Extrait de "Frontier Spirit: The Brave Women of the Klondike"

Ils se marient lors d’une cérémonie tagish. George allait plus tard invoquer ce fait pour la renier, disant qu’ils n’avaient jamais été mariés, mais en ce moment, il est très satisfait. D’avoir cette beauté à ses côtés. D’avoir sa force qui s’additionne à la sienne. D’avoir une femme capable d’être son égale sur la rivière et dans les bois, dans la pure tradition des Premières Nations. Comme Kitty Smith, l’ancienne, le dit : « Il a une femme. Il est correct! Elle fait TOUT, cette Indienne, vous savez : chasse comme si de rien n’était, pose les collets pour les lapins. C’est ça qu’ils mangent. »

Shaaw Tlaa rejoint George, Keish (qui sera plus tard connu sous le nom de Skookum Jim) et son cousin Kaa Goox (qui sera plus tard connu sous le nom de Dawson Charley), portant le matériel de l’arpenteur fédéral William Ogilvie à partir de Dyea en mai 1887. Elle franchit plusieurs fois le col Chilkoot, effectuant la randonnée aux côtés de ses compagnons masculins, sur les sentiers empruntés depuis des siècles par ses ancêtres. La saison terminée, Keish et Kaa Goox aident George à bâtir une cabane à Dyea pour y passer l’hiver. George veut sa femme pour lui seul. Comme il doit être étrange pour elle de quitter le foyer communal et de vivre à deux seulement, d’accomplir seule les travaux des femmes sans une belle-sœur ou une tante avec qui partager des histoires, de devoir apprivoiser une intimité qui ne lui est pas familière.

Keish et Kaa Goox reviennent au printemps afin de vendre leurs fourrures et d’aller prospecter le fleuve Yukon avec George. Le voyage s’avère infructueux. En septembre, George et Shaaw Tlaa se réinstallent au village tagish, dans une cabane à part cette fois. Shaaw Tlaa colmate les fissures des murs de bois et George répare le toit de terre.

Le village est sur les rives du chenal qui coule entre le lac Marsh et le lac Tagish, au nord du lac Bennett. Environ douze cabanes en bois rond sont dispersées autour des deux maisons communes. George et Shaaw Tlaa adoptent le mode de vie traditionnel tagish. Shaaw Tlaa ramasse du petit bois, tronçonne les bûches et alimente le feu, va puiser de l’eau ou fait fondre de la neige. Elle tanne le cuir et coud des mitaines, des mocassins et des mukluks pour ensuite les vendre. Elle cueille des ronces élégantes et des bleuets, des racines et des herbes. Elle pêche des ombres communs et du saumon, attrape des lagopèdes et des lapins; elle est reconnue comme étant une bonne chasseuse. Elle fait du beurre de moelle et du bannock. Ses talents et ses connaissances permettent au couple de vivre de la terre pour que George n’ait pas à s’acheter les choses que les autres prospecteurs devaient se procurer et transporter lors de leurs déplacements.

Lorsque la nouvelle concernant le filon d’or de Fortymile parvient au village en 1889, George veut y aller à tout prix. Keish et Kaa Goox décident de demeurer plus près de la maison. En juin, George et Shaaw Tlaa se rendent à Fortymile sans eux. C’est là une chasse complètement différente. Ensemble, ils creusent le fond rocheux, passent le minerai au sluice et à la batée sur leur concession. Ils ne trouvent pas d’or. L’année est trop avancée pour retourner au village tagish, alors ils vont trapper sur la Porcupine pour l’hiver.

En 1890, après avoir vendu leurs fourrures au printemps, ils jalonnent une autre concession près de Fortymile. Cette fois ils trouvent de l’or. Ils sont forcés d’habiter dans une tente tout l’hiver puisqu’ils ont été trop occupés à prospecter pour se construire une cabane. En 1891, ils ont une bonne récolte, mais en 1892, la concession est épuisée. Parce que Shaaw Tlaa veut se rapprocher de sa famille, ils remontent le fleuve Yukon et établissent un poste de traite près des rapides Five Finger.

