Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 
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COUR DU BAN C DU ROI.     ) Siégeant à Québec le 20 avril , 1920.
JURIDICTION CRIMINELLE. )

PRESENT: L'honorable Juge L. P. Pelletier.

LE ROI.

- vs -

MARIE-ANNE HOUDE.

Sur accusation de meurtre.

PREUVE DE LA PART CE LA COURONNE IN-REBUTTAL.

MICHEL DELPHIS BROCHU, de la Cité de Québec, médecin, âgé de 66 ans, étant dûment assermenté sur les Saints Evangiles dépose ainsi qu'il suit:

INTERROGE PAR MTRE LACHANCE DE LA PART DE LA COURONNE.

Objecté par Mtre Francoeur de la part de l'accusée à ce que ce témoin soit entendu parce que la Couronne a déjà fait entendre cinq experts et qu'il faut la permission de la Cour pour en faire entendre d'autres.

Preuve permise par la Cour.

Q,. Vous pratiquez la médecin depuis combien d'années ?

R. Quarante quatre ans.

Q. Donnez donc vos occupations ordinaires et professionnelles ainsi que vos qualités officielles ?

R. Je suis Surintendant de l'asile de Beauport depuis dix-sept ans.

Q. C'est un asile d'aliénés n'est-ce-pas ?

R. Oui ,Monsieur.

Q. Vous avez combien de patients dans cet asile ?

R. Ca varie entre treize cents à quatorze cent cinquante. Il y en a plus que cette année nous avons eu jusqu'à seize et dix-sept ans et dix-huit censs par année.

Q. Maintenant vous avez eu l'opportunité d'entendre un certain nombre de témoins dans cette cause-ci- n'est-ce-pas ?

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[Longue question qui résume la preuve contre Marie-Anne Houde, la réponse du docteur:]

A première vue, en premier lieu, l'ensemble des faits indiqueraient une grande aversion, et par certains détails, dans mon opinion

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une intention criminelle de l'accusée à se débarrasser de l'enfant. J'appuie particulièrement pour exprimer mon opinion sur le fait des brulures et des coups de bâton qui ne peuvent être censé pouvoir donner la mort à moins d'être répétés--------- bien souvent, mais les brulures, je crois que toute personne, même les plus ignorantes, par tout ce qu'on voit se produire dans le monde, dans les journaux, doivent avoir l'idée que des blessures tant soit peu étendues, comme onle constante d'apres le récit d'accidents, une lampe qui fait explosion et qui met le feu aux habits d'une personne, dont les bras sont brulés ou les jambes et qui arrive au bout de quelques jours à mourir il me semble que c'est un fait d'une telle notoriété qu'une personne qui applique l'équivalent par des blessures multiples qui pouvaient à la fin se résumer comme une blessure étendue pouvait avoir l'idée---- ne pouvais pas s'empècher d'avoir l'idée que ça pouvait donner la mort. Alors à première vue ça laisse supposer l'intention criminelle. Avec le gros bon sens elle ne pouvait pas manquer d'avoir l'idée que c'était bien nuisible, et par ce qui se produit à la connaissance de tout le public, c'est une cause de mort assez fréquente. Eencore [sic] et même plus particulièrement dans le cas de la lessive---- tout le monde connait que la lessive est considéré comme un poison---- et dans les interrogations --- je ne sais pas si la Cour me permettra de revenir là-dessus, mais d'après les questions que j'ai posées à la malade.

Objecté à cette preuve par Mtre Francoeur de la part de l'accusée.

Q. (Par la Cour) Ne répétez pas ce que la malade a dit.

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R. Non, mais j'ai l'impression de l'examen que j'ai fait de la malade---c'est à dire de l'accusée................

Par la Cour.- Vous êtes habitué aux malades ?

R. Sans doute.

Q. Continuez Docteur ?

R. A propos de l'administration de la lessive, à moins qu'une personne ne soit pas dans son bon sens.........

Par la Cour.- Voulez-vous s'il-vous-plaît vous contenter de dire qu'est-ce que ça indique au point de vue mental ?

