Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 
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La Presse 20 avril 1920, p. 1

LE CRIME DE SAINTE-PHILOMENE

LE MEDECIN DE LA FAMILLE GAGNON ASSURE N'AVOIR JAMAIS RIEN CONSTATE QUI PUT LUI FAIRE CROIRE QUE LA MARATRE SOUFFRAIT D'ALIENATION MENTALE

D'un autre côté deux aliénistes convoqués par la défense ont déjà déclaré que l'accusée est une irresponsable.-Le père et le frère de celle-ci ont été entendus.

LE PROCES TIRE A SA FIN

Le Dr Brochu, l'éminent médecin-en-chef de l'asile de Beauport, déclare que la marâtre est un être absolument normal.- Importante version de cette autorité médicale.

LA TARTINE DE "LESSIVE"

[ La Presse 20 avril 1920, La Presse (Montréal), Socami  ][***Sur la gauche, il y a une boîte texte avec son propre titre:***]

L'INCIDENT MAILHOT

LA COURONNE A FAIT SON DEVOIR DECLARE L'HON. JUGE PELLETIER

[***Texte de la boîte***]

(Du correspondant de la "Presse").

Québec, 20.-A propos de l'incident Mailhot, relatif au procès de la femme Gagnon, votre correspondant de Québec est allé voir l'hon. juge L.-P. Pelletier et lui a exposé que les renseignements qu'il a donnés samedi dernier lui ont été communiqués par M. O. Mailhot, juge de paix, de Fortierville. On voit d'ailleurs par la propre déclaration de Me Fitzpatrick que M. Mailhot a fait auprès de ce dernier la démarche que nous avons relatée. L'hon. juge Pelletier tient cependant à ce qu'il soit connu que les avocats de la Couronne ont fait leur devoir en cette affaire, et c'est ce que nous avons relaté dès hier. Nous nous faisons un devoir de faire connaître la protestation de Mes Lachance et Fitzpatrick, de même que l'opinion de l'honorable juge Pelletier.

[***Texte principal***]

(Du correspondant de la PRESSE)

Québec, 20.-Le procès de Marie-Anne Houde (femme Gagnon) accusée d'avoir martyrisé sa belle-fille, Aurore, 10 ans, se terminera peut-être aujourd'hui.

Ce matin, à l'ouverture de l'audience, Me Francoeur a déclaré son enquête close. Il demande cependant la permission de faire entendre, dans le cours de la journée, le notaire Parent pour déposer devant la Cour le contrat de mariage de Télesphore Gagnon et de Marie-Anne Houde. Cette permission est accordée par le juge. La défense devait faire entendre le Dr Carignan pour prouver que l'accusée a souffert de méningite à l'âge de 12 ans mais elle n'a pu le faire venir. La Couronne commence alors sa contrepreuve. Le Dr Lafond, de Parisville, est interrogé par Me Fitzpatrick. C'est le médecin de la famille Gagnon. Il déclare avoir traité l'accusée en 1918 pour une fausse-couche et en 1919 lors de la naissance d'un enfant. Il n'a remarqué rien d'anormal chez elle et il n'a jamais rien constaté qui put le faire soupçonner qu'elle souffrait d'aliénation mentale. Répondant à Me Francoeur, il dit qu'il n'a jamais fait d'études spéciales au point de vue des maladies mentales et il ne se considère pas comme un aliéniste. Il admet que lorsqu'il a traité l'accusée en 1918 il n'est pas demeuré longtemps là. Le juge suggère à M. Fitzpatrick de demander au témoin s'il a rencontré l'accusée dans d'autres circonstances. M. Francoeur s'objecte à ce que l'on recommence la preuve. Le juge dit à M. Fitzpatrick: "Si vous ne posez pas la question, je vais la poser!" Et M. Fitzpatrick pose la question. Le Dr Lafond dit qu'il l'a rencontrée l'été dernier chez M. Adjutor Gagnon, alors qu'il allait traiter Mme Adjutor Gagnon. Il n'a remarqué alors rien qui put lui faire soupçonner que l'accusée était atteinte d'aliénation mentale.

Mme ARCADE LEMAY

Domiciliée à Sainte-Philomène de Fortierville, elle est ensuite entendue. Elle demeure dans une maison voisine de chez Télesphore Gagnon, à environ deux arpents et demi à trois arpents. Elle a rencontré souvent l'accusée et n'a jamais rien remarqué d'anormal chez elle. C'était une femme comme les autres.

