George Carmack découvre de l'or (tiré du livre "Carmack of the Klondike")

[ Yukon Ditch ]

Yukon Ditch, na, 1905, Yukon Territorial Archives

Une nuit de juin 1896, alors que George Carmack dort dans sa tente à Fortymile, il fait un rêve tellement réel, frappant et stimulant qu’il est incapable de se rendormir. Il rêve qu’il est assis sur le bord d’un ruisseau et qu’il regarde un banc d’ombres de rivière remonter à la surface dans une mare d’eau bleu-vert. Soudain, les nageoires dorsales des ombres, semblables à des voiles, disparaissent et deux gros saumons royaux arrivent dans la mare. Leurs écailles sont faites de feuilles d’or brillantes et deux pièces d’or leur recouvrent les yeux. Lorsqu’il se penche pour attraper un saumon doré, Carmack se réveille pour s’apercevoir qu’il se tient l’oreille droite.

Les écailles et les yeux dorés font croire à Carmack que quelque part, où il y a du saumon dans un ruisseau aux eaux bleu-vert, il y a de l’or, beaucoup d’or qui l’attend. Où trouver un tel ruisseau? Les eaux du Yukon sont brunâtres, son lit est extrêmement vaseux et plusieurs de ses affluents sont laiteux ou boueux. Par contre, il existe un cours d’eau bien connu se jetant dans le Yukon 55 milles en amont de Fortymile, qui contient du saumon et dont les eaux claires virent au bleu-vert sous le ciel d’été. Les prospecteurs l’appellent la Klondike, une version anglicisée du nom indien utilisé par les autochtones de la vallée du Yukon. En réponse à une forte impulsion intuitive, Carmack décide de partir pour la rivière Klondike, où il pêchera le saumon et cherchera de l’or.

Avant de quitter Fortymile, Carmack achète du fil à filet au poste de traite de Jack McQuesten, et Kate l’aide à fabriquer un long filet maillant pour attraper du saumon royal. Le premier juillet, le couple charge son bateau et remonte le ruisseau en compagnie d’un ami prospecteur, Lou Cooper, qui a jalonné une concession de roche dure sur le fleuve Yukon du côté opposé à l’embouchure de la rivière Klondike. La petite Graphie, qui a trois ans, est assise sur une pile de filets alors que les adultes font tour à tour avancer le bateau en amont à l’aide d’une perche.

À l’embouchure de la rivière Klondike, Carmack monte sa tente sur la plage et y établit son campement. Les eaux de la rivière sont basses et claires, avec une délicate teinte bleu-vert, comme dans son rêve. Plusieurs familles d’Indiens du Yukon ont des camps de pêche dans les environs. En attendant la montaison annuelle du saumon royal, Carmack construit sur la rivière Klondike une bordigue de branches de saule à la manière des Indiens et plonge son long filet maillant dans l’eau du fleuve Yukon.

La grande montaison habituelle du saumon royal n’a pas lieu cette année-là et les filets de Carmack demeurent vides la plupart du temps. Certains des Indiens attribuent le manque de poisson aux bateaux à vapeur qui naviguent en aval, prétendant que les roues à aubes qui remuent l’eau font que le saumon rebrousse chemin. Après trois semaines de travail infructueux, Carmack comprend qu’il ne pourra pas ramasser assez de poisson séché pour nourrir sa famille durant l’hiver qui arrive. Même la température joue contre lui. De fortes pluies tombent durant la dernière semaine de juillet, suivies d’une période de froid qui change l’épaisse rosée du matin en gouttelettes de glace.

Tard en juillet, alors que Carmack dégage un saumon de son filet maillant, il aperçoit un petit bateau piloté par ses vieux amis, le robuste Skookum Jim aux larges épaules et le maigre et nerveux Charley le Tagish, qui arbore maintenant une moustache clairsemée.

Ce n’est qu’en lui serrant la main que Carmack reconnaît le troisième membre du groupe. Dix ans auparavant, alors qu’il se préparait à passer l’hiver à Tagish, il avait enseigné quelques mots d’anglais à Kulsin, le frère cadet de Charley le Tagish. Le garçon voulait un nom de Blanc, alors Carmack lui en avait donné un : Patsy Henderson. Maintenant âgé de dix-sept ans, Patsy est plus grand que son frère aîné.