R. Pour moi ça indiquerait à première vue l'intention de meurtre, parce que c'est généralement considéré comme un poison. Cela est de la connaissance, il me semble, de tout le monde. Je dis: a première vue, en premier lieu. Maintenant les rapports qui sont indiqués dans la question qui m'est soumise ,que l'accusée faisait contre l'enfant pour indiquer qu'elle était d'un caractère détestable ou peu controlable, semblent avoir été faits évidemment dans le but de justifier les mauvais traitements qu'elle lui donnait.

Objecté par Mtre Francoeur de la part de l'accusée à cette partie de la réponse parce que le témoin ne doit pas argumenter sur les faits. Objection renvoyée.

R. (Continuée.) Pour moi cela indique que la personne avait l'advertance, la conscience de ce qu'elle faisait et corrobore l'idée que c'était un e personne qui pouvait être responsable. En second lieu, en dehors de ces détails là---- si je ne peux pas m'étendre sur ces détails là-----

Q. (Par la Cour) J'ai dit que vous pouviez continuer la réponse. Vous parliez des rapports contre l'enfant ?

R. Les rapports contre l'enfant pour indiquer qu'elle avait un caractère détestable, qu'elle faisait toutes sortes d'incongruité qui méritaient une punition me

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paraissent indiquer que la personne agissait d'une manière intelligentedans cette circonstance pour se protéger et qu'elle avait une certaine advertence par conséquent de la nature de ses actes et de l'imputabilité qui pouvait en résulter contre elle. Les détails qu'on a donnés à propos de ces incongruités consistant à mettre des souillures dans les habits du mari paraissent être en rapport avec l'aversion qu'elle pouvait avoir contre l'enfant et prouvent l'intention malicieuse ou criminelle parce que c'était fait dans le but d'indisposer le mari et de l'empècher de s'opposer ou de blâmer les traitements qu'elle luidonnait. Ceci doit donner à première vue l'apparence, par ces détails qu'elle agissait encore là avec un certain discernement en constatant que ces actes pouvaient être répréhensibles et tâchant d'empècher que ces actes puissent tourner contre elle.

Q. (Par Mtre Fitzpattick ) Assumant que tous les faits contenus dans la question hypothétique sont vrais....

Objecté par Mtre Francoeur de la part de l'accusée à ce que le témoin soit interrogé par plus d'un Procureur de la part de la Couronne. Objection maintenue.

Q. Assumant comme vrais tous les faits que j'ai posés dans la question que je viens de vous soumettre, dites moi maintenant si l'accusée savait alors qu'elle faisait mal ou bien et si elle connaissait la nature de ses actes et la gravité de ses actes. ?

R. Je vous avoue que la question telle que posée ne me permet pas de répondre sans faire la distinction que j'ai faite toute à l'heure parce que il y a certains détails qui manquent qui pourraient permettre de changer mon appréciation. Par conséquent je ne peux pas répondre sans faire une distinction analogue à celle que j'ai faite pour l'autre.

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Q. Les connaissez-vous ces détails là ?

R. Savoir si l'accusée commettait ces actes là devant des témoins qui pouvaient la compromettre, et si elle prenait des précautions pour empècher ces témoins.......

Q. C'est posé dans la question qu'elle avait défendu à ses enfants d'en parler---- qu'elle mettait les enfants à la fenêtre---- qu'elle faisait guetter ses enfants par la fenêtre- losqu'elle brulait Aurore ?

R. Ces deux détails là ajoutés à ceux que j'ai mentionnés prouveraient qu'elle avait une parfaite advertence pour se protéger empècher de se compromettre. Cela indique réellement un calcul intelligent et intéressé. Ce n'est pas une personne qui agit à l'aveugle, par impulsion ou conclusion mentale. C'est présisément pour ça que je pourrais répondre plus facilementou justifier mon opinion si la question était détaillée, ce qui me permettrait de justifier mon opinion pour chaque point.

Par la Cour.- Demandez les détails que vous voulez avoir ?

L'audience est alors suspendue jusqu'à deux heures et quart.-

Advenant deux heures et quart l'interrogatoire du témoin est continué ainsi qu'il suit:

Mtre Fitzpatrick de la part de la Couronne demande à la Cour la permission de continuer l'interrogatoire du témoin et cette persmission lui est accordée.

