Souvenirs de Sylvia Stark, 3e partie

Notes établies par Marie Albertina Stark, devenue Mme Wallace, à partir des souvenirs de sa mère, Sylvia Stark, née esclave dans le comté de Clay, au Missouri, puis établie dans l’île de Saltspring avec son mari, Louis Stark, et leur famille au cours de l’année 1860, à titre de colons.

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Dans les souvenirs de Mme Stark, il y avait six familles de couleur dans l’île de Saltspring en 1860 quand les Stark y arrivèrent. Elle disait qu’il y avait deux personnes de couleur qui étaient très âgées qu’on appelait Papy Jackson et Mamie Jackson. Mamie Jackson avait 112 ans et Papy Jackson en avait 114. Ils ne demeurèrent pas longtemps à Saltspring.

Quand Sylvia Stark vit pour la première fois sa nouvelle demeure dans l’île, elle aperçut une cabane de rondins non finie entourée d’arbres et d’épais buissons. Cela n’avait rien d’encourageant. Il allait falloir travailler et Sylvia serait mise à contribution. Mais il y avait une pensée réconfortante au milieu de cette nature sauvage. Cet endroit était à eux et il était synonyme de liberté. Cette seule pensée suffisait pour stimuler les colons de couleur à cette époque.

Ils tendirent une courtepointe en guise de porte d’entrée et les voisins vinrent leur prêter main forte pour construire un toit afin de les protéger de la pluie. Sylvia ne s’était pas encore remise du choc de leur arrivée. Il lui était difficile de s’habituer à cet environnement sauvage. Elle se sentait seule dans cet endroit isolé passablement loin de la colonie.

On n’avait alors accès à aucun médecin. Sylvia, qui était encore adolescente, avait grand besoin des conseils et de l’amitié d’autres femmes. La première fois où elle resta seule avec ses deux petits enfants, elle pleura à chaudes larmes. Pour la consoler, son fiston Willis lui avait dit, en lui caressant doucement la tête : « Ne pleure pas, maman! Rentrons chez nous. » La Californie était le seul chez-lui qu’il connaissait.

Mais les choses allaient bientôt changer pour Sylvia : elle allait trouver la paix auprès d’un réconfortant Sauveur. Elle allait comprendre pourquoi sa mère allait se cacher dans la vieille remise pour prier. Elle restait souvent seule avec les enfants. On ne pouvait autrement. Dans une certaine mesure, ses voisines vivaient une situation semblable lorsque leurs maris se rendaient au village pour ramener des provisions.

Repensant à ces jours sombres, Sylvia disait souvent : « Je vois maintenant que la main de Dieu me guidait au travers de toutes mes difficultés et me menait vers une meilleure vie. » Puisque son mari n’était pas très compréhensif, Sylvia faisait ses prières en cachette dans le bois, même si des animaux sauvages rôdaient aux alentours. À cette époque, on trouvait dans l’île des ours noirs, des couguars et même des loups. Mais Sylvia invoquait le Dieu de Daniel. Les buissons ne l’effrayaient pas devant l’appel de la prière.

Puis un jour qu’elle était étendue sur le lit, plongée dans de sombres pensées, les mots suivants lui sont venues à l’esprit : « N’aie pas peur, car je suis avec toi. »

On retrouve ce passage dans

Isaïe, chapitre 41, verset 10.

Ces mots la remplirent de joie. C’était la réponse à ses prières. Dans cette île sauvage et non conquise, elle avait trouvé une nouvelle vie. Elle ne pouvait lire la Bible ni la comprendre sans l’aide de ces fervents missionnaires de l’Église méthodiste wesleyenne qui rendaient visite aux colons et leur lisaient la Bible, leur proocurant ainsi un précieux soutien.
Quatre mois après leur arrivée dans l’île de Saltspring, la famille Stark eut un deuxième fils qu’on appela John Edmond. John adorait l’aventure. Il reprit le chemin là où ses parents l’avaient quitté et se rendit vers le nord pour travailler comme prospecteur et minéralogiste.

