour se joindre à la Rous and Mann, les artistes l’ont suivi et la Grip Limited a perdu la bonne réputation qu’elle avait depuis si longtemps. Je crois que l’un des secrets du succès de M. Robson était que les artistes sentaient qu’il s’intéressait à eux personnellement et qu’il faisait tout ce qu’il pouvait pour aider à leur progression. Les employés se voyaient accorder du temps pour poursuivre leurs études à l’école d’art ou suivre des cours particuliers. Certains d’entre nous ont pris des leçons de peinture de paysage, d’illustration, de peinture de portraits données par des artistes tels Beatty, Jefferies et autres. Pour autant que je sache, Tom Thomson n’a jamais pris de leçon de qui que ce soit, et pourtant il progressait plus rapidement que n’importe lequel d’entre nous. Mais ce qu’il faisait lui était probablement plus profitable. Il prenait plusieurs mois de congé en été et les passait au parc Algonquin. Il n’a

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jamais beaucoup aimé la vie en société. Je ne veux pas dire par là qu’il n’était pas sociable, puisque ceux qu’il appelait ses amis n’auraient pas pu espérer meilleur ami. Après qu’il eût commencé à peindre toutefois, cette activité a semblé l’absorber au détriment de tous ses autres intérêts. C’est, je crois, une des raisons pour lesquelles ses progrès ont été si phénoménaux. Pendant que le reste d’entre nous avions du plaisir dans des fêtes, au théâtre, etc., lui passait son temps à travailler. Les premières esquisses qu’il a réalisées, comme je me les rappelle, étaient peintes dans des tons profonds et, même si elles témoignaient d’un bon talent, elles étaient plutôt sombres et peu attrayantes. Je me souviens avoir apporté plusieurs années plus tard les œuvres que j’avais créées durant l’été pour qu’il en fasse une critique et il m’avait dit qu’elles lui rappelaient ses premières œuvres. Il m’avait conseillé d’utiliser des couleurs plus pures et plus claires lorsque je peignais.

Chaque été, Tom retournait au parc Algonquin et en revenait avec un nombre x de petites esquisses, vraisemblablement faites très rapidement. Je n’ai jamais connu quelqu’un ayant une telle facilité à saisir les humeurs de la nature et à les rendre avec autant de simplicité. Son sens de la couleur était si fort que dès qu’on voyait une de ses esquisses on sentait qu’elle était réaliste et qu’il était impossible de la critiquer. Personnellement, j’avais l’impression que ses etites [petites] esquisses faites en nature étaient plus réalistes que ses grandes toiles et c’est pourquoi je les préférais.

Il faisait ce que si peu de personnes arrivent à faire : se concentrer sur une seule chose. Pour y arriver, il a tout sacrifié : l’argent, la compagnie de ses amis, le confort et bien d’autres choses sans lesquelles plusieurs n’arriveraient pas à vivre.

Il était un dessinateur talentueux et aurait pu obtenir un bon salaire, mais il était heureux de ne pas avoir un sou si cela lui permettait de se consacrer à la peinture.

Heureusement, il avait des amis qui reconnaissaient son génie. Ils ont réussi tant bien que mal, par

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différents moyens, à s’assurer qu’il ne manque de rien d’essentiel, parce que Tom était de nature indépendante et qu’il était beaucoup plus enclin à donner qu’à recevoir. […]

Il commençait à planifier ses voyages estivaux bien avant le temps. Au bureau, nous avions de grandes discussions sur la valeur relative d’une tente, de l’équipement de pêche, etc.; Tom était un expert en tout ce qui a trait au camping et à la forêt. Il pouvait faire entrer tout son équipement de camping et de peinture, etc., etc. dans les plus petits bagages. Il savait tout ce qu’il y a à savoir sur les meilleures cannes à pêche et les meilleures mouches. En fait, il se faisait un peu d’argent en servant de guide en forêt dans le parc Algonquin. Il va sans dire qu’il était un canoteur expert. Alors que les moustiques bourdonnaient autour de sa tente en soie, lui, à l’intérieur, peignait les humeurs de la nature.

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Il acceptait tout ce qu’on lui proposait lorsque ses économies commençaient à baisser. Il a aidé à bâtir plusieurs cabanes en bois rond dans le parc.

Je crois qu’il trouvait très ennuyeux de travailler dans un bureau, même s’il n’en a jamais parlé. Il était un véritable enfant de la nature et n’était jamais aussi heureux que lorsqu’il était en communion avec elle. En effet, sa personnalité semblait être en parfaite harmonie avec elle, sinon, comment aurait-il pu en saisir toutes les humeurs véritables? Avec lui est disparu un véritable artiste, une personnalité unique et un bon ami.

Source: Library and Archives Canada/Bibliotheque et Archives Canada, MG30 D284 Tom Thomson Collection, NO. T485 .R82, Leonard Rossell, Souvenirs de la Grip, des membres du Groupe des Sept et de Tom Thomson, Before 1953, 1-6

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