La demeure de Lady Roddick aujourd’hui mise en vente

Un bijou d’autrefois

(légende)

UNE PARCELLE DE CANADIANA sera vendue au plus offrant par un encanteur dans la célèbre demeure de feu Lady Roddick, rue Sherbrooke Ouest, où une rare collection de mobilier victorien et d’objets d’art seront mis en vente aujourd’hui. Le minuscule canot d’écorce, qui avait servi jadis aux déplacements d’un coureur des bois canadien-français, d’un prêtre missionnaire et de leur guide indien, avait été offert, il y a plusieurs années, à Lady Roddick lorsqu’elle avait été nommée princesse des Caughnawagas.

La demeure de Lady Roddick est aujourd’hui mise en vente

Des Montréalais de tous horizons ont pu apprécier hier les charmes d’une véritable résidence victorienne. En effet, des visiteurs ont eu la chance d’explorer à leur gré la demeure de feu Lady Roddick, rue Sherbrooke Ouest, qui était ouverte au public. Quantité de meubles anciens, d’argenterie, de porcelaines, de tableaux et de bibelots y étaient exposés, lesquels seront tous mis à l’encan aujourd’hui.

Après avoir gravi l’allée abrupte et sinueuse qui, traversant un parterre ombragé d’arbres et de buissons, mène à la maison de pierre grise de trois étages qui fait directement face à la rue Sherbrooke, certains visiteurs, peu habitués à l’opulence qu’ils découvraient dès le vestibule, en ont eu momentanément le souffle coupé.

À leur entrée, plusieurs d’entre eux ont marqué une hésitation avant de s’aventurer à droite vers la salle de séjour, ou à gauche, vers l’un des multiples petits salons de la maison.

Toutes ces pièces sont de véritables paradis pour l’antiquaire et l’amateur d’art.

Disposés exactement comme ils l’étaient du temps où Amy Redpath Roddick, veuve de Sir Thomas Roddick, y vivait encore il y a quelques mois à peine, se trouvaient tous les objets chéris qu’elle avait accumulés au cours de son existence aisée.

Dans l’une ou l’autre des pièces, ils ont pu voir des bibliothèques en bois d’acajou ou de noyer, quelques rares tables et chaises, des secrétaires Chippendale et des secrétaires en armoire de style géorgien en acajou.

Quantité de vases étaient disposés derrière des vitrines et sur les manteaux de cheminée, certains de porcelaine émaillée, si petits et délicats qu’ils auraient pu contenir une seule goutte de parfum oriental; tandis que d’autres, effilés, en cristal vert jade strié d’argent, se tenaient prêts à recevoir la première rose du jardin. D’autres vases, en porcelaine chinoise peinte à la main ou en laiton ouvré, beaucoup plus lourds ceux-là, étaient tout aussi magnifiques et gracieux.

Là, une vieille dame contemplait rêveusement une armoire vitrée française tandis qu’une jeune fille observait l’éventail en ivoire, ajouré et décoré, que celle-ci renfermait.

Plus loin une autre femme regardait avec attention une sublime petite armoire remplie de pièces en miniature, de médaillons et de couteaux ayant servi dans une guerre depuis longtemps oubliée.

Dans la salle à manger, de nombreux visiteurs embrassaient la pièce du regard avec une ferveur presque religieuse alors que d’autres poursuivaient leur exploration des lieux, se remémorant de manière évidente des soirs de fête passés. Devant leurs yeux s’étalaient le mobilier de salle à manger victorien, un ensemble de chaises Chippendale, des tables de bout en acajou de style géorgien, un service de table ancien en porcelaine opaque ainsi que des couverts en argent de styles géorgien, victorien et canadien ancien.

Sur une table de salle à manger à battants en demi-lune de style géorgien en acajou, comme sur la table de salon de la même époque, étaient disposés l’argenterie de la grande dame, son cristal taillé, des services à dessert anglais, des services à thé et des plaqués de Sheffield.

Les tapis d'Orient

À travers la maison, leurs pas étaient amortis par d’épais tapis d’Orient aux couleurs riches et éclatantes. Ne ressemblant en rien à la moquette que l’on retrouve dans les maisons modernes, ces tapis, de plus petite taille, étaient disposés au centre des pièces afin de souligner la splendeur de la parqueterie.

Indépendamment de leurs allées et venues cependant, c’était devant la porte de sa chambre à coucher qu’ils s’arrêtaient tous, un instant, avant d’entrer.

Les visiteurs y découvraient une chambre vaste et spacieuse, comprenant un coffre en citronnier, des tables à toilette, un secrétaire davenport en érable moucheté, ainsi qu’une table au dessus ouvré et des chaises longues d’une autre époque.

La pièce de résistance, toutefois, était le magnifique lit de laiton qui occupait une bonne partie de l’espace.

Son vieux domestique, Joseph Hornayak, qui a été à ses côtés durant la quasi-totalité des 29 ans qu’il a passés au Canada, observait de son siège tous les visiteurs qui entraient dans la pièce et en sortaient. À celui qui lui adressait la parole, ce qu’il semblait presque nécessaire de faire à voix basse, il répondait dans un anglais drapé d’un lourd accent, s’accompagnant d’un large mouvement de la main en direction du lit : « Elle morte ici dans ce lit. »

Une multitude de tableaux

Ce n’est qu’en s’apprêtant à quitter la maison, curieusement, que l’on remarquait les tableaux qui ornent chaque mur de chaque pièce.

Plusieurs d’entre eux sont des paysages d’une autre époque, aux couleurs sombres et profondes, d’autres illustrent des scènes religieuses, à grand renfort de rouges, de jaunes et de verts, tandis que des gravures dans les tons pastel mettent en scène garçonnets et fillettes.

D’autres tableaux encore, témoins de sa passion pour les Indiens d’Amérique – elle qui fut nommée princesse des Caughnawagas de son vivant – représentent leurs habitations ainsi que des scènes tirées de leur quotidien.

La plupart des curieux qui, après avoir visité sa demeure, émerveillés par l’opulence tranquille de son existence, regagnaient la rue Sherbrooke, inondée de la lumière aveuglante du soleil, se trouvaient un peu désorientés à leur sortie et marquaient un instant une pause, avant de retourner dans le bruit et la clameur du Montréal des temps modernes.

Source: Inconnu, "La demeure de Lady Roddick aujourd'hui mise en vente," The Montreal Daily Star, 16 juin 1954. Notes:

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