Mme Hamel et Mme Badeau, de Fortierville, Madame Phillip, matrone de la prison de Québec, et M. Adjutor Gagnon, de Fortierville, ont tous déclaré que dans leur opinion, l'accusée est saine d'esprit. C'était une femme ordinaire.

LE Dr GOSSELIN

Le Dr Gosselin, médecin de la prison de Québec, déclare qu'il a traité l'accusée qui souffrait d'influenza. Il l'a trouvée absolument normale.

LE Dr M.-D. BROCHU

L'éminent médecin en chef de l'asile de Beauport, depuis 17 ans, déclare qu'il a exercé la médecine depuis 44 ans. Il a examiné l'accusée, dimanche, avec les docteurs Devlin et Marois et, ce matin, avec le Dr Marois. A l'examen extérieur, il a remarqué une difformation de la figure. Un examen des dens lui a fait conclure que ce n'était qu'une fluxion et non pas de l'asymétrie. Elle a une dent gâtée et la gencive enflammée. Il a remarqué une très minime déformation du palais de l'accusée qui n'a pu avoir beaucoup d'influence sur son état mental. L'accusée présentait quelques différences au point de vue de la sensibilité de sa peau. Ce sont des signes élémentaires et de peu d'importance lorsqu'ils sont isolés. On les rencontre dans l'hystérie et non pas dans la débilité mentale. On ne les rencontre que dans la débilité mentale originelle. Quand on voit une personne qui a subi depuis quelques mois les circonstances que l'inculpée a subies, il est très possible que l'hystérie se soit développée chez elle depuis son incarcération.

"A l'interrogatoire que je lui ai fait subir, dit le Dr Brochu, l'accusée a répondu d'une manière intelligente. Rien ne m'est apparu dans ses expressions, ses jugements, l'appréciation des ces idées, qui indiquât un défaut intellectuel".

LA "BEUREE DE LESSIVE"

-"Pour me rendre compte de son sens moral en rapport avec les actes sérieux qu'on lui reproche, je lui ai posé des questions se rapportant à ces faits, à la "beurrée de lessive."

M. Francoeur s'oppose à ce que la témoin dise ce que l'accusée a pu dire au sujet des faits énoncés dans la preuve. Le témoin dit que, quant à la beurrée de lessive, l'accusé a trouvé la question ridicule, et qu'elle a compris la gravité de cet acte. A la demande de la Cour, le témoin cesse de relater les faits dont il a été question dans l'interrogatoire, et il donne immédiatement ses conclusions.

-"Mes conclusions sont que l'accusée était en état de comprendre la nature de ses actes, qu'elle a toute son intelligence, et qu'elle possédait le sens de l'appréciation morale."

M. Lachance pose au Dr Brochu une longue question hypothétique, supposant comme vrais les actes de cruauté reprochés à l'accusée, et lui demande si, dans son opinion, l'accusée avait la notion du bien et du mal. Le Dr Brochu dit que ces actes laissent d'abord supposer une aversion particulière de l'accusée pour Aurore. Le fait d'essayer de faire retomber la faute de certains actes de cruauté sur d'autres personnes prouve que l'accusée savait que c'était mal. L'affaire se continue.

SEANCE D'HIER APRES-MIDI

Québec, 20.-L'après-midi d'hier a été consacrée presque exclusivement à l'audition des témoignages des médecins aliénistes appelés par la défense à établir que l'accusée est irresponsable pour cause d'aliénation mentale.

M. TREFFLE HOUDE

Le premier témoin entendu à l'audience d'hier après-midi est M. Treffé Houde, de Sainte-Sophie de Lévrard, père de l'accusée. C'est un petit vieillard de 62 ans, à barbe blanche. Il est cultivateur depuis cinq ans, avant cela, il a été journalier. Il a travaillé au flottage des

(A suivre sur la page 23)

LE CRIME DE SAINTE-PHILOMENE

Suite de la première page

billots et dans les chantiers depuis l'âge de 14 ans.

Il a eu 11 enfants, dont 4 vivants; deux sont morts adultes et cinq en bas âge. Sa fille Ernestine est morte de consomption, célibataire. Le témoin jure qu'il ne faisait pas un usage immodéré de boissons enivrantes.

M. Houde jure que l'accusée, à l'âge de 12 ans, a souffert d'une méningite durant plusieurs jours. Elle a été traitée par le Dr Carignan. Il ne sait pas si l'accusée a souffert d'inflammation de poumons. Elle s'est mariée à 17 ans. Elle est aujourd'hui âgée de 30 ans.

En réponse à M. Lachance, avocat de la Couronne, M. Houde dit qu'il n'était pas à la maison quand sa fille Marie-Anne a été malade de la méningite. Il l'a su en arrivant du bois.

