La persuasion ou la force : la question de la liberté d’expression dans la société moderne

[ Norman and unidentified Japanese tennis partner ]

Norman and unidentified Japanese tennis partner, Unknown, 1955, University of British Columbia Library, Rare Books and Special Collections, BC 2124-116, If nothing else, Norman was a serious man, but he found time for some diversions, such as tennis

E. H. Norman
Conférence donnée à l’Université Keio, le 26 novembre 1948

Les concepts de liberté et d’indépendance ont fait partie des cris de ralliement des groupes opprimés depuis les tout premiers débuts de l’histoire. La nature de la liberté revendiquée s’est maintes fois avérée illusoire aux idéalistes qui s’attendent à trouver la perfection en ce monde; elle a trompé les historiens et les philosophes qui, voyant la liberté trahie de nombreuses fois à travers l’histoire, ont contesté les motifs de ces premiers avocats de la liberté. Dès leur accession au pouvoir politique, plusieurs groupes ayant souffert d’incapacité ou d’oppression sont devenus eux-mêmes aussi oppressifs que la force dominante qui avait été vaincue ou qui avait dû faire des concessions.

[…]

Il y a une chose qui est certaine dans l’histoire du monde moderne : la liberté n’est pas quelque chose de permanent et de garanti comme l’air que nous respirons. Elle doit être gagnée sciemment et gardée jalousement. Dans les pays où elle s’est imposée pendant de nombreuses années, la liberté peut être perdue par négligence ou par paresse. Ainsi, la lutte pour la liberté ne cesse jamais même si cela ne se déroule pas toujours dans le drame ou la violence. C’est souvent une lutte contre l’apathie, l’indifférence et le cynisme qui, bien que prosaïque, n’en est pas moins importante.

L’histoire de l’indépendance est souvent remplie de hauts et de bas, d'avancées et de retraites; de même, elle s’est attiré des champions qui diffèrent de par leurs natures et leurs habiletés…

En résumé, autant les aristocrates que les prolétaires, les hommes riches et les gens de la classe ouvrière, les personnes de toutes religions et de toutes sortes de tempéraments à partir du saint jusqu'au débauché, les gens avec des motifs variés et conflictuels qui vont du plus désintéressé et altruiste au plus vaniteux et égocentrique se sont retrouvés sous la bannière de la lutte pour l’indépendance. …

Le corollaire est qu’aucun parti politique, aucune foi religieuse, aucune classe sociale ne peut s’attribuer le monopole de l’exercice de la liberté. Il est du devoir de chaque citoyen de voir la lutte pour l’indépendance comme un processus vaste et complexe, de garder le tout en perspective, de réaliser que les intérêts de l’indépendance peuvent être servis par différents groupes et de nombreuses personnalités. Plusieurs en sont rendus à concevoir la liberté d’expression comme un luxe en politique… je pense que, loin d’être un luxe ou quelque chose dont la société peut se passer comme si c’était un quelconque poste budgétaire, la liberté est l’essence même et l’oxygène de toute société autogérée.

[…]

Dans le monde actuel, sans égard pour la nationalité, nous partageons tous les mêmes problèmes et à un degré extraordinaire. Nous sommes enthousiastes quand la liberté triomphe, inquiets de son développement et affligés de sa disparition, même dans les contrées lointaines. Ainsi, je vous supplie de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour chérir la liberté que vous avez et d’en faire bon usage; sinon elle pourrait s’atrophier comme un organe inutilisé. …

Je vous encourage vivement à faire preuve de vigueur et de vigilance pour la défense de la liberté; en faisant du Japon une citadelle de liberté et d’indépendance culturelle, vous agirez en vrais patriotes. …

Le monde est fatigué de la guerre et de l’usage de la force. Non seulement entre les différentes classes d’une nation, mais entre les nations, la force doit céder la place à la persuasion et à la raison si le monde ne veut pas régresser sans espoir de retour. Il est très facile d’utiliser la force, spécialement contre une minorité qui n’est pas populaire dans une communauté. Ainsi, il est possible de taire la voix de ceux qui contrarient un gouvernement devenu impatient. Mais ce faisant, la communauté abrite à l’intérieur un membre aigri et mécontent. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui dans les relations entre les grandes et les petites nations.

[…]

Source: UBC Rare Books and Special Collections, Roger Bowen Collection, Box 9, File 3, E. Herbert Norman, "La persuasion ou la force : la question de la liberté d’expression dans la société moderne ," 26 novembre 1948

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