Personne ne connaît son nom: Klatsassin et la guerre de Chilcotin
   
 

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Un horrible massacre!

Daily British Colonist, 12 mai 1864

Meurtre de 14 membres du groupe de la route de Bute Inlet par des Indiens
Trois hommes s’échappent miraculeusement

Le vapeur Emily Harris est arrivé hier matin à 8 h de Nanaimo, rapportant des nouvelles d’une des plus effroyables tragédies à ne s’être jamais abattue sur les sujets de Sa Majesté dans ses possessions.

La triste nouvelle du massacre de 14 des 17 membres du groupe de M. Waddington, perpétré de sang-froid par des Indiens sur la route de Bute Inlet, s’est répandue comme une traînée de poudre à travers la ville et, aussitôt que les détails de cette violente attaque furent connus, l’imagination de la population s’est imprégnée d’un vif et profond désir de vengeance.

Les autres détails de cette triste affaire, rapportés par les trois survivants qui sont arrivés à bord du vapeur, font frissonner le cœur de toute personne dotée de simples émotions humaines.

Petersen et Buckley, les deux hommes blessés, sont maintenant au Royal Hospital, y recevant tous les soins nécessaires à leur état et nous sommes heureux d’apprendre que leurs blessures ne sont pas considérées comme sérieuses.

Déposition de Peter Petersen

Mon nom est Peter Petersen; je suis originaire du Danemark; j’ai travaillé à Bute Inlet l’été dernier et je faisais partie du groupe qui s’était perdu et qui était presque mort de faim en cherchant à rejoindre Cariboo. J’ai joint le groupe de M. Waddington et j’ai commencé à travailler le 23 mars dernier. Vendredi soir dernier, je dormais, seul dans une tente; tout le groupe, au nombre de 12, était endormi, ne soupçonnant rien. Au lever du jour, j’ai entendu deux coups de feu; j’ai sauté hors du lit et je suis sorti de la tente; j’ai vu deux Indiens qui tiraient des coups de feu dans la tente voisine. L’un d’eux, me voyant, est accouru et a tenté de me frapper avec la crosse de son mousquet. J’ai réussi à parer le coup et je me suis tassé quand un autre Indien est arrivé armé d’une grosse hache et s’est élancé vers moi en la tenant à deux mains. J’ai fait un bond de côté et la hache a frappé le sol. J’ai ensuite couru vers le bord de la rivière et je me suis caché derrière un arbre, car j’ai vu l’Indien qui avait voulu me frapper en premier venir vers moi avec un mousquet. L’Indien a attendu pendant deux minutes d’avoir un bon angle pour tirer et, tout ce temps, il se rapprochait de moi; il a finalement tiré et m’a touché le bras gauche, la balle traversant mon poignet.

J’ai ensuite sauté dans le courant, qui passait rapidement; le sang coulait à profusion de ma blessure et colorait l’eau. Croyant sans doute m’avoir tué, l’Indien n’a pas essayé de me suivre et j’ai été transporté par le courant sur à peu près un quart de mille, me faisant une multitude de contusions en roulant sur les roches et les épines. Je n’ai entendu que deux autres coups de feu après avoir sauté dans l’eau. J’ai été arrêté par une grosse roche dans le courant; j’ai rampé hors de l’eau et je marchais depuis quelques centaines de verges lorsque j’ai été rattrapé par Mosley et, comme je ne pouvais marcher vite, celui-ci est descendu vers le traversier où je l’ai rejoint environ une heure plus tard.

Déposition de Buckley

Mon nom est Philip Buckley; je suis né en Irlande. J’étais membre du groupe de M. Waddington qui avait été engagé pour travailler sur le sentier de Bute Inlet. Vendredi soir dernier, notre groupe de 12 hommes est retourné au campement pour nous reposer, comme à l’habitude, rien ne s’étant produit qui nous aurait fait soupçonner que le danger était tout près. Je dormais dans une tente avec un autre homme quand, vers l’aube, j’ai reçu un sérieux coup à la tête, asséné par un Indien qui était entré furtivement dans la tente et qui me frappait avec la crosse de son mousquet. Bien que partiellement assommé et confus, j’ai bondi et couru vers la porte de la tente où j’ai rencontré deux Indiens qui m’ont poignardé plusieurs fois avec de longs couteaux. J’ai reçu une blessure dans le côté droit, une autre à gauche et une troisième grave coupure au poignet gauche. Je suis tombé entre les deux Indiens qui m’ont laissé, croyant sans doute que j’étais mort. J’ai ensuite rampé vers un buisson et m’y suis évanoui, ayant perdu une grande quantité de sang.

