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Décision de la Cour suprême sur la Nation Tsilhqot'in c. Colombie-Britannique 2014 CSC 44 — Résumé du cas

Dans une décision marquante publiée aujourd'hui, la Cour suprême du Canada (CSC) a accueilli le pourvoi de la Nation Tsilhqot'in, et pour la première fois dans l'histoire du Canada, a déclaré l'existence d'un titre ancestral. Ce faisant, la Cour a confirmé que la doctrine de terra nullius (selon laquelle nul ne possédait la terre avant l'affirmation de la souveraineté européenne) ne s'est jamais appliquée au Canada, a confirmé la nature territoriale du titre ancestral et a rejeté le critère juridique avancé par le Canada et les provinces sur la base de « secteurs spécifiques » occupés intensivement. La CSC a infirmé une décision antérieure de la Cour d'appel selon laquelle la preuve de l'existence d'un titre ancestral exige l'utilisation régulière de secteurs bien définis du territoire et a aussi déclaré que la Colombie-Britannique avait manqué à l'obligation de consultation qu'elle avait envers les Tsilhqot'in en matière d'autorisations d'exploitation forestière qu'elle a accordées. Ce cas modifie considérablement le paysage juridique canadien en ce qui concerne le droit de jouir des terres et des ressources et de les gérer.

La CSC a définitivement conclu que le juge de première instance avait eu raison de constater que les Tsilhqot'in avaient établi l'existence du titre ancestral sur 1750 kilomètres carrés de terres situées approximativement à 100 kilomètres au sud-ouest de Williams Lake. La Cour a reconfirmé et clarifié le test qu'elle avait déjà établi dans l'arrêt Delgamuukw comme preuve d'un titre ancestral, soulignant que les trois caractéristiques d'une occupation elle doit être suffisante, continue (si l'occupation actuelle est invoquée) et exclusive ont été établies par la preuve présentée.

Occupation suffisante et exclusive

La CSC a conclu que le titre ancestral ne se limitait pas aux sites des villages, mais qu'il s'étendait aux terres utilisées pour la chasse, la pêche, le piégeage, la cueillette et d'autres objectifs ou pratiques d'ordre culturel. Le titre ancestral « ne se limite pas aux sites physiquement occupés […] mais s'étend aux terres environnantes qui sont utilisées et sur lesquelles un contrôle effectif est exercé » . La CSC a aussi approuvé d'autres exemples d'occupation ancestrale suffisants pour fonder un titre incluant « empêcher les intrus d'y entrer » , « couper des arbres » , « pêcher dans des cours d'eau » et « parcourir la région » .

De plus, la CSC a affirmé non seulement l'importance de la norme appropriée en common law, mais aussi la prise en considération du point de vue des Autochtones quant au titre, incluant des règles de droit, des pratiques, des coutumes et des traditions autochtones en matière de propriété et d'utilisation de terres. La CSC a conclu que « [l]a notion d'occupation doit aussi refléter le mode de vie des peuples autochtones, y compris ceux qui étaient nomades ou semi-nomades. »

La CSC a conclu que le critère d'exclusivité peut être établi au moyen d'éléments de preuve qui démontrent que les autres groupes sont exclus du territoire, que certains groupes doivent demander une permission pour y avoir accès, que des lois empêchent les intrus d'y entrer, que des traités ont été conclus avec d'autres groupes ainsi que par le fait qu'une permission ait été accordée ou refusée, ce qui démontre l'intention et la capacité de contrôler le territoire.

Quels sont les droits conférés par un titre ancestral?

La Cour a conclu que « les titulaires du titre ont droit aux avantages associés aux terres — de les utiliser, d'en jouir et de profiter de leur développement économique. Par conséquent, la Couronne ne conserve pas un intérêt bénéficiaire sur les terres visées par un titre ancestral. » À partir de l'arrêt Delgamuukw, la CSC a établi que le titre ancestral accorde les droits de possession et de propriété, incluant:

  • le droit de déterminer l'utilisation des terres;
  • le droit aux avantages économiques que procurent les terres;
  • le droit d'utiliser et de gérer les terres de manière proactive.

Ce n'est pas « simplement un droit de premier refus » . En effet, la Cour a recommandé que « [l]es gouvernements et particuliers qui proposent d'utiliser ou d'exploiter les terres, que ce soit avant ou après une déclaration de titre ancestral, peuvent éviter d'être accusés de porter atteinte aux droits ou de manquer à l'obligation de consulter adéquatement le groupe en obtenant le consentement du groupe autochtone en question » .