C’est entre 1867 et 1868 que M. Estes vint à Saltspring pour s’occuper de la ferme des Stark dans la montagne. C’était nécessaire non seulement pour assurer les droits de préemption mais aussi parce qu’il fallait faire certaines tâches pour rendre l’endroit plus sécuritaire. Il était accompagné de son ami Jiles [Giles] Curtis. Mme Estes était restée à Saanich en raison de sa santé fragile. Estes et Curtis restaient ensemble, et ce, pour des raisons de sécurité. Mais l’ombre de l’Indien semblait destinée à franchir tragiquement le seuil de cette maison dans la montagne.

C’était un dimanche. M. Curtis ne se sentait pas bien et il n’accompagna pas M. Estes à l’église. M. Estes était très réticent à le laisser seul pour se rendre à l’église. Il ne manquait jamais un service à moins d’en être forcé. Mais pendant qu’il était à l’église, il ne se sentait pas à l’aise et partit avant la fin du service.

En s’approchant de la clôture entourant la maison, il vit que la barrière était ouverte. Il était pourtant de l’avoir fermée. Un peu plus loin, un oreiller avait été échappé par terre comme si quelqu’un avait battu précipitamment en retraite. Ces signes lui suffisaient. Il se rua vers la cabane, où il aperçut Curtis de dos, toujours assis sur la chaise. Quand il l’appela, il n’eut aucune réponse. Curtis était mort. La chaise sur laquelle il était assis appartenait aux Stark. Je me rappelle avoir vu sur le dossier de cette chaise le trou de la balle qui avait enlevé la vie à Curtis. La maison avait été dépouillée de tous ses objets de valeur.

S’il était resté, M. Estes aurait peut-être été tué lui aussi, car les Indiens se déplaçaient en bandes.

Un indigène du nom de Willie fut arrêté. C’était l’homme qui avait menacé Stark à la pointe de son fusil. Sa femme affirma qu’elle dirait ce qu’elle savait si la loi la protégeait. Comme elle était restée à surveiller les canots, tout ce qu’elle pouvait affirmer, c’est qu’elle avait vu les biens volés qu’on avait rapportés. Elle connaissait les intentions des coupables, mais n’avait pas été témoin du meurtre.

Willie avait subi plusieurs procès où la peine de mort pesait sur lui, mais on aurait dit qu’il était protégé par un bon sort. Il ne se rendit jamais à la potence. Après ce procès, sa femme disparut soudainement.

Au début des années 90, je vis Willie qui vendait du poisson en pagayant son propre canot. Un vieillard me dit qu’il se vantait d’avoir tué 30 personnes.

Après la mort de Curtis, H. Estes rentra chez lui à Saanich. [1868]

Mon père et les garçons travaillaient d’arrache-pied à manier la hache, la scie et la tarière mais ils eurent tôt fait de défricher autour de la maison. Ils abattaient les arbres, perçaient des trous de chaque côté de l’arbre et allumaient un feu dans les trous. La distance entre les trous était de la longueur d’un pieu. Une fois le tronc brûlé, ils fendaient le bois pour en faire des pieux pour les clôtures. L’herbe sauvage des prés était coupée et séchée pour nourrir le bétail l’hiver, bien qu’on ait vite commencé à cultiver leur propre fourrage dans un grand champ autour de la maison. On nourrissait les bœufs avec du navet et du son. On n’avait encore jamais entendu parler d’attaques de félins. Mais avant que notre pré entourant le lac ne soit défriché, il semble que c’était un lieu de reproduction des couguars. Un soir, alors que la ferme était encore en friche, nous étions assis dehors pour prendre le frais. Un son surnaturel s’éleva du pré dans le lointain. C’étaient les cris de jeunes couguars. C’était comme le cri étrange que font les animaux sauvages dans le [illisible], un son qui était difficile à oublier.

