L’or du Klondike : célébrer, et contester, la découverte

La découverte qui a déclenché la ruée vers l’or du Klondike demeure un sujet controversé. Au premier degré, la controverse entoure la personne qui a découvert l’or. Au second degré par contre, des questions subsistent au sujet de la signification de l’histoire de la Découverte. On continue de célébrer la Découverte, ce qui nous amène à nous demander qui est le sujet de cette histoire et qui en est écarté?

Même si les prospecteurs cherchaient souvent de l’or en petits groupes, ils se connaissaient tous. À cause des dangers qu’ils couraient, ces visiteurs du Yukon s’entraidaient et établissaient des règles entre eux. En 1894, ces hommes ont créé une société d’entraide, l’Ordre des Pionniers du Yukon (Yukon Order of Pioneers ou YOOP). Les critères d’admission étaient basés sur l’expérience et les connaissances acquises dans le bassin du cours supérieur du fleuve Yukon. Au fil du temps, les membres de ce groupe ont partagé des expériences qui les ont distingués de la masse des nouveaux prospecteurs attirés par la ruée vers l’or. Autrement dit, le YOOP portait l’histoire locale et les valeurs qui étaient nées de leurs expériences partagées.

De plus, en 1894, le gouvernement canadien a envoyé la Police à cheval du Nord-Ouest pour préserver la souveraineté du Canada et faire respecter les lois canadiennes. Avec l’arrivée des tuniques rouges, les règles qui avaient été établies par les mineurs mais qui commençaient à s’effriter ont été remplacées par un code législatif officiel qui pouvait être appliqué en ayant recours à la force physique. Cette prise de pouvoir par le Canada a été bien reçue dans la région puisque certains éléments du passé du YOOP faisaient déjà partie de la mémoire collective de la communauté de pionniers du Canada. Cette mémoire collective nationale a magnifié la transformation d’un continent désert en une société civilisée moderne. Au cours de la décennie qui a suivi la ruée vers l’or, les méthodes d’exploitation minière de l’or du Klondike ont évolué. Le mineur qui travaillait seul sur sa concession a vu sa part rachetée par des sociétés et le travail qu’il effectuait à la main être accompli par d’imposantes machines minières hautement capitalistiques. En 1911, le YOOP, inquiet que ses valeurs et son apport social à la société yukonnaise ne soient oubliés, a persuadé le Conseil territorial du Yukon de faire du Jour de la Découverte un congé férié. L’année suivante, la célébration a débuté à midi avec une séance de photos des pionniers, une parade, puis des discours et une compétition sportive. Sur le site de la fête, on a eu droit à des envolées de montgolfières, on a offert des rafraîchissements et présenté des spectacles gratuits pour les enfants, puis la journée s’est terminée avec un match de football et une soirée dansante.

Cependant, la principale attraction du Jour de la Découverte était la parade. La parade était menée par deux pionniers qui tenaient de grands Union Jacks. Ils étaient suivis par un groupe d’agents de la Police à cheval sur leur monture et par la fanfare de Dawson. Le corps de la parade consistait en une série de chars représentant les entreprises de la région. D’autres chars transportaient une réplique grandeur nature de la première cabane en bois rond bâtie à Dawson, un bateau de sourdough et même la « grande charrette de bois, le premier véhicule sur roues fabriqué et utilisé à Dawson », propriété d’Olaf Olsen. Derrière les chars couraient les enfants du Klondike au nombre de « 100 à 200, dont plusieurs étaient nés à Dawson ou sur les ruisseaux aurifères, tous radieux et dans une santé éclatante ». Ensuite venaient les « hommes intrépides qui ont ouvert le Yukon au monde entier », les quelque 500 membres du YOOP. Les équipements du service d’incendie de Dawson fermaient la parade. Encore aujourd’hui, cette parade grandiose, avec ses légères variations, sillonne les rues de Dawson.