Kate Carmack, heureuse de revoir son frère Jim, lui présente fièrement sa fille Graphie. Jim annonce qu’il s’est marié à une Indienne Chilkoot et qu’ils ont une fille, Daisy, née l’été dernier. Sa femme et sa fille sont au village tagish, attendant son retour. D’une voix forte et avec un débit rapide, Kate lui demande en tagish des nouvelles de sa famille et apprend que peu après son départ de la maison, sa sœur a suivi son exemple et est partie avec un prospecteur du nom de Wilson. Leur fille Mary a maintenant cinq ans. Charley le Tagish est lui aussi marié et a une fille qui se nomme Susy.

Le feu de camp brûle tard dans la nuit alors que les trois hommes se racontent leurs expériences respectives depuis que leurs chemins se sont séparés. Jim relève ses manches et montre les cicatrices sur ses bras, le résultat d’un combat avec un gros ours brun. Apercevant l’ours sur la plage près de Dyea, il est parti à ses trousses. L’ours l’a également aperçu, a grogné et s’est précipité sur lui. Jim a tiré un coup de feu. L’ours a continué d’avancer. Jim a déchargé son fusil sur l’ours, puis lui a enfoncé le canon dans la gorge. Après avoir donné plusieurs coups de pattes en direction de Jim, l’ours blessé est soudain tombé et a roulé sur le dos. Jim s’est emparé d’une roche de la grosseur d’un seau d’eau et l’a laissé tomber sur la tête de l’ours, mettant ainsi fin à la bagarre.

Même si Jim et Charley ont prospecté à l’occasion après le départ de Carmack, ils n’ont rien trouvé d’autre que de rares petits éclats de couleur dans le fond de leurs batées. L’automne, la chasse au caribou a été décevante et même leur trappage hivernal a été peu profitable. La malchance s’est abattue sur eux depuis le départ de Carmack, alors ils ont consulté le shaman à Tagish. Il leur a conseillé d’aller rejoindre leur ancien compagnon de prospection s’ils veulent se débarrasser des mauvais esprits.

Lorsque Carmack raconte à ses amis son rêve du saumon doré qui nageait dans des eaux bleu-vert, ils acceptent rapidement de le suivre dans un voyage de prospection dans la vallée du Klondike. Jim veut partir dès le lendemain matin.

  • J’ai hâte d’explorer le Klondike, affirme Carmack, c’est pour ça que je suis venu ici. Mais avant, je veux amasser une bonne quantité de saumon pour l’hiver. Une fois que le saumon sera là, on ira prospecter.
  • Peut-être le saumon viendra pas. T’as chickamin [or] pour acheter à manger? »
  • J’ai pas chickamin, dit Carmack en secouant la tête. Si le poisson ne vient pas, on fera quelque chose pour se trouver du chickamin. Écoutez. En venant ici, avez-vous vu le moulin à scie de Joe Ladue à Ogilvie?
  • Oui.
  • Il y a un autre moulin à Fortymile. Ils achètent des grumes. On va couper des gros arbres, puis les faire flotter jusqu’à Fortymile. On va vendre les grumes, acheter à manger, puis aller prospecter.
  • Pas de gros arbres ici.
  • Écoutez. Lou Cooper a une concession de quartz là-bas, dit Carmack en pointant l’autre côté du fleuve Yukon. Lou dit qu’il y a beaucoup de grosses épinettes dans la vallée de la Klondike. C’est là qu’on va aller chercher le bois et c’est là qu’on va commencer à prospecter.
  • Quand est-ce qu’on va aller chercher le bois?
  • Quand la montaison du saumon sera terminée.

Quelques soirées plus tard, juste après que Carmack et ses compagnons ont terminé leur souper, un petit bateau lourdement chargé avec à son bord un seul occupant accoste sur la plage. Carmack reconnaît cet homme grand et mince à la moustache en demi-lune : c’est Bob Henderson, un prospecteur. Ils se sont rencontrés au poste de traite de Carmack en 1894, lorsque Henderson a descendu le fleuve Yukon en bateau pour la première fois. Lorsque Carmack marche jusqu’à la plage pour accueillir le visiteur, Jim et Charley le suivent.