Un dimanche, alors qu’on avait déjà défriché quelques parcelles de terre et que les rondins fumants et les broussailles en feu parfumaient l’air, ma sœur Serene et moi, on alla se promener sur la colline couverte de mousse surplombant la prairie. On se reposait tranquillement sous les chauds rayons du soleil quand on entendit ce qu’on crut être le miaulement de notre chat auquel on répondit. On l’entendit une deuxième fois et on lui répondit à notre tour. Puis, un long silence.
Soudain, on entendit un [grognement?] fort et horrifiant venant du buisson juste de l’autre côté du chemin. On ne répondit pas à celui-là. (Pour utiliser l’expression de notre frère John) on se leva et on s’envola. On avait appelé une panthère. On ne s’arrêta qu’une fois rendues à la maison.

Un homme de couleur de Caroline du Sud du nom d’Overton, qui était venu dans l’Ouest dans l’espoir d’améliorer sa condition, avait débarqué à Saltspring avec seulement 79 sous en poche. Nous l’aidâmes à s’installer près [illisible] Stark. Il réclama aussi un titre de propriété sur [illisible] où il pourrait travailler avec Stark. Il se sentait redevable envers Stark, car l’avait aidé au moment où il était dans le besoin. Il possédait lui aussi une propriété avec un pré et un lac, tout comme Stark et Richardsons, mais le pré où Overton cultivait son jardin potager était assez loin de sa maison.

Il lui arrivait de rentrer très tard chez lui. Souvent, les gens qui venaient le voir s’asseyaient sur le pas de sa porte pour attendre son retour.

Un soir, il rentra tard. La lune brillait doucement. Au moment où il franchissait l’échalier entourant sa cabane, il aperçut ce qui lui sembla être un gros chien venant vers lui. Croyant que quelqu’un l’attendait à sa porte, il s’écria à haute voix : « Appelez votre chien, s’il vous plaît! » Il n’eut pas de réponse. Alors, il prit peur. Mais en un éclair l’animal avait sauté par-dessus l’échalier et avait disparu.

Il se rendit alors compte à quel point il était proche d’une panthère. On appelait les couguars des panthères à cette époque. Il eut bien du mal à dormir cette nuit-là. Le lendemain matin, au réveil, il était au lit à attendre le chant du coq. Inquiet de ne rien entendre, il se rendit au poulailler. Il manquait [20?] poules, incluant le coq.

Grâce aux chiens de Stark, on réussit à trouver les poulets dans un boisé dans sa [ferme?], la gorge tranchée et vidés de leur sang.

À plus d’une reprise, Sylvia dut être sa propre infirmière ainsi que son propre médecin. Parfois, son mari lui apportait une aide précieuse. Puis une amie qu’elle avait connue en Californie venait l’aider et Sylvia lui venait en aide à son tour.

À cette époque, elles étaient les seules infirmières aux alentours. Il n’y avait pas non plus de magasin dans l’île. Les colons se servaient des sacs de farine vides, qui s’avérèrent très utiles pour fabriquer divers vêtements. Quand il manquait à Sylvia une pièce, elle rapiéçait la salopette de son mari avec un sac de farine. Quand cette pièce était usée, elle ajoutait une nouvelle pièce par-dessus la première, si bien que, comme elle le disait, le pantalon finissait par se tenir debout tout seul.
Ils travaillaient très fort à cette époque et enduraient de terribles épreuves. C’était le prix de la liberté, mais ils étaient fiers et heureux de leurs accomplissements.

Il n’y avait pas de tracteurs. Stark s’en construisit un lui-même. Il prit un tronc d’arbre en forme de V et mit un coutre à une extrémité et des pointes de chaque côté. On l’appelait le traîneau. Tiré par deux bœufs, il était efficace pour dessoucher et cultiver la terre.

Stark avait été élevé dans une ferme fruitière au Kentucky. Il enta et planta des arbres fruitiers entre les souches. Son projet était de voir les arbres fruitiers prendre racine pendant que les souches se décomposaient, car ainsi elles seraient plus faciles à enlever.