À peu près une heure plus tard, j’ai repris connaissance et j’ai entendu du bruit au campement, mais je ne pouvais voir ce qui s’y passait. J’avais l’impression que des hommes s’affairaient à ramasser des choses de notre campement. J’ai réussi à ramper sur une distance d’environ 150 verges vers un peu d’eau, où j’ai bu avec fébrilité, et suis resté là jusqu'à environ 17 h; je me suis senti plus fort après avoir satisfait ma soif et j’ai quitté pour le campement Brewster. Je marchais depuis environ un demi mille quand j’ai découvert les mêmes Indiens qui étaient dans le campement; je suis donc revenu sur mes pas et je suis resté toute la nuit près de l’endroit que j’avais quitté. Le lendemain matin, avant l’aube, je suis parti et, bien que très faible, je me suis rendu de mieux que j’ai pu au traversier où j’ai retrouvé Petersen et Mosley avec joie.

Déposition de Mosley

Je suis Anglais et suis arrivé ici en juin dernier de Californie. J’ai passé la saison à Cariboo. Je suis un membre du groupe qui a été attaqué sur le sentier de Bute Inlet le 30 avril. Nous campions au pied du 3e cap. MM. Brewster, Clark, Gaudet et Desmarest étaient plus en avant; j’étais dans une tente avec Fielding et Campbell le matin du jour mentionné et, vers l’aube, j’ai été réveillé par deux Indiens approchant la porte de la tente; ils ne sont pas entrés, mais ils l’ont soulevée en hurlant et ont tiré des coups de feu de chaque côté d’où j’étais. J’étais couché au centre. Ils ont ensuite laissé tomber la tente; le poteau du centre est tombé sur moi et la tente nous a recouverts tous les trois. Alors que j’étais étendu dans cette position, j’ai vu des couteaux traverser la tente et transpercer mes compagnons allongés à mes côtés. Je pouvais voir par le côté de la tente et, voyant les Indiens aller vers d’autres tentes, je me suis levé et j’ai sauté dans la rivière qui était à deux pas de moi. Je ne pouvais identifier qui étaient ces Indiens, mais ils étaient vêtus un peu à la manière des Indiens qui étaient avec nous; un d’eux portait des jambières faites de couvertures rouges, ce que j’avais déjà remarqué.

Après avoir descendu la rivière pendant environ 100 verges, je suis sorti de l’eau et j’ai vu les Indiens, hommes, femmes et enfants, crier et hurler là où se trouvait la tente du cuisinier et les provisions. Je me suis ensuite détourné et j’ai continué vers le traversier, rencontrant Petersen à peu près 2 miles plus bas.

Je n’ai jamais entendu parler ou été au courant de différends entre notre peuple et les Chilcotins. Douze ou quinze d’entre eux voyageaient habituellement avec nous, en plus de leurs familles et de quelques Clayooses ou Homathco, appelés Indian Jim, George et Squint Eye, qui faisaient divers travaux dans le campement. Il y en avait à peu près le même nombre avec nous la nuit précédant l’attaque. Je pourrais reconnaître tous les Chilcotins si je les voyais.

La fuite des survivants

En arrivant au traversier, nous ne pouvions traverser et nous nous sommes couchés dans des broussailles, craignant que les Indiens arrivent de ce côté. À environ 10 h, un jeune Indien Clayoose [ayant échappé?] au massacre du groupe de Brewster venait vers nous et nous lui avons fait signe, mais il avait l’air apeuré et s’est sauvé. Mosley l’a suivi sur une courte distance, mais le garçon ne l’a pas laissé s’approcher. Nous sommes restés là toute la nuit dans une petite cabane en bois rond et nous nous sommes barricadés et armés de bâtons au cas où nous serions attaqués.

Le matin suivant, Buckley est arrivé très faible. Un marin, il s’est attaché à une boucle faite d’un bout de corde et il s’est ainsi tiré au-dessus de la rivière en utilisant une corde tendue d’un bord à l’autre de la rivière, qui est large d’environ 200 verges au traversier. Il a ensuite envoyé la plate-forme pour traverser; Petersen et Mosley ont été tirés de l’autre côté. Les trois hommes ont ensuite cherché des provisions et ont trouvé du lard et du thé dans la maison où Tim Smith, l’opérateur du traversier, avait été tué le vendredi précédent.

Ils sont demeurés là jusqu’à 15 h alors que Sampson et Cadman, deux remblayeurs, sont arrivés de la ville avec cinq Indiens Clayooses à leur recherche, ayant entendu dire par le jeune indien qu’ils se cachaient près du traversier. Les Indiens ont réparé un esquif qui traînait par-là, et Mosley et Petersen ont descendu la rivière à bord de cet esquif, alors que les autres allaient à pied. Ils ont atteint le camp [Stongh?] le [deux mots illisibles] jour, et un canoë est ensuite arrivé de la ville pour les amener. Ils sont arrivés à ce dernier [lieu?] mardi, le 3 mai, et sont partis vers Nanaimo en canoë le lendemain et sont arrivés là-bas le samedi soir, où ils ont reçu toute l’attention de M. Auguste Pujol, du French Hostel, à qui le groupe exprime toute sa reconnaissance pour sa grande gentillesse.