  • Salut, Bob, dit Carmack sur son habituel ton lent et posé. J’ai entendu dire à Fortymile que tu travaillais pour Billy Redford au ruisseau Quartz. Es-tu toujours là?
  • Non, George. J’ai laissé Redford il y a longtemps. J’ai traversé la ligne de partage des eaux jusqu’à un petit ruisseau de l’autre côté du Dôme. J’ai un bon prospect là-bas appelé le ruisseau Gold Bottom.
  • Et tu t’en vas où comme ça?
  • Je retourne à Gold Bottom. Je suis allé au poste de traite de Joe Ladue à Ogilvie. Je suis venu de Gold Bottom par la rivière Indian, mais la marée est trop basse là-bas pour que je puisse passer par là. Il va falloir que je fasse un grand détour, que je passe par là où le ruisseau Gold Bottom se jette dans la rivière Klondike.
  • Ton prospect est bon?

Henderson hausse les épaules.

  • J’ai trois gars qui travaillent avec moi, et quand on atteindra la fondation rocheuse je saurai à quel point il est bon.
  • On pourrait y aller aussi? demande Carmack.

Henderson regarde Jim et Charley avant de répondre.

  • Tu peux venir toi, George. Mais je veux pas de ces maudits sauvages à Gold Bottom.

Les yeux bleus de Carmack s’écarquillent d’incrédulité lorsqu’il entend la dure remarque de Henderson. Le visage foncé de Jim rougit. Il serre les poings en dévisageant Henderson. Charley fait la moue et donne un coup de pied dans le sable. Après un long silence tendu, Henderson remet son bateau à l’eau et commence à remonter la rivière Klondike. Quelques jours plus tard, il regretterait son attitude raciste.

  • C’est quoi son problème au Blanc? demande Jim alors que les trois hommes retournent au campement. Lui tuer orignal indien, caribou indien, ramasse or dans pays indien, aime pas qu’Indiens jalonnent concession, pourquoi, pas gentil.
  • C’est pas grave, dit Carmack. On va se trouver un ruisseau à nous et on va jalonner des concessions, toi, moi et Charley. Écoute, je crois que la montaison du saumon est terminée. On va remonter la Klondike demain et commencer à chercher des gros arbres.

Laissant Kate derrière pour qu’elle s’occupe de Graphie et du filet maillant, Jim, Charley, Patsy et Carmack se dirigent vers la vallée de la Klondike. À environ cinq milles en amont, ils trouvent un premier bosquet d’épinettes assez grosses pour en faire des billes de sciage.

Lors de leur première journée de débitage, les quatre hommes abattent et coupent cinq arbres, puis roulent avec difficulté les lourdes billes jusqu’à l’eau à travers les broussailles emmêlées. Carmack comprend à quel point son entreprise de débitage aurait été impossible sans l’aide de ses amis tagish. Le deuxième jour, ils ne coupent que des arbres situés à une longueur d’arbre de la rivière, et le travail avance plus rapidement. Dix jours plus tard, Carmack sort son ruban à mesurer et mesure 50 grumes qu’ils ont coupées. À 25 $ par millier de pieds-planches, ils recevraient environ 200 $ pour leur bois, assez pour acheter suffisamment de nourriture pour l’hiver.

  • Maintenant on va prospecter?
  • Demain, dit Carmack en souriant à l’impatience de Jim. On va prospecter chaque rivière qu’on va rencontrer. Ce qu’il ne dit pas à Jim, c’est qu’il planifie aller vers le Dôme, la plus haute montagne de la région, et chercher le campement de Henderson.

Après avoir déjeuné tôt, Carmack va voir sa fille qui dort toujours et se penche pour l’embrasser. Un des premiers mots que Graphie a appris à dire est « Pot », qui est rapidement devenu le petit nom que lui donnait son père.

Ne laisse pas « Pot » jouer près de la rivière, prévient-il Kate. On va revenir dans une semaine, à peu près. Ensuite on va faire descendre les grumes sur la rivière et on va aller chercher à manger.

