A. Y. Jackson, « Le pays d’un peintre – Peintre de guerre », The Autobiography of A. Y. Jackson [L’autobiographie d’A. Y. Jackson], 1958

[1916]

Un soir, le sergent-major est venu dans mon baraquement.

« Un officier veut te voir, Jackson, dans mes quartiers », a-t-il dit.

C’était le capitaine Fosbery d’Ottawa. Je me suis tenu au garde à vous et je l’ai salué. « Oubliez tout ça, Jackson, nous sommes entre artistes. » Il m’a parlé du Bureau canadien des archives de guerre qui était formé pour documenter visuellement les accomplissements du Canada dans cette guerre. On avait envoyé Fosbery, qui avait été blessé, voir lord Beaverbrook, l’organisateur du Bureau canadien des archives de guerre. Tous les artistes qui avaient été engagés jusque là étaient britanniques; Fosbery avait suggéré à lord Beaverbrook de donner leur chance à des artistes canadiens. […]

Quelques jours plus tard, j’ai reçu l’ordre de me rapporter à London pour un entretien avec lord Beaverbrook. […] J’ai attendu dans le Bureau des archives de guerre jusqu’à ce que Beaverbrook arrive. La conversation qui a suivi fut brève.

– Alors, vous êtes artiste? Êtes-vous un bon artiste?

– Ce n’est pas moi qui peux répondre à cette question, Monsieur.

– Avez-vous quelques-unes de vos œuvres avec vous?

– Je suis dans l’infanterie depuis deux ans et je ne peux pas les traîner avec moi.

– Pouvez-vous trouver une de vos œuvres?

– Il y en a peut-être quelques exemples dans le Studio.

– Le Studio? Qu’est-ce que c’est que ça?

Je lui ai expliqué que c’était un magazine d’arts et il m’a conseillé d’essayer d’en trouver quelques copies.

[…]

Je me suis rendu aux bureaux du Studio où un commis serviable a cherché quelques vieux numéros contenant des articles sur mes œuvres et je les ai apportés à l’hôtel où résidait Sa Seigneurie pour les lui montrer. Les critiques étaient très flatteuses et il en a été impressionné.

[…]

Ma première tâche en tant que peintre de guerre canadien m’a prouvé, à tout le moins, que la procédure militaire avait cours jusque dans les archives de guerre. L’adjudant m’a envoyé chercher un après-midi. Je suis allé à son bureau, me suis tenu au garde à vous et l’ai salué.

– Peignez-vous des portraits, Jackson? a-t-il demandé.

– Non Monsieur, je peins des paysages.

– Eh bien, quoi qu’il en soit, nous voulons que vous vous rendiez à Earl’s Court No 3; il y a là un grand studio qui a été repris par le Bureau canadien des archives de guerre. Vous y trouverez des toiles, de la peinture, tout ce dont vous avez besoin. Vous rencontrerez aussi le caporal Kerr, C.V., du 49e bataillon. Nous voulons que vous peigniez son portrait. » […] La presse avait annoncé que le portait de tous ceux qui avaient été décorés de la Croix de Victoria serait peint par de grands artistes britanniques. Au-dessus de moi planait la menace de retourner dans l’infanterie si je n’accomplissais pas avec succès cette première mission. […]

Il était difficile pour les peintres de guerre de trouver un sujet. Il n’y avait rien pour nous guider. La guerre se passait sous la terre et il y avait peu de choses à voir. Les anciens héros, la mort et la gloire, tout ça avait disparu à jamais. […] Je n’étais pas intéressé à peindre les horreurs de la guerre et j’ai gaspillé plusieurs toiles. […] La peinture factuelle était révolue et avait été remplacée par la photographie. […]

Source: A. Y. Jackson, "Le pays d’un peintre – Peintre de guerre," (: , 1958), 36-39

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