INTERROGE PAR MTRE FITZPATRICK DE LA PART DE LA COURONNE.

Q. Maintenant Docteur aviez-vous terminé votre réponse lorsque la Cour a ajourné ce matin ?

R. Non, Monsieur.

Q. Alors voulez-vous continuer ?

R. Le fait que les plus grandes atrocités ont été commises

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à une époque ou le mari était généralement absent de la maison, penfant l'hiver, prouve le fait que l'accusée faisait la distinction des conséquence qui pouvaient résulter de son a ction durant la présence ou l'absence de son mari, de même, que les autres procéséd qu'elle employait pour ne pas se compromettre dans l'accomplissement de sesactes dans ces circonstances laissent présumer la suite du même calcul: de pouvoir arriver à ses fins sans être trop compromise, et l'intimidation qu'elle avait déjà faite aux enfants et qu'elle répétait par des menaces dénotait également aussi le calcul intelligent de se préserver en empèchant les enfants de communiquer à leur père ce qui se passait en son absence. Le fait, à la mort de la victime, avant d'apperler les secours, de la laver pour faire disparaître les taches de sang, semble indiquer une même préoccupation, c'est à dire l'abertence des conséquence qui auraient pu résulter de l'appréciation des étrangers qui auraient pénétrés dans la maison; mais d'un autre côté les brutalités prises dans leur emsemble pouvaient aussi faire naître l'arrière pensée, d'une aberration mentale particulière, et de fait nous forcer à rechercher dans tous les antécédents de la vie de l'accusée, comme dans son état actuel, si elle n'avait pas présenté à aucune des périodes de sa vie, comme depuis le crime, des signes évidents d'une maladie mentale quelconque et en particulier d'une maladie de dégénérescence.

Q. Docteurk, on a parlé de débilité mentale et de folie morale. Pouvez-vous dire a'la Cour et aux Jurés si vous avez remarqué chez l'accusée l'ensemble des signes qui caractérisent ces maladies ?

R. La débilité mentale et la folie morale sont deux des

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particularités de la dégénerescence mentale héréditaire ou congénitale. Cela représente deux états permanents qui sont pour ainsi dire inhérent au tempéremment de l'individu et qui doivent se manifester d'une manière plus ou moins évidente ou plus ou moins intence aux différentes époques de la vie de l'individu, particulièrement dans la seconde enfance, à la puberté et l'adolescence, de sorte que quand on a le soupcon qu'une telle maladie puisse exister, on est tenu de faire des recherchez pour se renseigner sur ce qu'a été la vie et la conduite de la personne jusqu'au moment ou on a à l'examiner. C'est d'ailleurs ce qui se fait dans presque..... ce qui doit se faire dans toute appréciation mentale de nimporte quel aliéné, mais particulièrement pour ces cas là, pour ces deux maladies, surtout la débilité mentale et la folie morale. La période de l'éducation dénote souvent le déséquilibre de l'intelligence ou du sens moral. Il ne me semble pas qu'il y ait eu aucune preuve mise devant la Cour pour établir que telle maladie avait exister chez l'accusée, saut quelques anomanies [anomalies] de caractère qui devenaient plus évidentes à l'occasion de la grossesse. Je dirai de suite, quand aux anomanies telles que constatées chez l'accusée qu'elles ne me semblent pas représenter des syndromes particuliers de la folie morale ou de la débilité mentale. Ca peut être, ça me parait être dans la mesure ou l'étendue qu'on rencontre chez les différents caractères. et à supposer qu'on admettrait que ça pourrait être compté comme des signes d'une dégénérescence, ces signes n'acquèreraient de valeur qu'en autant qu'ils seraient corroborés par d'autres manifestations. Si l'on prend la première période de la vie de l'accusée, la prériode de son éducation lors-

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qu'elle a fréquenté l'école, comme elle le dit elle-même, elle était au niveau des autres. Elle est entrée un peu tard à l'école, sans qu'elle ait peu préciser, elle m'a dit cependant qu'elle a appris à lire et à écrire passablement bien, et la lettre qui est produite comme exhibit et qu'elle a écrite à la prison..........