Carmack, Jim et Charley chargent leur équipement de prospection et les provisions et ils commencent à faire avancer le bateau sur la rivière Klondike à l’aide d’une perche. Patsy reste au camp de pêche avec Kate pour s’occuper du filet maillant.

Les prospecteurs n’ont parcouru que quelques milles en amont lorsqu’ils arrivent à un paisible marécage d’eaux dormantes, où ils retirent le bateau de l’eau. Avec Carmack en tête, ils partent à travers les bois, chaque homme traînant une petite charge et Jim apportant avec lui le fusil dont il s’était servi dans sa bataille avec le gros ours. Après s’être débattus dans les broussailles couvertes de rosée pendant une heure, ils ressortent du boisé pour arriver à un ruisseau.

Juste devant eux se trouve un banc de gravier où brillent de petits morceaux de quartz blanc. Carmack enlève son sac et en sort sa batée. Il remplit sa batée de fin gravier et de sable qu’il prend du dessus du banc. Il fait tournoyer l’eau jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une poignée de sable dans sa batée.

Charley accourt pour voir.

  • Pourquoi toi avoir parlé ces wawa [mots] cultus [sans valeur]? Moi pas voir d’or.
  • Charley, j’emploie la méthode de l’homme de Boston. Crache dans la batée pour la chance, toi aussi Jim.

Les deux hommes s’exécutent. Carmack continue de laver jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une cuillérée de sable noir dans la batée. Il ramasse un peu plus d’eau, la fait tournoyer doucement jusqu’à ce qu’un filet d’or jaune éclatant apparaisse. La poussière d’or est fine mais pesante, facile à garder dans la batée. Carmack se demande quel genre d’indice aurifère il obtiendrait s’il pouvait trouver un fonds rocheux exposé plus en amont du ruisseau.

Une fois de plus, les trois hommes reprennent leurs bagages et continuent leur marche dans la vallée du ruisseau. Après avoir voyagé pendant plus d’une heure, les hommes s’assoient sur le bord d’une berge escarpée. En creusant à la base de la berge, Carmack découvre une poche de minerai tendre et effrité. Il en met une pelletée dans sa batée et le lave rapidement. Dans les résidus, il trouve un bon indice d’or fin et deux morceaux d’or grossier de la taille d’un grain de riz.

  • Hé, regardez ici, dit Carmack. De l’or grossier.
  • Maintenant on jalonne, déclare Jim.

Carmack secoue la tête.

  • On ne sait pas encore ce qu’il y a en amont. On va continuer à avancer et à chercher un fond rocheux dans le ruisseau. Si on ne trouve rien de mieux, on pourra toujours revenir ici.

Jim et Charley sont d’accord et ils marchent encore une heure ou deux avant d’établir leur campement.

Le lendemain matin, Carmack et ses compagnons continuent à remonter le ruisseau, plongeant leur batée ici et là, obtenant un peu de poudre d’or dans presque toutes les batées, mais pas d’or grossier. Arrivés à un embranchement du ruisseau, ils s’arrêtent brièvement puis choisissent de suivre le cours d’eau le plus large. Le ruisseau qu’ils n’ont pas choisi, nommé plus tard le ruisseau Eldorado, s’avérera être le plus riche en or de tout le Yukon.

Un peu plus en amont, ils découvrent un tas de billes de bois en décomposition et à demi brûlées, les restes d’un ancien feu de camp. Carmack ne sait pas à ce moment-là que Joe Ladue a campé à cet endroit alors qu’il chassait l’orignal plusieurs années auparavant.

En suivant le mince sentier tracé par du gibier sauvage, les trois prospecteurs suivent le ruisseau jusqu’à sa source, puis grimpent au sommet d’une crête pour observer les environs. Carmack pointe une montagne ronde et dégarnie connue sous le nom de Dôme. Ils vont dans sa direction, se frayant un chemin à travers d’épaisses broussailles et des fourrés d’aralia épineuse qui les égratignent alors qu’ils se fraient un chemin. En traversant une talle de myrtilles, Jim voit un petit ours noir assis. Il lève son Winchester .44 au-dessus de l’épaule de Carmack, tire un coup de feu et tue l’ours instantanément. Les hommes le dépouillent, le dépècent, cachent le tout dans un bouleau et continuent leur ascension.

