Pearson sur la liste

L’enquête américaine vise d’autres Canadiens; Pearson sur la liste

par HAROLD GREER
Correspondant du Star

[ Pearson on the SISS suspect list ]

Pearson on the SISS suspect list, Unknown, 1957-04-05

Washington, 5 avril – L’hon. Lester B. Pearson serait peut-être le prochain sur la liste des personnes dont le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis peut se passer.

Des développements survenus ici hier à la suite du suicide de E. H. Norman, l’ambassadeur canadien en Égypte, ont confirmé que, loin de calmer le jeu, la mort de M. Norman a offert aux hommes en contrôle du Sous-comité un nouveau bail politique dont ils avaient besoin.

Pour la première fois depuis l’ère maccarthyste, ils sont de retour à la une des journaux américains. Alors que presque tout Washington a eu le souffle coupé en entendant le rapport en provenance du Caire annonçant le suicide de M. Norman à cause de la persécution du Sous-comité, ces hommes ont rapidement saisi l’occasion d’exploiter l'impression que s'il s'est suicidé, c'est qu'il était coupable.

Le Sous-comité, a dit le juge Robert Morris, continuera ses enquêtes parce que « c’est notre devoir de le faire ». Lorsqu’on lui a demandé le nom de la « prochaine victime » du Sous-comité, il a souri et n’a formulé aucun commentaire.

Le juge Morris, qui a accepté un travail à la Cour municipale de la ville de New York lorsque le maccarthysme a perdu de la popularité en 1955, agit comme procureur du Sous-comité qui comprend neuf sénateurs. La plupart des membres ne se rendent jamais aux réunions du Sous-comité, qui est utilisé comme véhicule par le sénateur William Jenner, un républicain d'Indiana, et le sénateur James Eastland, un démocrate du Mississippi, qui sont vraiment les deux membres les moins respectés du sénat américain.

Le juge fait une déclaration

Au nom de ces deux sénateurs, le juge Morris a émis hier la déclaration suivante :

« Au cours des derniers mois, le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne a entendu un témoignage sur des activités communistes aux États-Unis qui peuvent avoir une incidence importante sur notre sécurité interne. Au cours de ce témoignage, la preuve a été reçue indiquant que certains ressortissants étrangers se sont prêtés à de telles activités communistes aux États-Unis. Nous ne respecterions pas nos obligations envers le Sénat américain si nous effacions des références à des ressortissants étrangers qui sont en lien avec les enquêtes sur la présence du communisme aux États-Unis.

Si des ressortissants étrangers entrent aux États-Unis et se joignent aux communistes ici et qu’ils participent avec des communistes américains à des activités subversives contre nos institutions, ces faits devraient être connus du Sénat. De plus, s’ils ne possèdent pas l’immunité diplomatique, ils sont sujets à nos procédures comme toute autre personne vivant aux États-Unis.

Ceci est la pratique du Sous-comité et nous continuerons cette pratique car c’est notre devoir de le faire. »

[…]

En réalité, la seule « preuve » contre M. Norman a été mise dans les registres par Morris lui-même et ce n’était qu’un simple réchauffé des accusations portées en 1951 par un certain Karl August Wittfogel, un soi-disant communiste réformé. Ces accusations, en particulier celle selon laquelle M. Norman était membre d’un groupe d’études à l’Université Columbia en 1938, ont été rejetées après enquête par le gouvernement canadien en 1951.

L’autre « ressortissant étranger » impliqué dans les séances récentes du Sous-comité était Shigeto Tsuru, un professeur japonais qui donne présentement des conférences à l’Université Harvard. Le gouvernement japonais a émis une protestation au gouvernement américain sur la façon dont cette affaire a été traitée.

M. Dulles regrette

De son côté, le gouvernement américain a officiellement répondu à la mort de M. Norman dans un message de 28 mots [en anglais] du secrétaire d’État, M. Dulles, adressé à M. Pearson et livré hier à Ottawa par l’ambassadeur américain, Livingston Merchant.

« Je voudrais exprimer mon regret et offrir mes sincères condoléances pour la mort au Caire ce matin de l’hon. Herbert Norman, l’ambassadeur canadien en Égypte », a dit M. Dulles. Certains articles disent que ce message s’adressait à « Cher Mike ».

Bien qu’il ne soit pas habituel de prendre note de la mort des diplomates des autres pays, le geste de M. Dulles n’a pas donné beaucoup de satisfaction aux fonctionnaires canadiens en poste ici. Le département d'État n’a toujours pas répondu à la note de protestation officielle du 18 mars sur la publication des « accusations » du juge Morris contre M. Norman.

Un porte-parole du département a dit ignorer à quel moment cette réponse allait venir ou si les États-Unis considéraient maintenant que cette affaire était terminée. Le département a demandé au Sous-comité de ne pas publier de témoignages où apparaît le nom de ressortissants étrangers, mais le Sous-comité a refusé.

Pearson a été nommé

L’attaque de Jenner et Morris contre M. Norman en 1951 était, sous plusieurs aspects, un prélude à l’attaque contre M. Pearson. Peu après les accusations de Wittfogel en 1951, le Sous-comité a entendu un témoignage à huit clos d'Elizabeth Bentley, une journaliste indépendante à Washington et à New York pendant la guerre qui était courrier pour un réseau d'espionnage communiste. Le travail du FBI terminé, ses révélations ont fourni du travail aux maccarthystes pour plusieurs années à venir.

Mlle Bentley a identifié M. Norman et M. Pearson, ainsi qu’un troisième fonctionnaire canadien dont le nom n’a jamais été rendu public, comme sources d’information de son réseau d’espionnage. Son témoignage n'a jamais été rendu public, mais une grande partie a fait l'objet de fuites vers des éléments favorables de la presse américaine.

[…]

Source: No author, "Pearson sur la liste ," Toronto Daily Star, 5 avril 1957

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