OTTAWA

DAY BY DAY
Arthur Blakely

La vérité arrive tardivement

Dans cette capitale suffisante, les groupes d’étude communistes ont prospéré dans les endroits les plus étonnants pendant les années de guerre. Les fonctionnaires dans des postes clés dont la loyauté n’avait jamais été mise en doute ont trouvé l’ambiance de conspiration et les activités clandestines offertes par ces groupes un contraste exaltant au train-train quotidien. En attendant, un réseau d’espionnage soviétique légèrement amusé, mais farouchement pratique « développait » soigneusement un réseau de recrues potentielles à l’intérieur de ces groupes d’étude formés d’intellectuels étrangement naïfs qui n’ont perçu que trop tard les conséquences probables de leur engagement.

Lorsqu’un gouvernement canadien totalement incrédule a ouvert l’enquête sur l’espionnage de 1945-1946, une des prises les plus intéressantes dans le filet était Israel Halperin, un major dans l’artillerie qui avait accès à un certain nombre de projets hautement confidentiels.

Il a été rapporté qu’il avait été nécessaire de questionner M. Norman, pour des raisons gardées secrètes, concernant l’affaire Halperin. Cela n’a jamais été confirmé ou nié bien que cela ne soit pas du tout récent.

Il faut dire que Halperin a été jugé et acquitté. Il faut aussi dire que la Commission royale d'enquête sur l'espionnage [a déclaré] : « Lorsque Halperin est passé devant la Commission […] son refus de fournir des explications et sa conduite générale nous ont convaincus qu’il avait violé la Loi sur les secrets officiels à plus d’une occasion. »

* * *

Mais en ce qui concernait M. Norman, aucun doute ne subsistait dans l’esprit du gouvernement et du très honorable L. S. St-Laurent qui, alors qu’il était ministre de la Justice, avait créé la Commission royale et était devenu secrétaire d’État aux Affaires extérieures en septembre 1946. La carrière de M. Norman a progressé pendant les années suivantes.

En 1951, lorsque le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis, qui recherchait activement l’IPR, Amerasia ainsi qu’Owen Lattimore, Edward Carter, Frederick Field et compagnie, est tombé sur Norman, ce dernier était le délégué permanent suppléant du Canada à l’O.N.U.

Lorsqu’ils ont finalement compris qu’il s’agissait d’un très haut fonctionnaire canadien, ça chauffait déjà. La température a monté d’un cran lorsque son ancien ami et associé, M. Karl Wittogel, a témoigné sur le groupe d’étude communiste.

[...]

À sa propre demande, a plus tard dit le ministère des Affaires extérieures, M. Norman a subi un autre contrôle de sécurité. La GRC a fourni les renseignements. Cependant, c’est le gouvernement, comme l’a dit M. Pearson la semaine dernière, qui a décidé que M. Norman avait passé l’examen. Ceci étant fait, une note a été envoyée à Washington pour exprimer « les regrets et le mécontentement » d’Ottawa dénonçant les « allégations peu convaincantes et non fondées faites par un ancien communiste. » Mais on n’a pas tenu compte des accusations.

Les preuves indiquent que M. Norman était devenu un homme troublé et inquiet durant les six dernières années de sa vie. La semaine dernière, le gouvernement a divulgué tardivement quelques aspects de l’affaire Norman qui étaient restés cachés. Cependant, la preuve soumise lors du contrôle de sécurité en 1951 n’a jamais été divulguée.

Pour démontrer la confiance qu'il mettait en M. Norman, le gouvernement l’a promu au poste de Haut-commissaire du Canada en Nouvelle-Zélande.

Puis, en août dernier, on a donné à M. Norman, cet homme sensible et harcelé, la mission la plus angoissante de sa carrière, le poste d’ambassadeur canadien en Égypte. Il a supporté d’énormes pressions pendant la Crise de Suez. Puis le mois passé, le Sous-comité du Sénat américain a commencé à creuser son passé plus profondément. Ottawa a fait parvenir une autre lettre de protestation à Washington. Avant que la réponse n’arrive, la nouvelle est tombée que l’ambassadeur Norman s’était enlevé la vie.

* * *

L’affaire soulève des questions intéressantes, dont quelques-unes resteront probablement à jamais sans réponses. Est-il vrai, malgré les vagues démentis, qu’une partie du dossier confidentiel de la GRC sur feu M. Norman soit entre les mains du Sous-comité américain?

Si, par contre, le vague démenti de M. Pearson veut dire ce qu'il semble vouloir dire et qu’aucun renseignement provenant de la sécurité canadienne sur M. Norman n’est arrivé au Sous-comité par le biais d’une agence officielle du gouvernement américain, pourquoi proférer une menace si spectaculaire telle que celle de couper le transfert de données sur la sécurité entre les gouvernements américains et canadiens?

[...]

Pourquoi en août dernier a-t-on choisi un homme sensible, naïf et torturé pour le poste d’ambassadeur en Égypte, une poudrière prête à exploser?

S’il était foncièrement persuadé de l'innocence de M. Norman, pourquoi le gouvernement a-t-il attendu six ans pour traiter ouvertement et franchement – même si de façon encore incomplète – des questions de sécurité soulevées à Washington en 1951 et ainsi soumettre cet homme à des années d’angoisse mentale?

Source: Arthur Blakely, "La vérité arrive tardivement," Montreal Gazette, 17 avril 1957

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