La marche en valait la peine. Un promontoire rocheux offre une vue panoramique des grandes vallées inondées de soleil en contrebas. Le mélange de cramoisi, de pourpre et de vert émeraude le long des vallées du ruisseau rappellent à Carmack une tapisserie luxueuse qu’il a vue dans un magasin de San Francisco plusieurs années auparavant. Une bordure de plants de myrtilles et de ronces élégantes marque la limite de la forêt sur les crêtes qui s’étendent à partir du Dôme dans plusieurs directions. Au nord, une mince colonne de fumée bleue s’élève d’un petit canyon.

  • Le camp de Henderson. Allons voir ce qu’il a trouvé, dit Carmack.
  • Pas vouloir, répond Jim. Pourquoi aller dire à homme blanc cultus qu’on a de l’or? Lui pas vouloir Indiens jalonner concessions. On va pas.
  • Ah, allons Jim. Peut-être que son prospect est meilleur que le nôtre.

Après s’être laissé amadouer, Jim accepte d’y aller. Les trois hommes descendent par le canyon broussailleux qui mène au campement de Henderson.

  • Salut, George, dit Henderson. Tu nous as trouvés, hein?
  • Bien, oui, même si c’était par accident. On a trouvé un bon prospect sur une rivière de l’autre côté du Dôme. On a vu ton campement du haut du Dôme, alors on a décidé de venir jusqu’ici pour t’en parler.

Henderson entraîne Carmack à la tranchée où Frank Swanson, Al Dalton et Charley Monson, les associés de Henderson, creusent jusqu’au fond rocheux. Carmack demande la permission de puiser quelques batées. Henderson consent. En lavant des échantillons prélevés dans la tranchée et au bord du ruisseau Gold Bottom, Carmack ne trouve que de modestes couleurs dans la batée. À l’insistance de Henderson, Carmack jalonne une concession en aval de celle de Henderson, mais il refuse de rester pour l’exploiter.

  • Bob, regarde ce que j’ai trouvé dans notre ruisseau, dit Carmack en montrant les deux morceaux d’or qu’il traîne dans une cartouche vide. Tu devrais venir y jeter un coup d’œil.

Henderson secoue la tête.

  • Je reste ici jusqu’à se qu’on arrive à la fondation rocheuse.
  • Comme tu veux. Tu t’es déjà enregistré?
  • Ah non! Ça peut attendre.

Carmack et ses deux compagnons n’ont presque plus de tabac. Remarquant que Henderson en a en grande quantité, Jim tente de lui en acheter, mais Henderson refuse sèchement. Lorsque Jim se met à marmonner en tagish, Carmack coupe court à la conversation.

  • Bon, on devrait y aller. On a un bon bout de chemin à faire.

Selon les estimations de Carmack, le campement de Henderson est situé à environ 15 milles de l’endroit où le trio a trouvé de l’or – 30 milles en amont de leur camp de pêche à l’embouchure de la rivière Klondike.

S’arrêtant en chemin pour camper la nuit venue, le groupe de Carmack suit le ruisseau Gold Bottom jusqu’à sa source sur le Dôme, puis prend un raccourci à travers une région marécageuse. Les moustiques et les moucherons assaillent les trois hommes et leurs talons s’enfoncent dans la boue alors qu’ils peinent à garder leur équilibre dans le marécage. Après avoir de nouveau rejoint les crêtes et suivi leur ancien sentier, ils retrouvent facilement l’endroit où ils ont caché la viande d’ours. Ils suivent ensuite le chemin sur le dessus de la crête jusqu’à ce qu’ils aperçoivent leur ruisseau, celui où ils ont trouvé les morceaux d’or grossier. Ils suivent le ruisseau jusqu’à l’embranchement qu’ils n’avaient pas suivi plus tôt.

Carmack remonte le ruisseau Eldorado à la marche et fait quelques batées. Il trouve du sable rubis et noir au fond de la batée, rien de plus. Les trois hommes travaillent en se dirigeant en aval de l’embranchement tout en restant proche du ruisseau et plongent leur batée fréquemment. À présent, il y a de l’or fin dans chaque batée. À environ un demi-mille en aval de l’embranchement, le ruisseau tourne abruptement vers le nord et les hommes grimpent sur la berge abrupte qui se trouve devant eux. Carmack regarde vers le ruisseau, 50 pieds plus bas. On peut voir une longue et mince bande de fond rocheux le long de son lit.

