Winston S. Churchill :
Discours du rideau de fer, 5 mars 1946

Je suis heureux d’être à Westminster College cet après-midi, et je suis flatté que vous souhaitiez me conférer un grade. […]

C’est également un honneur, et un honneur peut-être quasiment unique, pour un visiteur privé d’être présenté à une audience universitaire par le président des États-Unis. […]Le président vous a dit que c’est son vœu et je suis sûr que c’est aussi le vôtre, que j’aie toute liberté d’exprimer mon opinion honnête et loyale en ces temps d’anxiété et de déroute. […]

C’est pourquoi, fort de l’expérience de toute une vie, je puis permettre à mon esprit de s’attarder sur les problèmes qui nous accablent au lendemain de notre victoire absolue par les armes et tenter, de toutes mes forces, de faire en sorte que ce qui a été gagné au prix de tant de sacrifices et de souffrances soit préservé pour la gloire et la sécurité futures de l’humanité.

Les États-Unis sont actuellement au pinacle de la puissance mondiale. C’est un moment solennel pour la démocratie américaine car la primauté en matière de puissance s’accompagne aussi d’une responsabilité redoutable pour l’avenir. […]

Lorsque les militaires américains abordent une situation sérieuse, ils ont coutume d’écrire au-dessus de leur directive les mots « concept stratégique global ». Il y a de la sagesse dans cette attitude car elle mène à la clarté d’esprit. Quel est alors notre concept stratégique global pour aujourd’hui? Ce n’est rien de moins que la sécurité et le bien-être, la liberté et le progrès pour les foyers et les familles, pour tous les hommes et toutes les femmes dans tous les pays. […]

Pour assurer la sécurité de ces innombrables foyers, il faut les protéger contre les deux affreux maraudeurs que sont la guerre et la tyrannie. Nous connaissons tous les effroyables bouleversements qui accablent une famille ordinaire lorsque la malédiction de la guerre frappe le père de famille et ceux pour qui il travaille et peine. […]

Après avoir proclamé leur « concept stratégique global » et évalué les ressources disponibles, nos collègues militaires américains passent toujours à l’étape suivante, à savoir la méthode. Là encore, nous sommes largement d’accord. Une organisation mondiale a déjà été instaurée, dont la mission est d’empêcher la guerre. L’ONU, qui succède à la Société des Nations, avec l’adhésion déterminante des États-Unis et tout ce que cela implique, a déjà commencé à travailler. […]

Tout en continuant de rechercher le moyen de réaliser notre concept stratégique global, j’en arrive maintenant au point crucial de ce que je suis venu vous dire ici. Ni la prévention certaine d’une guerre, ni la montée continue de l’organisation mondiale ne seront acquises sans ce que j’ai appelé l’association fraternelle des peuples anglophones. Cela implique une relation particulière entre le Commonwealth et l’Empire britannique, d’une part, et les États-Unis, d’autre part. Ce n’est pas le moment de faire des généralités et je vais m’efforcer d’être précis. Une association fraternelle exige non seulement une amitié croissante et une compréhension mutuelle entre nos deux systèmes de société vastes mais analogues, mais également la continuation des relations étroites entre nos conseillers militaires, menant à l’étude commune des dangers potentiels, à la similitude de nos armements et de nos manuels d’instruction ainsi qu’à l’échange d’officiers et de cadets dans les hautes écoles techniques. Elle devrait comprendre la continuation des efforts actuels en faveur d’une sécurité mutuelle par l’utilisation commune de toutes les bases militaires navales et aériennes qu’un de nos pays possède, partout dans le monde. Une telle association permettrait peut-être de doubler la mobilité des forces navales et aériennes américaines. Elle augmenterait sensiblement celle des forces de l’Empire britannique. […]

Prenez garde, vous dis-je; le temps risque de nous manquer. Ne laissons pas libre cours aux événements jusqu’à ce qu’il soit trop tard. […]

Une ombre est tombée sur les scènes qui avaient été si clairement illuminées récemment par la victoire des Alliés. Personne ne sait ce que la Russie soviétique et son organisation communiste internationale n’ont l’intention de faire dans l’avenir immédiat, ni où sont les limites, s’il en existe, de leurs tendances expansionnistes et prosélytiques. J’éprouve une profonde admiration et un grand respect pour le vaillant peuple russe et pour mon camarade de combat, le maréchal Staline. […] Il est toutefois de mon devoir, […] d’étaler devant vous certains faits sur la situation présente en Europe.

De Stettin dans la Baltique jusqu’à Trieste dans l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens états de l’Europe centrale et orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia, toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent dans ce que je dois appeler la sphère soviétique, et toutes sont soumises, sous une forme ou sous une autre, non seulement à l’influence soviétique, mais aussi à un degré très élevé et, dans beaucoup de cas, à un degré croissant, au contrôle de Moscou. […]

Au-delà du rideau de fer qui divise l’Europe, il y a d’autres causes d’inquiétude. […]

Les perspectives sont effrayantes aussi en Extrême-Orient et surtout en Mandchourie. […]

Ce que j’ai pu voir chez nos amis et alliés russes pendant la guerre m’a convaincu qu’il n’y a rien qu’ils admirent autant que la force et rien qu’ils respectent moins que la faiblesse, surtout la faiblesse militaire. C’est pourquoi la vieille doctrine d’un équilibre des forces est hasardeuse. […]

Si les populations du Commonwealth anglophone se joignent effectivement à celle des États-Unis, avec tout ce qu’une telle coopération implique dans les airs, sur les mers, partout sur le globe et dans les sciences et l’industrie, et dans la force morale, alors aucun équilibre tremblant, précaire entre les forces en présence ne servira de tentation à l’ambition et à l’aventure. Au contraire, il y aura une certitude absolue de sécurité. […]

Source: Winston S. Churchill, Discours du « Rideau de fer », 5 mars 1946. Notes: Trouvé sur : Internet Modern History Sourcebook, http://www.fordham.edu/halsal/mod/churchill-iron.html La traduction du discours provient en partie du site : http://www.ena.lu/

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