Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 

Le Devoir 15 avril 1920, p. 10

A QUEBEC

TEMOIGNAGES ACCUSATEURS

TROIS NOUVEAUX TEMOINS DEPOSENT A PEU PRES SEMBLABLEMENT — LES MAUVAIS TRAITEMENTS — L'ACCUSEE N'AURAIT JAMAIS AIME LES ENFANTS DE GAGNON — LE PROCES SE CONTINUE

Québec, 15-(D.N.C.)-Le procès de la femme Gagnon, qui s'est continué, hier après-midi, aux assises, à huis clos ce qui n'a pas empêché la cour de se remplir d'étudians et d'avocats, a donné lieu à une nouvelle discussion légale sur la question de savoir si la cour doit permettre aux témoins entendus de rapporter ce que la victime leur a dit quant à la cause des blessures dont elle souffrait. Les avocats de la Couronne se sont objectés à cette preuve et le juge Pelletier décidera aujourd'hui si elle peut être permise.

On a entendu, hier après-midi, trois témoins, Mme Chs Lemay, voisine de l'accusée; Mlle Marguerite Leboeuf, sa nièce et Mme Hamel, sa belle-soeur, soeur de l'accusé Télesphore Gagnon.

Mme Lemay, qui voyait assez souvent l'accusée, a déclaré que celle-ci lui disait chaque fois, qu'il n'était pas facile de corriger les enfants de son mari, et qu'une fois elle a ajouté que Télesphore Gagnon avait battu la victime avec un manche de hache.

Trois jours avant la mort d'Aurore Gagnon, le témoin alla la voir. Elle la trouva couchée sur un grabat, dans une chambre très malpropre. Elle avait les mains couvertes de plaies et difformes, les pieds et les jambes de même que la figure remplis de blessures, et elle portait aussi des blessures au-dessus des deux yeux. Voyant l'état de l'enfant Mme Lemay a dit à l'accusée qu'il était grand temps de faire venir le médecin, que l'enfant allait mourir. La femme Gagnon lui a dit que ce n'était pas nécessaire, qu'il suffisait de téléphoner au médecin pour qu'il envoyât des remèdes. Elle ajouta aussi de ne pas mentionner que c'était pour Aurore.

Le témoin raconte que l'accusée lui a dit que la victime était malpropre et vicieuse. Elle lui a également dit qu'elle souhaitait que la petite fille mourût elle aussi sans que personne n'en eût connaissance. C'est le témoin qui a fait venir le prêtre pour administrer l'enfant, qui était sans connaissance.

Le jour de l'arrestation des Gagnon, le témoin est retourné à la résidence de ces derniers avec le détective Couture et a trouvé des taches de sang sur le mur et le plancher de la chambre où couchait la victime.

Transquestionnée, Mme Lemay a dit que l'accusée, avant son mariage avec Gagnon, vivait chez ce dernier. Elle était la cousine de la première femme de Gagnon, internée à l'asile de Beauport où elle est décédée. Elle n'a jamais vu les accusés frapper la victime, mais on lui a dit que c'était eux.

Mademoiselle Marguerite Leboeuf, a raconté ensuite qu'étant allé passer quelques jours chez l'accusée, elle a eu connaissance que celle-ci battait la victime sans raison apparente. Une fois, elle l'a vue la brûler en faisant mine de lui friser les cheveux, alors qu'elle avait les cheveux coupés très court.

Madame Hamel, le troisième témoin, a dit que, lorsqu'elle a attiré l'attention de l'accusée sur l'état de la victime, elle a répondu qu'ils n'étaient pas pour dépenser encore $50 pour elle, qu'elle pouvait crever et qu'elle ne verserait jamais une larme pour elle. Comme les témoins précédents, elle dit que l'enfant était couverte de marques de coups. L'accusée lui a dit qu'elle était méchante et difficile à corriger. Le témoin a déclare qu'elle haïssait les enfants de Gagnon, même avant son mariage avec lui et qu'elle s'appliquait à les déprécier.

La cause se continue aujourd'hui. On ne croit pas qu'elle se termine avant demain soir ou samedi.

Source: Correspondant Le Devoir, "A Québec. Témoignages accusateurs," Le Devoir (Montréal), avril 15, 1920.

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