Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 

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UN DERNIER APPEL A LA CLEMENCE HUMAINE.
[tampon de Minister of Justice, sept. 24 1920]

Dans huit jours Québec aura à enrégistrer dans ses annales de 1920, la pendaison d'une femme,une mère de famille,la femme Gagnon.

N'est-ce pas quelque chose qui porte à la répulsion et qui fait passer dans tous les membres de chaque individu ce frisson glacial dont on se désempare difficilement. Cette pauvre misérable meurt déjà à chaque lever du jour, lorsque le soleil lui annonce une journée de moins à vivre par la pensée de la date finale de son existence.

Son crime a été odieux vous allez me dire, en faisant mourir à petit feu la petite martyre que l'on ne pourra jamais oublier. J'en conviens, et c'est en mémoire de cette enfant que j'admets que toute âme bien née doit vouloir à son ou plutôt ses bourreaux, un châtiment bien mérité, sans pour cela rendre le mal pour le mal en enlevant la vie.

Nous vivons dans une province essentiellement catholique, et du haut des chaires de vérité, l'on entend sans cesse ceux qui nous dirigent développer les paroles de Dieu: "Tu rendras le bien pour le mal; Tu padonneras si tu veux être pardonné." Dieu a dit aussi; " Tu ne tueras point." Il n'a pas dit; " Tu tueras celui qui aura tué."

Enfin, dans notre pays comme dans bien d'autres que l'on dit civilisés, la loi veut la peine de mort, alors je m'incline devant elle tout en demeurant réfractaire de conviction. Seulement, il m'est bien permis de crier contre l'injustice apparemment commise, lorsque le compagnon de vie de la condamnée jouit de l'esistence au pénitencier, et qui, après avoir juré à l'autel de la protèger contre le mal, non seulement pour servir ses intérêts personnels, mais pour la sauvegarder elle-même, n'a pas su crier vengeance en présence de semblables cruautés infligées à son enfant propre, avant même qu'elles fussent poussées jusqu'au crime.

On lui laisse la vie à cette brute de haute stature en face d'une femme de taille plutôt dérisoire (on a prétexté crainte pour le sauver) et n'était-ce pas lui qui devait la ramener à la raison et lui faire reconnaitre son erreur lorsqu'en revenant de son travail, il trouvait la chair de sa chair couverte de plaies hideuses?

N'était-ce pas lui qui sain de santé, n'ignorait pas dans quelle situation était sa femme? N'était-ce pas lui qui devait comprendre que par l'oeuvre de Dieu les nerfs de cette femme étaient plus que jamais surrexcités, alors qu'il aurait dû lui enlever sa proie et la placer en lieu sûr à l'abri de toute attaque? Il a cessé de frapper lui-même parce qu'il constatait que l'enfant devait en recevoir assez de sa belle-mère.

Je n'ai pas à refaire le procès du père à qui l'on a donné la liberté de vivre, j'admire plutôt son avocat, digne défenseur, dont l'éloquence aurai dû tout aussi bien toucher les jurés dans le cas de sa cliente; mais , s'il doit y avoir justice faite, que ce soit justice égale, et si le père de la victime a le droit de vivre, qu'il en soit ainsi de la pauvre désiquilibrée.

Pouvons -nous compter bien des familles qui n'ont pas eu à souffrir de la non-responsabilité de la mère en temps importuns, que ce fût causé par l'excès de travail, l'absence de force physique, ou l'abattement complet du moral par la venue trop rapprochée d'un grand nombre d'enfants?

Que de mères sous l'oeuvre de la création, ont eu à déplorer par la suite, la souvenance d'impatiences sans nombre parfois poussées à l'excès par plusieurs d'entre elles à l'égard de leur propres enfants. Elles avaient peine à se reconnaitre elles-mêmes tant leur nature était transformée; de même cette pauvre malheureuse a agi sous l'effet d'une dépression mentale.

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Heureuses sont les familles pour qui ces moments regrettables n'ont été que passagers, tandis que bien d'autres se sont vues forcées de confier aux asiles ces pauvres mères qui ne devaient plus compter au foyer.

II n'y a certainement pas de rapprochement à faire avec les monstruosités dont la femme Gagnon s'est rendue coupable, mais si l'on considère combien souventes fois ces humeurs massacrantes se sont faites sentir chez des personnes bien douées au point de vue du sens moral, on peut s'expliquer cette espèce de barbarie chez celle dont l'esprit est demeuré inculte; de son état normal à la folie, il n'y avait qu'un pas à faire, et c'est ainsi que cette femme, avec un sang-froid qui ne se rencontre que chez des dépourvus de toute lucidité d'esprit, a pu voir de ses yeux pendant des mois, les plaies qui résultaient des coups administrés par elle sur cette chair d'enfant qui demandait grace.

Tout comme son défenseur, je plaide folie momentanée, et au nom de toutes celles qui ont eu à subir plus d'une fois les angoises de la maternité, j'implore pour l'existence de la condamnée. A l'exemple de Dieu qui lui a pardonné il y a déjà longsemps, qu'on lui laisse ce qu'Il a laissé à l'humanité condamnée à mourir; l'incertitude de l'heure et du jour, qui une fois connus, fait de l'attente de la mort, la pire torture morale.

On dit que Québec ne s'est pas montrée favorable à la requête en faveur de la commutation de la peine de mort, à en juger par la feuille qui est restée presque blanche. Si ceux ou celles chargés de la produire ont brillé partout par leur absence, comme il en a été fait auprès de moi et de mon entourage, il n'y a rien d'étonnant que l'on n'en ait retiré que de l'insuccès

J'aurais été heureuse ainsi que bien d'autres de signer une requête aussi humanitaire.

J'espère encore, et je crois etre l'interprête de la majorité des femmes de Québec en implorant pour celle qui aurait pendant toute sa vie au pénitencier, le remords d'avoir fait d'un de ces anges que Dieu nous envoie, la petite martyre que fût Aurore Gagnon.

Pitié pour ceux à qui elle a donné le jour sous les murs d'une géole. Que le souffle de vie qu'elle leur a inculqué lui soit transmis et qu'elle vive! -

UNE MERE DE FAMILLE DE QUEBEC.

A L'Honorable Ministre de la Justice du Canada.

Ottawa

Ont.

De

[signature]Madame J. A. Beaubien

51 Claire-Fontaine

Québec.

Source: ANC, , RG 13, Box 1507, File Houde Marie-Anne, vol. 1, part. 1, Madame J. A. Beaubien, "Un dernier appel à la clémence humaine," septembre 24, 1920, 2.

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