Ils eurent bientôt défriché assez de terrain pour cultiver des grains destinés à leur propre consommation. Ils possédaient aussi des poulets, des dindons et des porcs. Les ours attrapèrent quelques pourceaux et les dindes retournèrent à l’état sauvage. Lorsqu’ils voulaient manger de la dinde, ils devaient les chasser dans les arbres. Dans les montagnes vivaient des outardes et des grues sauvages. Ces oiseaux y faisaient leur nid. Mais à mesure que plus de colons s’installaient, ces oiseaux sauvages s’en allaient vers des régions plus sauvages. Il n’y avait pas de bateau qui desservait l’île régulièrement. Pour aller chercher des provisions, les colons devaient utiliser des canots indiens ou des bateaux à fond plat. Une fois, M. et Mme Stark accompagnés de leurs trois enfants revenaient de Victoria dans une de ces embarcations. Soudain, une tempête s’est levée et le bateau a failli chavirer. Stark dut utiliser toute sa force et son habileté pour le garder à flot tandis que Mme Stark se battait désespérément pour ne pas laisser l’eau agitée les engloutir.

Ils étaient tous trempés jusqu’aux os quand ils gagnèrent finalement gagné la terre ferme, heureux d’être en vie. Mme Stark s’effondra et Stark dut conduire les enfants jusqu’à la maison et aller chercher une chaise pour la ramener. C’était en 1863.

Le premier bateau à desservir l’île était le S.S. Douglas. Il venait une fois par mois. Peu de temps après la dangereuse expédition naquit le plus jeune fils de la famille. À ce moment-là, il avait un docteur anglais à la retraite qui vivait dans l’île. Il dit que l’enfant aurait toujours une santé fragile. Seule une mère peut comprendre ce que c’est que de porter un tel fardeau. Il lui faudrait une foi ardente.

[illisibles] petite vérole

de Colombie Britannique se propagea dans les îles. Les Indiens devinrent la [proie?] de la maladie. Quand l’un d’eux tombait malade dans le camp, les autres s’enfuyaient car ils n’avaient aucun moyen de combattre la maladie. Cela contribua à propager l’épidémie.

M. Stark se fit vacciner de même que toute sa famille. Environ à ce moment, le bétail sortait du bois pour revenir vers la maison. Selon son habitude, il alla à leur rencontre pour les nourrir de façon à les encourager à rentrer de leur propre gré. Pendant qu’il était dehors, il se mit à pleuvoir. Affaibli par la vaccination, il était trempé et prit froid. Il vint ensuite se réchauffer auprès du feu que sa femme avait fait. Il se mit alors à délirer. Sa femme l’alita et lui servit des boissons chaudes. Pendant quelques semaines, il était si délirant qu’elle n’osait le laisser seul avec les enfants pour aller chercher le médecin.

Il y avait 14 vaches à traire, des pourceaux et des poules à nourrir, sans compter ses tâches habituelles et le soin des enfants. On se demande comment elle réussit à tout faire. Le bras de son mari était très enflé. Elle avait essayé sans succès tous les remèdes qu’elle connaissait pour faire diminuer l’enflure. Quand il reprit conscience, il crut que son bras était une bûche reposant à ses côtés. Il demanda à Sylvia d’aller chercher le médecin.

Elle dit à [Erie?], âgé de 6 ans, de s’occuper du bébé et de ne pas laisser son frère Willis sortir à cause des panthères. Puis elle se mit en route vers la colonie.

Un homme de couleur appelé Bruckner [Buckner?] vivait là où se trouve aujourd’hui le terrain de golf. Il fit monter le médecin et Mme Stark dans sa charrette pour les conduire jusqu’à la maison des Stark. Le docteur Hog dit que M. Stark avait la varioloïde. Il prescrivit d’envelopper son bras dans l’argile fraîche prise au fond du ruisseau. Ce remède le soulagea rapidement et fit disparaître l’enflure. Il resta avec un bras plus petit que l’autre. Mais il regagna ses forces.

Le docteur Hog était un médecin anglais à la retraite. D’après les souvenirs de Sylvia, il fut le premier médecin à Saltspring. Il y exerçait sans profession sans nul doute parce que les gens en avaient tellement besoin, mais il s’avéra être un médecin de première classe, même s’il était manchot.