Aucun incitatif au crime

Les survivants affirment clairement ne pas être au courant de la moindre provocation qui aurait été faite aux Indiens qui aurait pu justifier de telles atrocités. Ceux-ci ont toujours été traités avec gentillesse; ils recevaient du tabac et d’autres articles en cadeau, en plus de la nourriture du groupe de travail. Il n’y a eu aucune querelle entre eux et les hommes blancs et, bien que plusieurs articles aient été volés du campement en différentes occasions, personne n’y a prêté attention et le groupe de travail n’a pas engagé de représailles. Les survivants considèrent qu’ils ont traité ces misérables trop gentiment et leur ont trop fait confiance, ce que la suite des événements a démontré.

Environ une semaine avant la tragédie, un Indien de la même tribu, bien que sous un chef différent, avait essayé de voler des provisions de la tente du cuisinier, mais Buttle était éveillé et provoqua la fuite de l’Indien qui laissa sa couverture derrière lui; cette dernière fût ensuite remise au chef. Quelques couvertures furent aussi volées au camp et des squaws de la famille de Telloot en informèrent les hommes du camp et dirent que les voleurs avaient quitté pour Benshee. Aucun de ces faits, selon les survivants, n’avait créé des sentiments d’hostilité.

Le destin du groupe de Brewster

Les seules informations que les survivants ont pu glaner au sujet du destin du groupe de Brewster ont été obtenues du jeune Indien. Il semble que les scélérats, assoiffés de sang après avoir perpétré l’effroyable tragédie déjà racontée, auraient probablement continué tout de suite vers le campement de Brewster, qui était situé à environ 2 miles en amont de la rivière, et y auraient trouvé les quatre hommes au travail. Les Indiens ont soudainement tiré sur Clark, Gaudet et Baptiste. Clark et Baptiste sont tombés, mais Gaudet n’était que blessé et a immédiatement reçu un deuxième projectile; le jeune garçon a vus les Indiens tuer ces trois hommes. Brewster était allé marquer le sentier et les Indiens sont partis à sa recherche; on ne peut qu’arriver à la douloureuse conclusion que ce pauvre homme aura connu le même sort que ses compagnons. Le jeune Indien n’a pas été touché, mais on lui a conseillé de partir et il s’est sauvé immédiatement. En passant le camp où les autres hommes furent tués, il a vu les corps inertes étendus, dénudés et le camp dévalisé. Il n’a pas constaté que les corps avaient été mutilés après la mort.

Le meurtre de Tim Smith

On ne sait rien de la manière dont on s’est débarrassé du pauvre Tim Smith, l’opérateur du traversier. Dans l’arbre, au pied duquel il faisait son feu, ils ont trouvé une balle encastrée, et en dessous, une marre de sang, ce qui laisse présumer qu’il a été tué à la tête alors qu’il se tenait debout près du feu. Ils ont aussi vu des marques qui indiquaient que quelque chose avait été traîné vers la rivière, mais ils n’ont pas découvert de corps.

Les noms qui suivent sont ceux des hommes qui, selon les survivants, ont été assassinés : William Brewster, contremaître, un Canadien; Charles Buttle, cuisinier (autrefois un sapeur de la Boundary Commission); Robert Pollock, un Écossais; George Smith, idem; James Campbell, idem; Alexander Millan, idem; Joseph Fielding, un Anglais; James Openshaw, idem; Timothy Smith, idem (autrefois sapeur); John Newman, un Norvégien; John Clark, un Canadien; Baptiste Desmarest, Canadien français; James Gaudet, idem; John Hoffmeyer, ou Hoffmann, Bavarois.

(Clark se serait marié au Canada.)

M. Whymper, un artiste, et deux hommes nommés Curtis et Blair, avaient heureusement quitté la crique la veille de l’attaque et ils sont arrivés à Victoria le 5 de ce mois. Les deux remblayeurs, Alfred Sampson et Geo Cadman, s’y trouvaient.

Les trois survivants se nomment Edward Mosley (indemne), Peter A. Petersen, un projectile à travers le poignet et des contusions sur le corps, Philip Buckley, trois blessures au couteau.

Nous ne pouvons conclure ce douloureux récit sans exprimer notre sympathie envers M. Waddington pour les troubles qui se sont ainsi abattus sur lui. Ce gentilhomme a travaillé dur et s’est battu noblement et courageusement contre les obstacles insurmontables qui se sont présentés lors de l’exécution du projet de Bute Inlet; ces événements doivent être un lourd fardeau au moment où l’horizon semblait s’éclairer à l’aube du succès.

Source: "Un horrible massacre!," Daily British Colonist, 12 mai 1864.

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