Shaaw Tlaa opère seule le poste de traite alors qu’elle est enceinte. La solitude lui apprend de précieuses leçons. George est parti tout l’été pour aider à la construction de l’église St. Andrew à Fort Selkirk, où ils emménagent pour l’hiver. C’est dans cette ville, le 11 janvier 1893, loin de sa famille, que Shaaw Tlaa accouche de leur fille; George la nomme Graphie Grace. Graphie est baptisée par le missionnaire à l’église St. Andrew, c’est la première fois que George revendique un droit lié à la culture dont il est issu.

Ils retournent au poste de traite jusqu’en mai 1896, alors que George, qui a la bougeotte, décide de retourner à Fortymile, où il peut se remettre à prospecter. En juin, selon la légende, il fait un rêve inoubliable où il rencontre deux saumons dans une rivière : « Ils étaient recouverts de pépites d’or au lieu d’écailles et leurs yeux étaient faits de pièces d’or de vingt dollars ». Il décide qu’ils doivent partir à la pêche. Ils se rendent jusqu’au camp de pêche Tr’ondek Hwech’in à l’embouchure de la rivière Klondike et fabriquent ensemble des filets et des barrages, les Hans accueillant Shaaw Tlaa comme une des leurs.

C’est là que son frère Keish, son cousin Kaa Goox et le plus jeune frère de Kaa Goox, Koolseen (que George rebaptise Patsy Henderson), rejoignent le couple. La famille a déjà subi la perte d’un frère et de trois sœurs, et deux des sœurs restantes sont parties depuis deux ans avec des prospecteurs. Keish est responsable d’assurer le bien-être de ses sœurs et il a peur qu’elles se soient perdues. D’un commun accord, le clan décide que Keish, Kaa Goox et Koolseen aillent s’assurer que les sœurs sont en sécurité. C’est donc l’inquiétude de la famille en ce qui concerne la sécurité de Shaaw Tlaa, et non l’avidité pour l’or, qui amène le groupe au village de pêche des Hans, où la Klondike croise le fleuve Yukon et, par le fait même, le ruisseau Bonanza.

Tous les anciens des Premières Nations insistent sur le fait que l’or ne signifie rien aux yeux des leurs en ce temps-là. Qu’ils savent depuis toujours qu’il y est, mais n’en ont jamais fait de cas. Peut-être que Shaaw Tlaa et sa famille se mettent à y accorder de l’importance à cause de l’intérêt qu’y porte George. Ou peut-être est-ce George qui est important à leurs yeux, en tant que membre de la famille, alors ils le suivent dans sa quête. Ils n’ont besoin ni d’un métal brillant trop mou pour être utile ni d’argent et de ce qu’il pourrait leur acheter, mais ils ont grand besoin d’un mari, d’un beau-frère, d’un cousin – ils en ont perdu tant.

Puisque l’été n’est pas propice à la pêche, ils coupent des billots de bois et les vendent au moulin à scie de Ladue pour obtenir l’avance de fonds qui leur permet de stocker des provisions et de payer les dépenses alors qu’ils prospectent ou extraient le minerai. Ils rencontrent un autre prospecteur, Bob Henderson, qui jalonne le ruisseau Gold Bottom qui leur dit franchement, sans passer par quatre chemins, qu’en ce qui le concerne, les gens des Premières Nations n’y sont pas les bienvenus. George est outré et ne veut pas être en compagnie d’un homme aux opinions si basses. Le groupe part plutôt explorer les territoires en amont de la rivière Klondike, particulièrement les ruisseaux des alentours. Et dans un de ces ruisseaux, ils font la découverte qui allait stimuler la cupidité chez les gens de partout à travers le monde.