La parade est une reconstitution de l’histoire du Yukon. D’abord, les pionniers font leur entrée dans l’espace vierge et intemporel avant la découverte, proclamant la souveraineté britannique. Leur position à la tête de la parade, au moment de la création du Yukon, symbolise leur place au sommet de la hiérarchie sociale de la communauté. Ils sont accompagnés par les tuniques rouges à cheval, les représentants paramilitaires de la nation canadienne qui a établi de solides fondations pour l’ordre et le futur essor de cette région. La ruée même est représentée par la grosse fanfare qui, à son tour, annonce l’arrivée massive de la civilisation. Avec le début de l’histoire vient la chance de tirer avantage du progrès, d’où les habitations et la voiture. Les chars à l’effigie de l’industrie minière et des entreprises rappellent l’implantation de celles-ci au Yukon et leur contribution au développement économique et matériel de la région. Et avec ces avancées modernes, il y a aussi les possibilités d’un brillant avenir : les enfants. Enfin, le défilé historique se conclut en mettant en scène le plus haut échelon de la civilisation : la mise sur pied d’un gouvernement local pour le bien commun, représenté par les camions de pompiers.

Grâce à la célébration officielle de la Découverte, les éléments qui constituent l’histoire du YOOP s’intègrent à la mémoire collective canadienne. L’histoire locale de la découverte est entrée dans l’histoire du Canada, soit celle des colons, du développement économique et de la société de nouveaux arrivants. En célébrant cette mémoire collective nationale, le Yukon devenait partie intégrante de la société culturelle dominante canadienne. Par la même occasion, cette histoire fait ombrage à d’autres histoires.

Edward Said associe cette négation de l’histoire à un moyen imaginé par l’impérialisme pour prendre le contrôle d’une région étrangère et la comprendre. Se créer un passé permet d’avoir le contrôle sur le présent1. Ce souvenir qu’a le YOOP du passé du Yukon a été incorporé à l’histoire canadienne et a aidé à la création et au maintien de l’idée que les nouveaux arrivants se faisaient du Yukon, qui le voyaient comme une terre vierge n’attendant que d’être découverte et développée. Cette mémoire commune a modelé l’identité du Yukon, telle que représentée dans la parade et, dans le processus, pouvoir et impuissance ont été distribués dans la société2.

La société établie par le YOOP et la Police à cheval a pris le pouvoir et les Premières Nations du Yukon, qui étaient complètement absentes de la mémoire collective de la nation, ont été dépossédées de toute autorité et pratiquement oblitérées. Les Premières Nations du Yukon ont longtemps déclaré que la Découverte était un récit significatif pour le Yukon. Dans leurs récits oraux sur la ruée, les indigènes décrivaient le comportement étrange, irrespectueux et parfois rapace des nouveaux arrivants qui ont graduellement empoisonné les relations entre eux. En 1971, les Premières Nations du Yukon ont déposé une requête pour établir une nouvelle relation avec le Canada. Publié sous le titre de Ensemble aujourd’hui pour l'avenir de nos enfants : Des revendications et une approche de règlement par les peuples indiens du Yukon, le document soulignait que les peuples natifs du Yukon avaient été évacués de l’histoire. « Les congés fériés ont maintenant une bien maigre signification aux yeux des Indiens. Le 17 août, le Jour de la Découverte, rappelle à l’homme blanc le jour où la ruée vers l’or a été lancée. Pour l’Indien, cette date rappelle le jour où son mode de vie a commencé à disparaître. »3

L’Accord-cadre définitif, traité conclu en 1992 entre le Canada, le Yukon et les Premières Nations du Yukon, est un accommodement culturel qui prescrit la reconstruction de l’histoire du Yukon et une redistribution du pouvoir qui inclut entièrement les Premières Nations. Ainsi, mieux comprendre la Découverte nous offre la chance de découvrir différentes histoires, différents souvenirs et différents modes de vie au Yukon.

Notes

1. Edward W. Said, Orientalism, (New York: Pantheon Books, 1978), p. 66, 108-109.
2. Said, p. 332.
3. Conseil des Indiens du Yukon, Together Today for Our Children Tomorrow - A Statement of Grievances and an Approach to Settlement by Yukon Indian People, (Brampton: Charters Publishing, 1973), p. 17.

Source: , , , David Neufeld, "L’or du Klondike : célébrer, et contester, la découverte," n.d..

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