Reportage de CBC Radio sur les accusations de Wittfogel

Peter Inglis
Capital Report
12 août 1951

[…]

Avant-hier, un bon gros tas d’ordures a été lancé au-dessus de la clôture arrière du Canada par le voisin, le type d’ordures qui va probablement dégoûter tous les honnêtes Canadiens.

Ces ordures visaient Herbert Norman, le chef de la délégation de notre pays aux Nations Unies. C’est un de nos agents des services étrangers les plus compétents et les plus respectés.

À Washington, le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis a accusé M. Norman d’avoir des relations communistes. L’accusation se fonde sur la soi-disant « preuve » provenant d’un certain Carol August Wittfogel, Ph. D. Monsieur Wittfogel, dont je parlerai des origines dans un moment, a dit que M. Norman avait été membre d’un groupe d’études du Parti communiste à Cape Cod, Massachusetts, en 1939, et donc, de toute évidence, qu’il était alors un communiste. Puis, le lendemain, un autre rapport de Washington a dit que M. Norman avait été relié à l’Institut des relations du Pacifique qu’on soupçonne de tendances gauchistes.

Ici à Ottawa, le ministère des Affaires extérieures a émis une déclaration pour répondre à ces accusations. Si vous lisez la réponse, il est tout à fait évident que le Ministère ne croyait pas que M. Norman était ou avait jamais été un communiste et qu’il lui accordait toute sa confiance.

Mais c’était une réponse si courtoise, en fait une réponse tellement terne, que peu de gens voudraient la lire, encore moins nombreux seront ceux qui s’en souviendront et elle ne fera certainement pas la une des journaux aux États-Unis, ce que les accusations initiales avaient obtenu.

Cette réponse ne précisait même pas la provenance des accusations ni leur nature, autrement qu'en des termes les plus vagues possible.

Il y avait plusieurs autres choses qu'elle ne disait pas.

Par exemple, puisqu’elle ne mentionnait pas le docteur Wittfogel, elle ne pouvait pas expliquer qui est le Herr Doktor. Il s’agit d'un ancien communiste allemand qui a dit avoir renoncé au communisme et à qui on a donné un travail de recherche aux États-Unis. Et voilà que dans les étranges enquêtes du Congrès de Washington, la parole d’un communiste qui dit avoir renié son appartenance est apparemment acceptée comme la plus pure vérité. Et cela s’est répété à plusieurs reprises dans le passé. Mais pas au Canada.

Une autre chose que la déclaration du Ministère a omise était que, lors des séances du Congrès, un homme peut être condamné sans le savoir, sans un procès équitable, en fait, sans aucune forme de procès. La preuve la moins convaincante peut être déposée contre lui. Il n’est pas là pour se défendre. Il ne peut pas aller en cour pour prouver son innocence, car la preuve est détenue par un comité du Congrès et donc, confidentielle.

Une autre chose que le Ministère aurait pu dire était que, pour autant que quiconque le sache à Ottawa, M. Norman n’a jamais mis les pieds à Cape Cod de sa vie et donc qu’il n’aurait pu y être membre d’un groupe d’études, communiste ou, tant qu'à faire, républicain.

Il aurait pu dire que lorsque M. Norman était membre de l’Institut des relations du Pacifique, s’il en était membre, ce n’était pas alors une organisation communiste. Il n’a pas été prouvé qu'elle en est une maintenant. Mais même si l’Institut l’était devenu depuis, le principe de culpabilité rétroactive n’est pas reconnu par la loi canadienne; en termes simples, si vous connaissiez un homme il y a dix ans et que ce dernier soit devenu un voleur cette année, cela ne fait pas de vous un voleur.

Il y a plusieurs autres choses que le Ministère aurait pu dire. Par exemple, que ce tas d’ordures poursuit un objectif politique américain qui est évident. La majorité des accusations non fondées de communisme qui sont lancées à Washington proviennent de cet étrange nouveau bloc isolationniste dont le porte-parole est le colonel McCormick du Chicago Tribune, dont la figure de martyr est celle du général MacArthur et dont l'homme de main (peut-être que le terme homme de paille serait plus juste) est le sénateur McCarthy.

Ce bloc isolationniste veut débarrasser les États-Unis de toutes ses alliances étrangères, à l’exception de celles avec Tchang Kaï-Chek et Francisco Franco. Il ne veut en aucun cas devenir membre des Nations Unies ou du Traité de l’Atlantique Nord. Une façon évidente de tourner les esprits contre des alliances étrangères est de lancer des accusations non fondées contre les représentants de ces alliés en croyant que, si vous lancez assez d'ordures, il en restera toujours quelque chose.

Le ministère des Affaires extérieures aurait pu aussi faire remarquer que le Canada est parfaitement capable de s’occuper de la loyauté de ses propres fonctionnaires comme, en fait, il l’a fait lors de la Commission royale d’enquête et des soi-disant procès d’espions, il y a cinq ans, avant même que les États-Unis ne commencent à pourchasser les communistes.

Mais la chose la plus importante que le Ministère pourrait et, je pense, devrait avoir dit n’était aucune de ces choses. C’était une question de décence internationale. C’est une chose de salir sa propre population, mais de lancer ses ordures par-dessus une frontière à la population d’un autre pays est tout autre chose et les pays civilisés ne le font tout simplement pas.

Le gouvernement canadien n’a rien dit de tout cela. Il a utilisé, comme à son habitude, la bonne manière terne, avec autant d’énergie que cette sole qui se confond avec le sable au fond de l’océan. Le problème avec le mimétisme est que lorsque les gens ne voient pas ce qui est là, ils commencent à voir ce qui n'y est pas.

[…]

C'était Peter Inglis à Ottawa.

Source: Library and Archives Canada, MG 26 N1 Vol. 10, Peter Inglis, Reportage de CBC Radio sur les accusations de Wittfogel , 12 août 1951

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