Il existe tellement de récits différents de ce moment épique que nous ne pourrons jamais savoir ce qui s’est réellement passé. Au début, George raconte que Kate a fait la découverte, puis il dit que c’est lui-même. Plus tard, Skookum Jim raconte que c’est lui qui a fait la découverte. L’arpenteur fédéral William Ogilvie, qui les a tous interrogés peu après qu’ils aient enregistré leurs concessions, donne lui aussi le titre de découvreur à Skookum Jim.

Selon le récit d’Émilie Tremblay, les compagnons amassent du bois pour allumer un feu afin de faire cuire l’orignal mâle qu’ils viennent de tuer, alors que Shaaw Tlaa se rend au ruisseau chercher de l’eau. Munie de son panier d’écorce de cèdre, elle parcourt les bois et s’agenouille sur la rive, comme elle l’a probablement fait plusieurs fois ce jour-là. Mais cette fois, il y a comme un rayon de soleil dans les ombres de l’eau. Elle voit des pépites d’or briller dans l’eau peu profonde. Elle les ramasse, sent leurs formes rugueuses et le présage qu’elles annoncent. Elle les rapporte au campement. Elle dit à George de tendre les mains et, devant ses yeux ébahis, dépose l’or dans ses paumes. Il lui demande encore et encore comment elle a trouvé ces pépites et lui demande de le conduire à l’endroit précis dans le ruisseau. Ils trouvent encore plus d’or et il hurle, triomphalement, qu’ils sont tous riches à présent.

Mais que signifie « être riche » lorsque la terre sous vos pieds contient tout ce dont vous avez besoin? Lorsque les babioles ne sont qu’un fardeau qui ralentit votre canot ou votre traîneau? Alors qu’ils campent dans cette région riche en or, il est possible que Shaaw Tlaa trouve le minerai en lavant la vaisselle, que Skookum Jim et Dawson Charley trouvent les pépites en s’abreuvant dans le ruisseau, mais il est tout aussi possible qu’aucun d’entre eux n’ait fait de cas de la découverte. Je peux imaginer Shaaw Tlaa dire : « Laissez mon mari dire que c’est lui qui a trouvé ce qu’il a tant cherché, cette chose jaune qu’il croit si spéciale; laissez-lui se croire spécial grâce à cette chose. » Mais elle a aussi de la jugeote. Elle a tenu le poste de traite, extrait du minerai à Fortymile, s’est assise avec les prospecteurs blancs et les a écoutés parler. Peut-être était-elle également à la recherche d’or, ne sachant pas où la mènerait cette découverte.

Kate, Graphie, George, Skookum Jim, Dawson Charley et Patsy, les noms par lesquels le reste du monde allait bientôt les connaître, établissent leur campement à Bonanza et commencent à laver les alluvions au sluice. À l’automne, ils ont récolté 88 onces d’or, une valeur de 1400 $. Puisqu’aucun d’entre eux ne peut exploiter seul sa concession, ils se mettent d’accord pour y travailler tous ensemble et séparer l’or en parts égales. Ils enregistrent leurs concessions auprès du commissaire. George met la concession de la Découverte et la no 1 en aval à son nom. Skookum Jim signe d’un X pour s’approprier la no 1 en amont, Dawson Charley fait la même chose pour la no 2 en aval. Il est possible que George ait enregistré deux concessions parce que l’une représentait la part de Kate. Cela aurait semblé juste aux yeux de son frère et de ses cousins, des marchandeurs expérimentés de la pure tradition tagish-tlingit. Une fois l’enregistrement consigné, George se rend à Fortymile avec une cartouche de fusil remplie d’or et se glorifie devant tout le monde d’avoir fait la découverte. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre à travers le territoire et la ruée vers l’or est lancée.

Source: Jennifer Duncan, "Extrait de « Frontier Spirit: The Brave Women of the Klondike »" (Ottawa: Doubleday Canada, 2003), 71-4

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