Il vivait seul dans une petite maison surplombant le pré jouxtant la propriété où se trouve aujourd’hui la gare maritime. Il avait planté des navets dans les [illisible] de l’autre côté de la route. Un jour qu’il regardait du haut de son terrain vers le jardin, il aperçut un indigène en train de cueillir ses navets. Quand il s’y opposa, l’homme l’attaqua et l’aurait tué si le médecin n’avait pas réussi à se réfugier dans sa maison et à verrouiller la porte. Il apercevait l’indigène qui le menaçait de son poing par la fenêtre. Quelques jours plus tard, on retrouva le corps sans vie du médecin en dehors de sa cabane. Il aurait pu s’en tirer s’il avait quitté sa cabane par mesure de sécurité. L’auteur de ce crime était un homme du nom de Willie. Un indigène dont [on?] disait qu’il était protégé par un bon sort. Étrangement, on ne l’a jamais capturé.

Mme Stark ne ménageait aucun effort pour rendre la vie domestique dans sa maison. Elle cuisinait un met appelé «hominy» à partir du blé et du maïs qu’ils cultivaient eux-mêmes. Parfois, on remplaçait le pain par du blé bouilli. Lors de leurs visites, les missionnaires mangeaient aussi ce blé bouilli, mais le « hominy » était un mets rare [illisible] gibier à ces ministres. Quand elle tenta de moudre du blé dans un moulin à café, elle avait réussi à faire du bon pain de blé complet.

Le travail de ces premiers ministres du culte, tout comme celui des colons, était semé de périls et d’épreuves. Ils faisaient de longs trajets sur l’eau souvent par gros temps à bord de canots indiens et acceptaient avec joie et gratitude l’humble logis que leurs pauvres paroissiens étaient en mesure de leur offrir, en s’adaptant, partageant les épreuves de leurs [paroissiens?].

Voici les noms de quelques-uns de ces ministres wesleyens à Saltspring.

M. Thomas Crosby, missionnaire pendant de nombreuses années chez les Indiens de Fort Simpson, C.-B.
Révérend Père Sexsmith
Révérend Père White
M. Cornelius Bryant

M. Ebenezer Robson, qui était arrivé dans l’île en 1861, était un autre remarquable ministre de l’Évangile. Quand il rendait visite aux Stark, il refusait le lit plus confortable qu’on lui offrait. Il disait qu’il ne fallait pas dévêtir Pierre pour habiller Paul. Il préférait dormir sur une paillasse à même le sol. Il participait aux activités de la maison, coupait du bois, allait chercher de l’eau fraîche au ruisseau et trayait même les vaches tandis que Mme Stark était occupée à faire à manger. Il adorait les palourdes frites. Il allait s’asseoir sur la plage et attendait que la marée descende afin de ramasser les palourdes.

M. Cornelius Bryant avait été le premier à se joindre à l’Église méthodiste pionnière de Nanaimo. Il avait apporté ses [titres?] d’Angleterre avec lui. Il avait aussi mis sur pied un groupe de jeunes bénévoles pour aider l’église, qu’on appelait « le groupe de l’espoir ». Parfois, il rendait visite à la famille Stark en compagnie de sa femme. Il s’intéressait beaucoup aux jeunes. Il montra à [Erie?], l’aîné de la famille, à jouer de l’orgue.

M. [Roper ?] n’était pas le moindre de ces ministres de la première heure. Il n’avait pas été [ordonné?] ministre, mais il remplaçait gentiment le ministre en chaire en son absence. Un jour que Stark lui avait offert de lui cirer ses bottes avant d’aller à l’église, Roper s’était bien amusé en constatant que ses bottes étaient enduites de graisse de panthère. Une [illisible] école dans une cabane de rondins au [illisible] au centre de l’île de Saltspring servait d’église aux [ministres?] méthodistes. Un homme de couleur [illisible] l’école du dimanche et un autre homme de couleur, John Jones, était maître d’école durant la semaine.

