Rasseleyer-Brown dans « Arcadian Adventures with the Idle Rich »

Il ne fait aucun doute que Dulphemia Rasselyer-Brown fût une fille d’une intelligence et d’un caractère remarquables. Comme l’est d’ailleurs toute jeune fille dont les magnifiques cheveux blonds se séparent en de larges mèches sur le front et dont les yeux, d’un bleu profond, rappellent la douceur du ciel italien.

Les hommes de la ville, même les plus âgés et les plus respectables, s’entendaient sur le fait qu’une discussion avec elle laissait découvrir une compréhension, une portée et une profondeur qui laissait pantois. Ainsi, le vieux juge Longerstill, qui avait discuté avec elle une heure durant au dîner, à propos des compétences de l’Interstate Commerce Commission, était persuadé, par la manière dont elle levait sur lui le regard et s’exclamait : « Comme c’est intéressant! », qu’elle avait l’esprit d’un avocat. Et M. Brace, l’ingénieur consultant, qui lui présenta, sur la nappe au moment du dessert, à l’aide de trois fourchettes et d’une cuiller, une démonstration de la manière dont le déversoir du Gatun Dam en régule les débordements, était assuré, de la façon dont elle appuyait son visage de biais sur sa main et s’écriait : « Comme c’est extraordinaire! », qu’elle était de la trempe d’un ingénieur. Les étrangers visitant les hautes sphères sociales de la ville étaient pareillement enchantés de sa présence. Le vicomte FitzThistle, qui avait exposé pendant une demi-heure à Dulphemia les subtilités de la situation irlandaise, avait été fasciné par la rapidité de son esprit lorsqu’elle lui demanda à la toute fin, sans hésitation aucune : « Alors, lesquels étaient les nationalistes? »

Ce genre de chose représente l’intellect féminin à son meilleur. Tout homme digne de ce nom se rendra immédiatement à cette évidence.

Quant aux jeunes hommes, ils affluaient à la résidence des Rasselyer-Brown en meutes compactes. Il s’en trouvait un plein contingent chaque dimanche après-midi à cinq heures, enveloppés dans de longues redingotes noires, assis très sèchement sur des chaises droites à tenter de boire le thé d’une seule main. Il pouvait vous être donné d’apercevoir là de jeunes étudiants athlétiques, membres de l’équipe de football, s’efforçant de causer musique italienne, puis des ténors italiens du Grand Opera s’échinant à discuter de football universitaire. Il y avait des jeunes hommes d’affaires qui parlaient d’art, des jeunes artistes qui discutaient religion, et des jeunes membres du clergé qui parlaient affaires. Parce que bien entendu, la résidence des Rasselyer-Brown était le type de maisonnée cultivée où les gens d’érudition et de goût étaient libres de s’exprimer sur des sujets leur étant strictement inconnus, et d’énoncer en toute liberté des idées ne leur appartenant pas. Ce n’était que très rarement, lorsque l’un des professeurs de l’université située de l’autre côté de l’avenue faisait une entrée théâtrale dans la pièce, que la conversation entière volait en mille éclats sous la massue du savoir exact.

Source: Stephen Leacock, Rasseleyer-Brown dans « Arcadian Adventures with the Idle Rich » (Toronto: Bell & Cockburn, 1914), 123-125

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