Barbarie.

Monsieur,

Lors d’une visite à Sandy Cove, j’ai entendu dire qu’un homme qui avait perdu ses deux jambes un peu en-dessous des genoux avait été retrouvé non loin de là, sur la rive de la baie de Fundy – où il avait été laissé par une ou des personnes inconnues – avec seulement quelques morceaux de pain et un petit tas de vêtements. On racontait également qu’il ne savait pas parler anglais et ne pouvait rien dire sur lui-même. Impatients de le rencontrer et si possible d’en apprendre davantage sur une si étrange histoire, le révérend J. C. Morse et moi-même sommes partis à sa recherche. Après une courte marche, nous sommes arrivés à la maison où l’on s’occupe de lui, et avons trouvé Matteo (Matthew—c’est ainsi je crois qu’il voulait que nous comprenions son nom) assis sur le porche d’entrée, ce qu’il restait de ses membres inférieurs étaient dénudés. Ils étaient parfaitement guéris. L’amputation semblait avoir été faite par des mains expertes. Nous n’avons pas pu apprendre la raison de cette perte, ni comment ni d’où il était venu. À en juger par certains mots que nous avons réussi à lui faire prononcer, je crois qu’il est originaire d’Espagne ou d’Italie.

Après une excursion le long du rivage à la recherche de spécimens géologiques, je suis allé voir Matteo, et croyant que si le nom de son pays était mentionné, il démontrerait des signes de reconnaissance, j’ai crié Hispania! Hispania! Son visage s’est illuminé de joie et, en inclinant la tête, il a prononcé sise, ce qui je crois, à partir de ce que j’ai observé, signifie « oui ». De la même façon, j’ai dit Italia! Italia! Il a secoué la tête et a répondu non.

M. George Albright, la personne qui a trouvé et qui prend encore soin de l’inconnu impotent et abandonné, m’a appris qu’environ dix jours avant le 18 septembre (le jour où nous avons eu cette conversation), deux goélettes (aux voiles en pointe), ont jeté l’ancre à Sandy Cove, sans qu’aucune d’elles n’ait, autant que l’on sache, communiqué avec les habitants de l’endroit. Au matin, les deux bateaux avaient disparu. Mais il semble certain que l’inconnu ait été amené par l’un d’eux et laissé, faible et impotent, sur la plage. On ne sait pas si le pauvre homme a été estropié dans l’armée ou la marine – fédérale ou confédérée – et donc retourné à terre; ou s’il a été débarqué, étant considéré comme une charge aussitôt qu’il a été un peu convalescent; ou encore si, par manque de volonté de prendre soin du pauvre handicapé, on l’a exclu de ces conditions tranquilles et privilégiées; mais l’auteur soupçonne cette dernière hypothèse d’être la bonne. L’homme ne semble pas être du type soldat – rien en lui ne laisse suggère qu’il ait fait la guerre, sauf la perte de ses jambes. Le pauvre semblait abruti lorsqu’on l’a trouvé, à cause des médicaments, de la terreur ou du froid (il était resté sous la pluie) et est demeuré ainsi durant quelques jours. Lorsque nous l’avons vu, il semblait – selon ce que M. Albright nous a dit – mieux et plus enclin à observer et à communiquer, du moins à essayer, qu’il ne l’était auparavant. Vu sa faiblesse, il ne serait pas surprenant que les vêtements et le froid le plongent dans un état de stupeur. Le pauvre homme avait eu une mauvaise toux, mais elle semblait se résorber lorsque nous l’avons vu. Je crois qu’il avait un peu moins de trente ans. Ce sont les enfants de M. Albright qui l’ont découvert étendu sur le rivage; ils l’ont dit à leur père, mais il a cru que c’était impossible alors n’y a pas porté attention, jusqu’à ce que sa vieille mère aille vérifier et revienne en informer son fils. Quelques heures de plus au froid auraient pu lui être fatales. De quelle barbarie, inhumanité, cruauté et injustice ont fait preuve ceux qui ont agi ainsi! La crainte de Dieu avait-elle abandonné leur esprit? Ou l’amour du prochain, expulsé de leur cœur? Nous espérons que les responsables d’un acte si méchant, lâche, abominable et vil soient découverts et qu’on leur fasse comprendre le mal qu’ils ont fait à cet homme, à la Nouvelle-Écosse, à l’humanité et au Christ; qu’ils se repentent et apprennent dorénavant à s’acquitter de leurs devoirs de charité chrétienne envers leurs prochains dans le besoin.

Veuillez agréer l’expression de mes sentiments respectueux,

George Armstrong.

Bridgetown, le 28 septembre 1863

[Nous nous rappelons avoir lu dans un journal du Nouveau-Brunswick, il y a une ou deux semaines, le compte rendu du déplacement dans cette même province d’une personne similaire en tous points au malheureux inconnu mentionné ci-dessus. La personne l’ayant pris en charge, à ce que nous avons pu comprendre, a été payée pour l’emmener à New York ou Boston, d’où il serait peut-être retourné dans son propre pays. Les auteurs d’autant de barbarie, à peine moins répréhensible qu’un meurtre, devraient être sévèrement punis s’ils venaient à être retracés. –Ed. C.M.]

Source: George Armstrong, "Barbarie.," The Christian Messenger, 7 octobre 1863.

Retour à la page principale