Une Triste Affaire

MME REDPATH ET SON FILS TUÉS PAR BALLE

Le jeune homme, dont la santé mentale avait été mise à rude épreuve par la préparation des examens du Barreau, était, selon le médecin, désaxé lorsqu’il a tiré les coups de feu

La nouvelle de la mort, hier soir, de Mme J. J. Redpath et de son fils, J. C. Redpath, a aujourd’hui suscité plusieurs manifestations de sympathie de la part de leurs nombreux amis et du public en général.

Étant donné les circonstances exceptionnelles dans lesquelles leur vie a pris fin, l’absence complète de témoin et de motif, mis à part celui de folie passagère, les détails du décès de la mère et du fils, aux mains de ce dernier, ne devraient être connus qu’après l’enquête du coroner, qui se déroulera cet après-midi. Les faits suivants ont été récoltés auprès des personnes les mieux placées pour s’exprimer à ce sujet :

« Cet événement bouleversant, qui s’est soldé par la mort de Mme J. J. Redpath et de son plus jeune fils, M. J. C. Redpath, s’est produit à leur résidence du 1063, rue Sherbrooke.

« Depuis un certain temps, quoique sa santé fût mauvaise, M. Redpath préparait ses examens du Barreau.

« En vérité, M. Redpath se surmenait à un point tel que de graves troubles nerveux avaient fait surface. Il semble qu’en matinée, il se soit trouvé dans un état de dépression nerveuse, état qui n’aurait fait que s’amplifier en cours de journée.

« Vers cinq heures de l’après-midi, il a tiré plusieurs coups de pistolet, causant la mort presque instantanée de sa mère, et s’infligeant lui-même une blessure mortelle.

TOUS DEUX MORTELLEMENT BLESSÉS

« La famille, alertée par les coups de feu, s’est précipitée dans la chambre et a trouvé la mère agonisante et son fils grièvement blessé. M. Redpath a été transporté dans l’ambulance de l’Hôpital Royal Victoria aussi rapidement que possible. Comme le Dr Roddick, le médecin de la famille, était absent, il a été placé, dès son arrivée à l’hôpital, sous les soins du Dr Bell. Malgré tous les soins qui lui furent prodigués, il a rendu l’âme sans reprendre connaissance. Il n’a ainsi pu fournir aucun éclaircissement sur ce qui s’était produit. Il expira une demi-heure avant minuit environ.

« Ce matin, le Dr Roddick a été interviewé à son retour de Toronto. Il était grandement affecté par la détresse affligeant cette famille qu’il connaît de si longue date. Comme le Dr Roddick connaissait à fond la constitution du jeune homme et sa prédisposition aux crises d’épilepsie et comme il savait également que ce dernier, en dépit de ses troubles nerveux et de l’insomnie dont il souffrait depuis quelque temps, préparait avec acharnement ses examens du Barreau, le fait que son esprit se soit effondré ne l’a nullement surpris. À l’instar de tous ceux qui l’ont connu, cependant, il était incapable d’imaginer un seul instant que le jeune homme ait pu se rendre coupable de ces actes de manière intentionnelle ou de sang froid.

LE JEUNE HOMME ÉTAIT ADMIRÉ

Feu M. Redpath était un bachelier en droit civil de l’Université McGill. Au moment de sa mort, il se dévouait tout entier à la préparation de ses examens du Barreau, qui devaient avoir lieu en juillet.

Depuis trois ans, il était stagiaire au cabinet d’avocats Campbell, Meredith, Allan et Hague, qu’il venait de quitter, il y a un mois environ, afin de se consacrer à ses études.

Physiquement, il était grand et viril. C’était un grand amateur de sports de plein air et durant les temps libres de la période estivale, on pouvait le retrouver s’adonnant au canotage ou à l’équitation. Il préférait le plus souvent être seul lors de ces balades, à moins qu’un ami très cher ne l’accompagne.

Le jeune homme était très estimé de ses collègues et des autres étudiants. Il était assidu dans ses études universitaires et avait gradué de McGill avec distinction. Il avait de grandes ambitions pour le futur et, à cette fin, avait négocié son entrée dans un prestigieux cabinet d’avocats une fois son Barreau passé. Sa situation, tant au chapitre de sa position sociale que des possibilités d’affaires, étaient donc fort enviable. Il est d’autant plus déplorable, par conséquent, que son état de santé ait dû se solder par l’événement tragique que l’on sait.

M. Redpath était le fils de feu J. J. Redpath, décédé il y a environ vingt-cinq ans, et qui fut un temps associé, aux côtés d’autres membres de la famille Redpath, à la raffinerie de sucre fondée par ces derniers à Montréal.

Il était âgé d’environ 25 ans. Son apparence était agréable et ses manières discrètes.

On apprend qu’il se trouvait au centre-ville entre l’heure du déjeuner et les cinq heures et que la tragédie s’est produite juste après son retour au foyer.

On dit que l’enquête s’attardera sur le fait que M. Redpath aurait lui-même tiré les deux balles qui l’ont blessé. Mme Redpath avait environ 58 ans. Elle était issue d’une famille anglaise. Depuis quelque temps, elle souffrait gravement d’insomnie et de dépression nerveuse, tant et si bien qu’elle était désormais considérée comme plus ou moins invalide.

En l’absence de témoin oculaire, il est impossible d’établir si le premier coup de feu a été tiré de manière accidentelle ou non.

De toute évidence, rappellent ses amis, la sollicitude constante et attentionnée de M. Redpath à l’égard de sa mère tout au long de sa maladie, est le véritable témoin du sentiment qu’il éprouvait envers elle.

L’enquête a débuté à 3 heures 30 cet après-midi.

Les funérailles se dérouleront dans la plus stricte intimité.

Source: Inconnu, "Une triste affaire," The Montreal Daily Star, 14 juin 1901. Notes:

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