Charles F. Plewman, « Réflexions sur le décès de Tom Thomson », Canadian Camping Magazine, hiver 1972

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Bien des choses ont été dites au sujet du mystère entourant la mort de Tom Thomson et, au fil du temps, les mythes continuent de s’amplifier.

Malgré que j’aie été présent à ses funérailles et que j’aie été son porteur, je me suis abstenu jusqu’ici de faire quelque déclaration que ce soit.

Le temps est peut-être maintenant venu pour moi de faire la lumière sur le sujet.

Quand je suis arrivé à Mowat Lodge, dans le parc Algonquin, pour un séjour de deux mois en juillet 1917, le corps de Tom venait tout juste d’être retrouvé. Ma santé avait décliné et on m’avait d’abord recommandé de loger à Nomenigan Lodge, mais Taylor Statten, qui avait mon bien-être à cœur, a pris des dispositions pour que j’aille à Mowat Lodge.

Avant mon arrivée, je n’avais aucune idée de l’atmosphère tendue dans laquelle j’allais être plongé. Je ne savais absolument pas qu’il s’était passé quelque chose d’extraordinaire et j’ai par conséquent été surpris de découvrir que tout le monde parlait de la récente découverte du corps d’un homme appelé Tom Thomson.

Il y avait plus d’une semaine que son canot avait été retrouvé à l’envers et on avait cherché le corps en vain. Comme personne ne l’avait trouvé, on en était venu à la conclusion qu’il ne s’était peut-être pas noyé. Autrement, a-t-on déduit, on aurait déjà retrouvé le corps.

Contrairement à ce que plusieurs personnes croient, Tom a trouvé la mort peu après avoir quitté Mowat Lodge, j’entends en moins d’une heure, ou tout au plus, en deux ou trois heures et cela en dépit du fait qu’on le cherchait depuis 8 jours. Son corps, libéré d’une quelconque façon de l’ancrage qui le retenait sous l’eau, a été découvert à proximité de Mowat Lodge.

George, le frère de Tom, s’était rendu sur place la semaine précédant mon arrivée et s’attendait à ce qu’après plus de quatre ou cinq jours d’absence, Tom ait été retrouvé, mort ou vif.

L’enterrement de Tom Thomson a été un évènement des plus tristes. Le ciel était sombre et il pleuvait. Tous les éléments d’une cérémonie funèbre célébrée dans le fond des bois étaient réunis. En tant que porteur, je me suis retrouvé avec les autres à l’extérieur de Mowat Lodge et j’ai soulevé le cercueil de bois pour le déposer dans un charriot tiré par un cheval. Puis nous avons formé une file derrière le véhicule alors qu’il se rendait jusqu’au petit cimetière situé sur une petite colline non loin de là.

Peu de gens s’étaient rassemblés autour de la tombe, peut-être 12 ou 13 personnes. Aucun membre de sa famille immédiate n’était présent, ni aucun de ses amis avec qui il avait peint. Quant au prêtre, il n’y en avait pas. Les Statten, dont la cabane était située près de là, étaient absents, apparemment partis sans savoir qu’il y avait des funérailles tout comme c’était le cas, j’imagine, pour ses autres amis.

Mark Robinson, le garde forestier, semblait être le responsable. En apparence, il donnait l’impression de ne pas avoir eu de nouvelles de la famille depuis la découverte du corps ou ne pas avoir reçu d’instructions sur ce qu’il fallait faire avec la dépouille. On m’a dit par la suite qu’on avait tardé à prévenir la famille.

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La famille Thomson qui vivait à Leith n’a appris que le corps de Tom avait été retrouvé que tard dans la nuit du mardi 17 juillet 1917. Sa dépouille avait été enterrée environ dix heures plus tôt au lac Canoe. La famille a immédiatement décidé d’exhumer le corps et de le faire transporter à Owen Sound pour l’inhumer dans le lot familial de Leith.

Quand je suis revenu à Mowat Lodge, je ne me doutais absolument pas que nous venions tout juste d’enterrer un homme que l’on considère aujourd’hui comme l’un des plus grands artistes canadiens.

Considérant ce dont j’ai été témoin ce jour-là, il aurait aussi bien pu être « L’inconnu » du parc Algonquin.

Tout ce qui s’est passé le jour de son enterrement semblait si peu important et si banal que j’aurais été absolument renversé si quelqu’un avait pu me dire que cet évènement allait susciter autant d’intérêt 55 ans plus tard.

Mlle Winnie Trainor, la petite amie de Tom qui était originaire de Huntsville et dont les parents avaient un cottage au lac Canoe en face de Mowat Lodge, s’est présentée le jour où le corps a été retrouvé et a demandé la permission de voir la dépouille, affirmant qu’il devait y avoir eu acte criminel car elle était certaine que Tom n’avait pu se noyer accidentellement dans un lac aussi petit que le lac Canoe. Mark Robinson lui a catégoriquement refusé cette permission. (Le corps était demeuré dans le lac pendant environ huit jours et n’était pas vraiment présentable.)