Q. Aimeriez vous à y référer particulièrement Docteur ?

R. Je l'ai lue,---cette lettre témoigne qu'elle a acquis l'éducation ordinaire, et pour son intelligence ou l'état de ses facultés intellectuelles cette lettre me parait très significative---- c'est une lettre coordonnée avec intelligence, une intelligence même particulière dans les circonstances ou l'accusée se trouvait, pour arriver encore, comme dans les autres choses que j'ai mentionnées, à gagner la sympathie de son beau-père, à détourner tout soupcon sur les mauvais traitements qu'elle avait donnés à l'enfant, la victime, et puis témoignant en même temps de son sens affectif pour ses enfants puisqu'elle donne toutes les recommandations même pour leurdonner les soins dans la légère maladie qu'ils avaient, et tous les autres soins que le grand père était appelé à donner en son absence---- la lettre me parait témoigner par son éducation qu'elle a acquis les facultés ordinaires et le développement des autres, mais encore qu'elle a conservé une intelligence égale à celle de toute autre personne dans sa condition. Dans les autres étapes de sa vie c'est une femme qui d'après le témoignage qui a été rendu par son père comme d'après son propre aveu a commencé à gagner sa vie à l'âge de quatorze ans et jusqu'à l'âge de dix-sept ans, la plupart du temps dans sa Paroisse, étant le plus souvent demandé pour aller pren-

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soin des maisonslors que les femmes étaient en maladie par suite d'acouchement, et il y a apparence qu'elle avait par conséquent la confiance des gens de la Paroisse pour remplacer les mères lorsqu'elles étaient retenues au lit par suite de leur maladie. Ceci est absoluement en contradiction de ce qu'on peut supposer de la folie morale ou du déséquilibre moral qui rend la conduite d'une personne très irrégulière, et souvent portant beaucoup au soupcon, surtout au point de vue des moeurs par défaut de consistance, et tout là encore me semble éloigner l'idée d'une personne qui est atteinte de folie originaire ou de dégénerescence originaire ou héréditaire soit débilité mentale ou folie morale, et surtout la folie morale dont les syndrome sont décrits le plus nettement et qui impriment un caractère tout à fait particulier chez le sujet qui en est entaché et qui se traduit par une très grande mutabilité de caractère, absence de sens moral, souvent des perversions particulières qui portent les enfants par exemple à être cruels envers les animaux ou envers leurs semblables et qui les portent à développer la plupart des vices de leur âge et à l'époque de la puberté ou de l'adolescence entrainent les femmes surtout dans les désordres de la conduite----or rien n'a été prouvé devant la Cour et rien n'a révélé par l'examen de la personne que l'accusée soit entachée de cette dégénérescence morale, sauf les faits qui constituent le crime qui est interprété comme étant une manifestation de dégénerescence morale. Comme épouse, c'était une débile, et là encore dans cette période de sa vie qui a été assez mouvementée, la personne s'est adapté à ce rôle d'une manière en apparence normale d'après les témoignages donnés, n'a pas manqué d'être une femme dévouée à son mari, intéressée

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à sa maison et à ses enfants-, sauf pour la victime, et son mari qui l'a eu sous sa surveillance pendant deux ans avant de la marier, alors qu'il était affligé d'une femme malade, atteinte de maladie mentale à l'asile, l'a toujours bien appréciée puisqu'il l'a mariée et il témoigne lui-même qu'il n'a jamais rien remarqué d'anormal et il exprime la surprise qu'on lui pose des questions là-dessus parce que, dit-il, il a été assez affligé la première fois que s'il eut remarqué quelque chose d'étrange dans le caractère de l'accusée, il ne se serait pas risqué une seconde fois.

Source: ANQ, TP 999, 1960-01-3623, 1B 014 01-04-004B-01, Cour du banc du roi, assises criminelles, district de Québec, Déposition du Dr Michel Delphis Brochu, procès de Marie-Anne Houde pour meurtre, avril 20, 1920, 11.

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