Les trois plus vieux enfants des Stark ont commencé l’école dans cette cabane de rondins. Ils devaient emprunter un sentier qui traversait une dense forêt pour rentrer jusque chez eux dans la montagne. Un jour qu’ils revenaient de l’école, les deux plus vieux des enfants entendirent un grognement furieux venant des buissons longeant la route. C’était peut-être une panthère. Ils ne la virent pas et n’avaient pas non plus envie de la voir. Ils coururent jusqu’à la maison. Mais lorsque leur père prit son fusil et partit à la recherche de l’animal, il était introuvable. Au cours des treize ou quatorze ans où les Stark vécurent dans l’île de Satspring, les meurtres de colons par les Indiens se poursuivirent. Plusieurs personnes de couleur perdirent ainsi la vie.

Deux hommes de couleur, M. Robinson et Giles Curtis, furent assassinés en 1867 ou 1868. Il y a une pierre dans le cimetière des pionniers qui marque la tombe de Giles Curtis en 1868.

M. Robinson, un très dévoué enseignant à l’école du dimanche, chantait souvent cette vieille chanson à ses élèves : « Enfants du roi des Cieux, chantons en chemin », avec tous les trémolos typiques d’un spiritual. J’ai souvent entendu ma mère la chanter. Elle l’avait apprise dans cette vieille école de rondins et ne l’avait jamais oubliée. Un dimanche, il la chanta pour la dernière fois aux braves enfants de ces braves pionniers. Il dit à Sylvia Stark que le dimanche suivant serait son service d’adieu. Il avait écrit à sa femme pour lui demander de venir le rejoindre dans l’Ouest, mais elle avait refusé de venir habiter dans une contrée sauvage en proie aux hostilités des Indiens. Il s’en retournait donc auprès d’elle. Le dimanche suivant, il n’était pas à l’église. On l’attendit avec une anxiété croissante. Puis quelques personnes se rendirent chez lui à la baie du Vésuve. On le trouva assassiné dans sa cabane où il vivait seul.

Un soir, cinq Indiens arrivèrent à la cabane des Stark sur le flanc de la montagne. C’était un dimanche où Stark se trouvait chez lui. Les trois enfants dormaient, le bébé était dans son berceau. Les Indiens entrèrent dans la maison et commencèrent à examiner tout ce qui s’y trouvait. Ils comptèrent même le nombre de couvertures sur les lits tout en parlant entre eux. Puis, l’un d’eux prit un fusil au-dessus de la cheminée là où Stark en gardait plusieurs chargés, et il se mit à l’examiner. Stark lui cria de faire attention parce que l’arme était chargée en attrapant le canon afin de l’éloigner de lui. « Je sais qu’il est chargé », lui répondit l’Indien en essayant de l’arracher à Stark. Sylvia priait en silence, convaincue que les Indiens étaient venus pour les tuer. Elle savait qu’ils étaient trop nombreux pour que son mari ait la moindre chance. Au milieu de la bousculade, Stark s’accrochait au fusil en gardant le canon dirigé vers le haut. Tout à coup, on entendit une terrifiante détonation et la balle traversa le toit. À la grande surprise des Stark, les Indiens se sauvèrent sur-le-champ. Il est assez évident qu’ils avaient peur de Stark qui avait la réputation d’être un bon tireur. Et il n’avait pas peur d’eux.

Un Indien appelé Willie avait tenté de tuer Stark. Mais ce dernier avait aperçu le fusil étinceler au soleil. L’arme entre les mains de l’Indien était pointée contre lui. Stark l’avait aussitôt interpellé en l’appelant par son nom. L’homme prit peur en voyant qu’il avait été repéré. Il savait que s’il ratait sa cible, Stark, lui, ne la raterait pas. Il tremblait lorsque Stark s’approcha de lui. Après cet incident, Stark redoubla de prudence. Il se faisait toujours accompagner de son chien quand il allait en forêt.

À la suite de l’intrusion de ces cinq Indiens dans leur maison, les Stark ne se sentaient plus en sécurité de vivre à cet endroit, alors ils prirent possession d’une autre terre de l’autre côté de l’île.