Après les funérailles, Shannon Fraser qui dirigeait Mowat Lodge où Tom avait séjourné, et qui connaissait Tom mieux que quiconque, m’a confié ce qui s’était réellement passé, selon lui.

Ceci était parfaitement normal, étant donné que les rumeurs allaient bon train à savoir comment un homme aussi habile que Tom pour manier un canot aurait pu s’être noyé par accident dans un si petit lac. Je n’aurais absolument pas pu prévoir l’importance qui est maintenant accordée à son décès. C’est pourquoi je n’ai pas demandé davantage d’information que celle que Shannon m’a donnée.

Shannon a dit qu’au départ, il ne s’était pas du tout inquiété du fait que Tom ne soit pas de retour à temps. Avant son départ, Tom lui avait dit la même chose qu’il lui avait très souvent dit auparavant, c’est-à-dire : « Ne t’inquiète pas si je tarde à revenir ».

Shannon a ajouté que Tom Thomson était fiancé avec Mlle Trainor. Elle le pressait de se marier au plus vite. Il a laissé entendre qu’au cours de la semaine fatale, elle devait venir voir Tom pour le confronter.

Il a mentionné que Tom était une personne timide et sensible et qu’il ne se sentait tout simplement pas à la hauteur de cette situation. L’impression que m’a donnée Shannon était que Tom en était venu à la conclusion qu’il n’était pas fait pour le mariage, mais qu’il n’arrivait pas à le dire à Mlle Trainor.

Se rappelant que Tom avait dit de ne pas s’inquiéter s’il ne revenait pas à temps, Shannon a dit que cela lui avait donné l’impression que Tom prévoyait faire quelque chose plus tôt mais qu’il n’avait jamais réuni suffisamment de courage pour concrétiser son intention.

À la lumière des conversations que j’ai eues avec Shannon, il était sûr de savoir ce qui s’était réellement passé. J’ai appris depuis qu’il avait exprimé la même opinion à George Thomson.

Durant le reste de l’été que j’ai passé à Mowat Lodge, à aucun moment Shannon ne m’a dit quoi que ce soit à propos d’acte criminel, pas plus que je n’ai entendu quelque chose du genre, à part la remarque que Shannon avait dit avoir entendue de la bouche de Mlle Trainor lorsqu’ils avaient retrouvé le corps.

Quelqu’un m’a cependant donné l’impression que Tom Thomson était un pacifiste en quelque sorte et n’était pas intéressé à participer à la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, il avait même abandonné la chasse.

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Quant au squelette qui a récemment été déterré au lac Canoe et que certains croient fermement être celui de Tom Thomson, je suis fortement convaincu que c’est celui d’un Indien. C’était aussi le verdict des experts en la matière. Par ailleurs, on m’a dit qu’un Indien avait été enterré dans ce cimetière vers 1894 et probablement d’autres personnes également.

Cinquante-cinq ans, c’est bien loin pour se rappeler avec exactitude ce qui s’est passé à l’époque, mais à ma connaissance, je dirais que nous avons enterré Thomson à l’intérieur de la zone entourée d’une petite clôture. Le squelette qui a été déterré a été découvert à l’extérieur, et non à l’intérieur, de cette clôture. Quoi qu’il en soit, il est difficile d’imaginer quel mobile ultérieur ait pu avoir l’entrepreneur de pompes funèbres pour ne pas suivre les instructions de la famille d’envoyer le corps à Owen Sound pour l’inhumer dans le lot familial de Leith. Après tout, c’est dans ce but qu’il est venu au lac Canoe.

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D’ailleurs, Mowat Lodge était rempli de croquis de 81/2” x 101/2” que Tom avait peints. J’aurais pu les avoir pour environ dix sous la douzaine. En fait, les quelques personnes qui achetaient ses toiles à l’époque ne payaient que dix ou quinze dollars pour un original de Tom Thomson.

Si j’avais remonté le ruisseau, j’aurais pu récupérer quelques-unes des toiles que Tom avait détruites et jetées.

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Pendant plusieurs années, je me suis abstenu de révéler ces renseignements. Entre-temps, toutes sortes de rumeurs ont circulé concernant la cause de sa mort et son enterrement. À l’âge de 82 ans, j’ai le sentiment que je dois maintenant révéler ce que je sais. Il est très possible que je ne sois pas la seule personne encore vivante ayant participé à l’enterrement de Tom Thomson dans le parc Algonquin et à qui, à l’époque, Shannon Fraser ait parlé de la cause du décès de Tom Thomson.

Source: Charles F. Plewman, "Réflexions sur le décès de Tom Thomson," Canadian Camping Magazine, 1972

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