La CSC a aussi conclu que « [l]e droit de contrôler la terre que confère le titre ancestral signifie que les gouvernements et les autres personnes qui veulent utiliser les terres doivent obtenir le consentement des titulaires du titre ancestral. Si le groupe autochtone ne consent pas à l'utilisation, le seul recours du gouvernement consiste à établir que l'atteinte proposée est justifiée en vertu de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. »

Justification de l'analyse

La Cour a clarifié la justification de l'analyse présentée dans Sparrow, Gladstone et Delgamuukw. La Cour a conclu que l'imposition à la Couronne de démontrer un objectif juridique « impérieux et réel » doit être considéré du point de vue autochtone et de l'intérêt public général de façon à poursuivre l'objectif de réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones. De plus, la Couronne doit aussi « prouver que l'atteinte proposée au droit ancestral est compatible avec l'obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones » . La CSC a conclu que l'obligation fiduciaire de la Couronne veut dire: 1) « les atteintes au titre ancestral ne peuvent donc pas être justifiées si elles priveront de façon substantielle les générations futures des avantages que procurent les terres. » ; 2) «l'obligation fiduciaire de la Couronne insuffle une obligation de proportionnalité dans le processus de justification » intrinsèque au processus de réconciliation. Il ressort implicitement de l'obligation fiduciaire qu'a la Couronne que l'atteinte doit être nécessaire pour atteindre l'objectif gouvernemental, que le gouvernement ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et que les effets préjudiciables sur l'intérêt autochtone ne l'emportent pas sur les avantages qui devraient découler de cet objectif.

La CSC a averti que si les gouvernements ne respectent pas leur obligation de justifier une atteinte au titre ancestral et n'agissent pas de façon compatible avec leurs obligations fiduciaires, des projets pourraient être annulés et la législation pourrait être déclarée inapplicable. Le message est que les gouvernements qui ne justifient pas leurs actions le font à leurs risques et périls. La Cour a offert l'exemple suivant:

« Si, avant que le titre ancestral soit établi, le gouvernement a entrepris un projet sans le consentement du groupe autochtone, il peut être tenu de l'annuler une fois l'existence du titre établie si la poursuite du projet porte indûment atteinte aux droits des Autochtones. De même, si une loi a été valablement adoptée avant que l'existence du titre soit établie, elle pourra être déclarée inapplicable pour l'avenir dans la mesure où elle porte injustement atteinte au titre ancestral. »

Conséquences sur la législation provinciale

À la lumière de ses déclarations sur le titre ancestral et sur la base de la définition de « Crown timber » (bois des terres publiques) et de « Crown lands » (terres publiques) du Forest Act [de la Colombie-Britannique] n'incluant pas le bois sur les terres ancestrales, la CSC a constaté que le Forest Act ne s'appliquait pas aux terres ancestrales des Tsilhqot'in. La CSC a conclu que « le législateur voulait que le Forest Act s'applique aux terres visées par une revendication de titre ancestral, jusqu'à ce que l'existence du titre soit confirmée par une entente ou une ordonnance judiciaire » . Cependant, une fois que l'existence du titre ancestral est confirmée, l'intérêt bénéficiaire sur les terres, incluant ses ressources, est dévolu au groupe autochtone.

À savoir si les provinces peuvent légiférer en matière de titre et de droits ancestraux ou si cela représente un empiètement sur le contenu essentiel du pouvoir fédéral prévu au par. 91(24), la CSC a maintenu que la doctrine de l'exclusivité des compétences ne s'applique pas.

La CSC a conclu que la question de l'exclusivité des compétences dans le cas présent n'en était pas une de confrontation entre le pouvoir des provinces et celui du gouvernement fédéral, mais plutôt d'une tension entre le droit des titulaires du titre ancestral d'utiliser leurs terres comme ils l'entendent et la volonté de la province de réglementer ces terres au même titre que toutes les autres terres dans la province. La CSC a conclu que la garantie des droits ancestraux contenus dans l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 constitue une limite à l'exercice des compétences tant fédérales que provinciales; conséquemment, la façon appropriée de réduire les interférences aux droits ancestraux et d'assurer le respect de la part des gouvernements de la Couronne est d'exiger la justification de toutes les atteintes, autant fédérales que provinciales.

À l'avenir

Ce cas offre aux Premières Nations de bien meilleures possibilités de promouvoir leurs titres et leurs droits ancestraux dans un esprit qui est conforme à leur vision, à leurs valeurs et à leurs points de vue. La décision de la CSC exige essentiellement que la Couronne et le secteur industriel dialoguent de manière significative avec les titulaires des droits ancestraux lorsqu'ils désirent prendre des décisions et poursuivre des activités commerciales sur leurs territoires. Ces discussions ne peuvent plus se limiter aux « secteurs spécifiques » , mais doivent être tenues de manière à prendre en compte concrètement les caractéristiques des titres confirmés par ce cas; c'est-à-dire le droit de jouissance et d'occupation des terres ancestrales; le droit de posséder les terres; le droit aux avantages économiques que procure la terre; le droit d'utiliser et de gérer les terres de manière proactive. Dans ce contexte, tel que précisé au parag. 97 de sa décision, la Couronne et le secteur industriel seraient bien avisés « d'éviter d'être accusés de porter atteinte aux droits ou de manquer à l'obligation de consulter adéquatement le groupe en obtenant le consentement du groupe autochtone en question » .

De façon pragmatique, ce cas fournit de judicieux conseils pour tenir des consultations et des discussions efficaces et équilibrées en matière d'accommodation et de décisions quant aux terres autochtones. Lorsqu'ils seront honorés et mis en place, les principes et les lois qui ont été confirmés dans ce cas devraient redynamiser les négociations sur les terres de la Colombie-Britannique. Il y a abondance de possibilités.

C'est avec gratitude que nous reconnaissons et respectons la vision, le courage et le leadership des Tsilhqot'in qui ont permis de présenter cette cause.

Source : Le cabinet juridique Mandell Pinder, publié le 27 juin 2014.

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