  • Fond rocheux, crie-t-il. Si ce ruisseau-là est bon, on va y trouver de l’or.

Carmack enlève son bagage et descend difficilement la berge vers le ruisseau. Il y a quelque chose qui brille dans les eaux peu profondes sur le bord du fond rocheux. Il se penche et ramasse une pépite d’or de la taille et de la forme d’une pièce de dix cents bosselée. Il met la pépite entre ses dents et la mord. La pépite se tord et reste tordue. De l’or! Carmack tient la pépite haut dans les airs et crie à ses compagnons restés sur la berge.

  • Hiyu chikamin! Amenez la batée et la pelle. Dépêchez-vous!

Charley attrape la batée et la pelle et descend si vite de la berge qu’il trébuche et tombe. Carmack l’attrape avant qu’il ne roule dans l’eau. En retournant une grosse roche plate avec la pelle, Carmack aperçoit des flocons d’or logés dans la fissure. Il ramasse une pleine pelletée de fond rocheux effrité et le met dans la batée. Il le lave rapidement. Cela produit au moins un quart d’once de flocons d’or grossier.

  • Une batée de cinq dollars, crie Carmack, on l’a trouvé, la veine du placer d’or!

Jim regarde l’or. Il en prend une poignée, puis le laisse couler lentement à travers ses doigts, au-dessus de la batée. Charley regarde aussi, bouche bée d’émerveillement. Carmack peut sentir le sang battre à ses tempes. L’allégresse monte en lui, le submerge. Il lance la batée sur le sol et bondit haut dans les airs. Ensuite il se met à danser autour de la batée, une danse qui ressemble vaguement à une arlepape écossaise, une gigue irlandaise, une version indienne du hula-hula. Jim et Charley le rejoignent, interprétant à leur façon une danse cérémonielle tagish.

Plus tard, une fois que Carmack a fait quelques autres batées et obtenu assez d’or pour remplir la moitié d’une cartouche de fusil vide dans laquelle il avait transporté des allumettes, les heureux prospecteurs traversent le ruisseau et établissent leur campement dans un bosquet de bouleaux. Pendant plusieurs jours, ils ont traversé des broussailles entremêlées et se sont très peu reposés. À présent, ils sont fatigués et affamés, mais aussi extrêmement joyeux.

Après un souper constitué de steak d’ours et de thé, les hommes s’assoient autour du feu de camp pour fumer la pipe. Lorsque les pipes sont vides, les Indiens entonnent des chansons en tagish. Leurs chansons parlent de festins et de famines, de chasse au caribou et à l’orignal, d’aventures partagées dans la neige et la glace. Lorsqu’ils ont fini de chanter, ils s’enroulent dans leurs couvertures et s’endorment.

Alors que les flammes du feu de camp vacillent et s’éteignent, Carmack regarde les braises ardentes et songe à toutes ces années où il a erré d’un bout à l’autre du Yukon à la recherche de cet or introuvable. Onze années de privation et de temps durs, à franchir le col Chilkook en tant que porteur, à manger de la nourriture indienne et à porter des vêtements indiens, à plonger sa batée dans des centaines de rivières stériles. Tout ça était terminé maintenant qu’il avait découvert un véritable bonanza. Bonanza! C’est comme ça qu’il appellerait ce ruisseau doré – le ruisseau Bonanza. Son rêve d’enfance de trouver un grand champ aurifère était réalisé. Il pouvait s’imaginer marcher sur la pelouse d’une belle maison en Californie, Kate toute pomponnée dans des vêtements élégants, attendant que la petite « Pot » revienne de l’école. Rien que des jours heureux devant eux. Il bâille avec contentement et va se coucher.

Source: James Albert Johnson, George Carmack découvre de l’or (tiré du livre Carmack of the Klondike) (Fairbanks: Epicenter Press and Horsdal and Schubert, 1990), 65-77

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