[Ils?] emménagèrent dans une concession au bord de la mer. Dans leur nouvelle demeure, ils pouvaient se procurer des fruits de mer en abondance. Durant la saison de la pêche, le sable se couvrait de harengs et d’éperlans. Les fermiers les ramassaient avec des râteaux de jardinage. Les moules étaient très grosses à cette époque. Elles formaient de grosses grappes agrippées aux rochers. Très souvent, les fermiers se nourrissaient uniquement de moules et de patates quand les autres provisions se faisaient rares. Toutefois, la vie sur la côte avait aussi ses désavantages. Ils n’étaient pas à l’abri des rôdeurs. Un jour, un indigène était entré furtivement dans la maison, chaussé de mocassins. Ils entraient toujours sans frapper. Il demanda en chinook : « Ka mika man (où est ton mari?) ». Sylvia lui répondit : « Wake syah (pas très loin). »
Le chien de garde dormait sur le plancher, mais quand il entendit l’homme, il s’élança et l’aurait saisi à la gorge si Sylvia, non sans difficulté, ne l’en avait empêché. Cela avait éloigné les rôdeurs. Mais dans l’ensemble, les Indiens étaient aimables. Ils vendaient leurs marchandises, du saumon et toutes sortes de produits de la mer, ainsi que des baies en saison. Ils avaient besoin du «chickemen» (argent en chinook).

L’un d’eux s’appelait Verygood, Capitaine Verygood, qu’on l’appelait. Il se gagna le respect de tous ceux qui le connaissaient. W. O. Stark apprit de lui certaines choses sur les anciennes coutumes des indigènes. Il disait que dans l’île il y avait jadis de la neige hiyou (beaucoup de neige). Les Indiens ne portaient aux pieds [que?] des mocassins. Ils traversaient ces durs hivers sans attraper le rhume et vivaient «beaucoup de lunes». Maintenant qu’ils étaient en contact avec la civilisation, ils attrapaient le rhume comme l’homme blanc.

Mes souvenirs de cette époque à Saltspring comme un rêve devenu flou avec l’âge. Je vis le jour dans une ferme en bordure de la mer. On a fini par appeler cet endroit Fruitvillle. Lorsque le capitaine Scott l’acheta, il l’agrandit afin d’en faire une ferme fruitière. Louis Stark fut le premier à obtenir cette concession. Il y a avait déménagé avec sa famille pour se mettre à l’abri des Indiens. Je me rappelle qu’un pourceau venait à la maison et qu’on le nourrissait ; je me rappelle aussi les baleines bruyantes qui venaient dans notre petite baie.

Dans la cour, il y avait une petite cabane de rondins . Cela servit de refuge temporaire servant durant la construction de la grande cabane. Elle était habitée à l’époque par une famille venant des îles Hawaï. C’était des Hawaïens de couleur, peut-être les premiers de ce coin du monde à venir s’établir dans l’île. Ils vécurent dans cette cabane jusqu’au moment où ils se dénichèrent un terrain à eux. Ils furent les premiers à obtenir la concession de ce qu’on appelle aujourd’hui la ferme Mansel.
Chaque fois que j’allais à leur cabane, Mme Frederson me donnait toujours un biscuit et elle en donnait un autre à sa petite-fille Rena. C’était pour cela que j’aimais aller voir Rena. Puis, notre père, Louis Stark, obtint une concession dans l’île de Vancouver, dans le district qu’on appelait Cranberry. J’étais trop jeune pour me souvenir de l’âge que j’avais, mais je me souviens bien du jour où nous avons quitté de Saltspring. J’ai conservé le souvenir de ce chemin pittoresque à travers prés qui menait à la barrière. Cela n’a en soi aucune importance, ce n’est qu’un souvenir.

Depuis, j’ai vu bien des collines surplombant la plage de Saltspring là où la mer a fait son lit. Il y a une bûche périfiée sur la plage de Fruitville, dure et noire dans sa transformation de bois en charbon. On a essayé en vain de la couper comme si on avait utilisé une hache non affûtée, peut-être un outil de pierre.

