SUICIDE.

Il est ensuite possible de s’attarder aux actes d’automutilation et d’autodestruction si fréquemment perpétrés par les fous. La salle commune d’un asile, même modeste, renferme immanquablement un ou plusieurs patients ayant tenté, avec plus ou moins de succès, de se faire du mal. Ces derniers peuvent agir sous l’influence d’une mélancolie suicidaire, ou d’autres formes, dont celles nommées monomanie suicidaire ou impulsion suicidaire. L’opinion des critiques et des savants varie grandement à ce sujet. Certains affirment que tous ceux qui commettent un suicide sont fous, alors que d’autres maintiennent que le délire doit être constaté avant qu’un patient suicidaire ou homicide ne soit déclaré dément. J’ai groupé ensemble les patients suicidaires ou homicides puisque l’état des premiers est souvent intimement lié, voire identique, à celui des seconds. Les mêmes patients commettent souvent à la fois l’homicide et le suicide, ou sont à certains moments homicides et à d’autres suicidaires. Ainsi, en faisant le compte des patients homicides, il appert que ces patients entrent aussi pratiquement tous dans le groupe des suicidaires. J’aborderai d’abord le cas de ces derniers.

Il apparaîtra clairement à toute personne douée de bon sens explorant ce sujet qu’il arrive à des individus sains d’esprit de commettre un suicide. Les centaines de pauvres créatures que l’on repêche de la Tamise, ou qui sont transportés dans nos hôpitaux à moitié empoisonnés, ou le cou à demi tranché, ne sont pas fous au sens médical du terme. Mettons ces derniers de côté pour nous intéresser à ceux qui sont à la fois fous et suicidaires.

I. Premièrement, il y a le patient mélancolique, dont les amis remarquent qu’il a un peu le vague à l’âme, mais sans plus. Ils n’ont vent d’aucun épisode de délire, et ses gestes ou paroles ne justifieraient nullement qu’on le traite de fou. Seuls son moral et sa capacité à prendre du bon temps paraissent altérés, des changements que ses amis n’ont pas estimé nécessaire de mentionner. Il se fera donc sauter la cervelle, ou sautera du haut de la maison, à la suite de quoi tous seront très anxieux que l’ami soit identifié commefou, plutôt que commesuicidant. Ceci est l’exemple parfait de la mélancolie suicidaire, du tædium vitædément, dans lequel, en l’absence de délire accusé ou généralisé, le sentiment global de l’individu lui fait envisager la vie comme ne valant pas la peine d’être poursuivie. Il est confus et importuné par tout et par tous.

« Combien pesantes, usées, plates et stériles,
lui semblent toutes les jouissances de ce monde! »

Alors, il y met fin. On remarque la folie de l’homme à ce qu’il est entièrement différent de ce qu’il était auparavant. Il n’existe pas de causes à sa dépression, mais il est sans doute possible de recenser certaines des causes de sa folie, la mélancolie suicidaire.

II. La maladie peut toujours être adéquatement nommée mélancolie, même lorsque le désir de commettre le suicide est directement motivé par des délires par exemple : il craint de se faire affreusement torturer; il entend des voix lui commandant de se tuer; il croit qu’en posant ce geste, il s’assure une place au paradis; il est ruiné, et la honte et la pauvreté le taraudent; il a des visions au cours desquelles des disparus l’invitent à les rejoindre. Cette forme est aisément diagnostiquée et le pronostic est favorable dans les cas où la santé générale n’est pas trop détériorée. Je reviendrai sur cet aspect lorsque sera abordé le sujet de la mélancolie.

III. Dans presque tous les cas de folie furieuse, dont le delirium tremens ou le délire épileptique, le suicide peut être commis sous l’influence de la peur, au cours d’un accès de rage, ou dans une irruption générale de destructivité; ou encore, en tentant de prendre la fuite, un homme se précipite du haut d’un toit ou par la fenêtre, sans avoir au préalable caressé le projet d’une autodestruction définitive. Comme pour tous les autres cas de folie furieuse, tels le délire aigu, la manie aigüe et ainsi de suite, cette réalité doit être prise en compte et les possibilités d’automutilation mises hors de portée des patients. Nombre d’entre eux sont alors sujets à des accès de fureur, et tentent de s’infliger du mal, à eux-mêmes ou aux autres, en se cognant la tête contre un mur, se mordant les bras, ou s’ils en ont la possibilité, se causant des torts plus sévères encore. Il n’est pas possible d’affirmer qu’ils souffrent de mélancolie suicidaire ou de délire suicidaire. Pour ces patients, le suicide s’apparente à l’acte de briser des fenêtres ou de détruire en morceaux leurs vêtements ou les meubles : il est un exutoire à leur destructivité enflammée. La démence de ces personnes ne fait, naturellement, aucun doute, et le pronostic n’est pas influencé par la tentative de suicide.

Source: Fielding Blandford, SUICIDE. (Edinburgh: Oliver and Boyd, 1892), 190-193

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