Le Mausoleum Club dans « Arcadian Adventures with the Idle Rich »

Le Mausoleum Club occupe l’intersection la plus paisible de la meilleure rue résidentielle de la ville. C’est un bâtiment de pierre blanche de style grec. Autour de lui se trouvent d’immenses ormes sur les branches desquels des oiseaux – des oiseaux des plus dispendieux – gazouillent.

La rue, aux douces heures du matin, présente une tranquillité quasi révérencielle. D’imposantes voitures s’y meuvent paresseusement, et les chauffeurs solitaires y reviennent à 10.30, après avoir déposé à leurs bureaux du centre-ville, les plus matinaux des millionnaires. La lumière du soleil scintille au travers des ormes, illuminant au passage des bonnes d’enfant dispendieuses qui poussent des landaus où trônent de précieux enfants. Certains enfants valent des millions et des millions. En Europe, sans contredit, il vous sera donné de voir passer, dans l’avenue Unter den Linden ou sur les Champs Élysées, un petit prince ou une princesse escorté d’une garde militaire cliquetante leur faisant honneur. Cela n’est rien. Ces visions ne sont même pas à moitié aussi impressionnantes, en vérité, que ce qui s’observe tous les matins dans l’avenue Plutoria, près du Mausoleum Club, dans le secteur le plus tranquille de la cité. Ici, vous serez à même d’apercevoir une petite princesse gigotant dans un costume de lapin, qui possède en propre cinquante distilleries. Là, dans un landau laqué, file une petite tête capuchonnée qui contrôle de son berceau une entière société du New Jersey. Le procureur général des États-Unis la poursuit en justice tandis qu’elle siège, dans une vaine tentative de l’obliger à se dissoudre en compagnies constituantes. Tout près de là se trouve un bambin de quatre ans, en ensemble kaki, qui incarne la fusion de deux chemins de fer de grande ligne. Vous êtes susceptibles de rencontrer, dans cette lumière scintillante, une abondance de petits princes et de petites princesses de loin plus réels que ces pauvres survivants d’Europe. Un nombre incalculable de nourrissons agitent, l’un vers l’autre en guise d’inintelligibles salutations, des hochets d’ivoire à cinquante dollars. Un million de dollars d’actions préférentielles éclate d’un rire joyeux après avoir reconnu une entreprise à participation majoritaire qui passe dans une petite voiture tirée par une nounou d’importation. Tandis que partout dans les alentours, le soleil filtre au travers des ormes, les oiseaux gazouillent et les voitures ronronnent, ce qui fait en sorte que le monde entier, vu de l’avenue Plutoria, est véritablement le plus délicieux endroit qui soit.

Source: Stephen Leacock, Le Mausoleum Club dans « Arcadian Adventures with the Idle Rich » (Toronto: Bell & Cockburn, 1914), 9-10

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