C’est quelque part au début des années soixante-dix qu’on monta à bord du SS Maud, un remorqueur modeste mais solide et en bon état de navigabilité, transportant nombre de têtes de bétail et de passagers. Le steward de bord était un homme de couleur. Il s’appelait Scott. Nous avons encore sa photo restée intacte malgré le passage du temps.
Emma était le nom d’un autre bateau qui desservait cette route. Son cuisinier était un homme de couleur. C’étaient de bons cuisiniers.

Il n’y avait pas de neige lorsque nous avons quitté l’île. Mais quand on arriva à Nanaimo, une fine couche de neige couvrait le sol. Les premières neiges survenaient habituellement en novembre. Il y avait deux garçons portant des culottes courtes qui regardaient le bateau s’approcher. On sut par après que c’étaient les enfants de nos voisins du district de Cranberry. Leur père, M. John Richardson, était venu ici avec sa femme et leurs enfants, deux garçons et une fille, faisant partie d’une importante vague d’immigrants en provenance d’Angleterre en 1854. Ils avaient mis six mois pour traverser l’océan périlleux à bord d’un voilier, le Princess Royal, pour atteindre Nanaimo. Seuls les plus forts avaient survécu. On a commémoré à Nanaimo en 1954 le centenaire de cet événement au cours duquel on passa le flambeau des pionniers aux nouvelles générations.

Parmi les sons qu’on pouvait entendre de la maison des Stark isolée à flanc de montagne, il y avait eu le grondement du canon situé à la pointe nord de Saltspring.

Ils surent par après qu’il s’agissait d’une rafle de suspects indigènes dans le meurtre de deux Allemands au col Plumpers (aujourd’hui Active Pass). M. et Mme Marks, avec leur fils et leur fille, se cherchaient un endroit où s’établir à proximité de ce col.

Au moment du départ, la mère et le fils prirent le premier bateau pensant que le père et la fille allaient les suivre dans un autre bateau. Mais après avoir parcouru une certaine distance, ils se rendirent compte que le père et la fille ne les suivaient pas. Craignant qu’un malheur leur soit arrivé, ils s’empressèrent de faire demi-tour et ils aperçurent le bateau en feu sur la plage. Ils ne s’attardèrent pas pour en connaître plus, mais ils se hâtèrent de sonner l’alarme. Des recherches furent entreprises pour retrouver le père et la fille, mais les Indiens du col semblaient de rien savoir sur cette histoire. Après de longues recherches, on finit par retrouver le corps des victimes dans les eaux du col.

On ne retrouva pas les coupables. Finalement, un indigène donna un indice aux policiers. Il leur dit de se rendre au village indien de Penellekut dans l’île de Cooper. Il semble qu’il ait été incapable de cacher plus longtemps la vérité. Les agents ordonnèrent aux Indiens de livrer les coupables, sinon ils seraient tous tenus responsables du crime, mais ils refusèrent.
Puis les torpilleurs bombardèrent le village. Il n’y avait toujours pas de réponse. Enfin, avec précaution, on pénétra dans le village, pour se rendre compte qu’il était désert. Tous les habitants étaient partis, à l’exception d’une vieille femme aveugle. On lui donna un peu de thé et des biscuits, qu’elle mangea de bon appétit. De toute évidence, elle était affamée.
Bien plus tard, on trouva la cachette des coupables qui furent capturés.

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L’histoire qui précède a été rédigée par Mme Marie A. Stark Wallace, fille de Mme Sylvia Stark. Mme Wallace est décédée le 19 juin 1966, à l’âge de 98 ans.

Source: Salt Spring Island Archives, Add. Mss. 91, Marie Albertina (Stark) Wallace, Souvenirs de Sylvia Stark, 3e partie, n.d.. Notes: RESTRICTION : Reproduction permise. Cependant, il faut obtenir la permission de publication de Madame Myrtle Holloman, 960 Walkers Hook Rd, Ganges, B.C., V0S 1E0

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