Répondant à M. Francoeur, le témoin dit que sa fille Marie-Anne a souvent souffert de maux de tête à la maison. Cela durait des nuits et des jours, souvent plusieurs jours.

Marie-Anne avait épousé en premières noces Napoléon Gagnon. Dans les premiers temps de son mariage, elle se couchait souvent des journées entières, des fois durant deux jours entiers.

Répondant à M. Lachance, M. Houde déclare que ces maux de tête l'ont prise très jeune.

WILLIE HOUDE

M. Willie Houde, de Sainte-Sophie de Lévrard, (Nicolet) est le frère de l'accusée. Il est âgé de 34 ans. Il a été élevé avec elle et il a demeuré avec elle dans la première année de son premier mariage avec Napoléon Gagnon puis dans la troisième année. Il se rappelle que, lorsque sa soeur était dans un état intéressant, elle était beaucoup plus maligne qu'à l'ordinaire.

-Que faisait-elle pour vous faire dire cela ? demande M. Francoeur.

Elle battait ses enfants beaucoup plus souvent et beaucoup plus fort que dans aucun autre temps et sans aucune raison. Mais elle ne les a jamais battus pour leur faire porter des marques.

LE Dr ALBERT PREVOST

Ce médecin, de Montréal, a été le premier aliéniste entendu par la défense. Il est titulaire de la chaire de maladies nerveuses à l'université de Montréal et médecin consultant à l'hôpital Saint-Jean de Dieu.

En réponse à M. Francoeur, le Dr Prévost dit qu'il a examiné la "malade..."

-Qui ? demande le juge.
-Madame Gagnon.
-Vous l'appelez "la malade ?"
-Mettons l'inculpée.

Le Dr Prévost raconte qu'il a fait subir à l'inculpée un interrogatoire de plus de trois heures, samedi, en compagnie des Drs Tétrault, Paquet et Fortier. Dimanche, il l'a examinée en compagnie du Dr Tétrault seulement.

M. Francoeur commence alors à formuler une question hypothétique. Il demande au témoin si, en supposant telle et telle chose, l'accusée est responsable de ses actes. Les faits supposés ainsi sont les actes de cruautés établis par la Couronne. Les substituts de la Couronne se sont opposés maintes fois à cette question, insistant pour faire changer tel ou tel mot. Le juge lui-même s'en est mêlé. Dans tous les cas, il a fallu plus d'une demi-heure pour en arriver à rédiger cette question de façon à satisfaire le tribunal, la Couronne et la défense.

Le Dr Prévost n'hésite pas à déclarer dès le début que sa conclusion est que l'accusée souffre d'aliénation mentale.

-Sur quoi vous basez-vous? demande M. Francoeur.
-Sur les faits qui ont été révélés au procès et sur les constatations que j'ai faites moi-même. Dans l'interrogatoire que je lui fait subir, j'ai constaté qu'elle a donné souvent des signes d'aliénation mentale.

A chaque fois qu'elle était dans un état intéressant, prétend-elle, elle entendait des sons de cloche, des cris, des appels de son nom. Elle avait des troubles du goût et de l'odorat. Quand elle mangeait du boeuf, elle se figurait manger "de l'anguille". Chaque soir, (toujours en cet état), elle se levait de son lit en éprouvant de la peur, se figurant voir des fantômes.

En tenant compte du fait que l'accusée s'est mariée à 17 ans; qu'elle a été trois ans veuve; qu'elle a eu sept couches et deux fausses; qu'elle est dans un état intéressant de six mois et demi, on peut dire que cette femme a été en couche durant toute sa vie. Elle souffre d'hallucination.

"Ainsi, dit le Dr Prévost, l'inculpée m'a déclaré qu'elle ne caressait jamais ses enfants, disant que ce n'était pas la coutume et qu'elle ne les embrassait qu'une fois par année, à l'époque des fêtes.

"Quand je lui ait dit quel pouvait être le résultat de son procès, que sa vie en pouvait être le prix, elle n'a manifesté aucun émoi. Elle a simplement répondu qu'aussitôt le procès fini, elle retournerait à sa maison."

Le Dr Prévost ne s'étonne pas qu'à côté de faits normaux, on ait constaté chez elle des faits anormaux, tels que les actes de cruauté prouvés au procès. Son état de gestation lui rendait le caractère irritable. Elle se levait toutes les nuits, dit son mari. Et la matrone de la prison dit aujourd'hui la même chose. Il y a aussi des symptômes physiques d'aliénation mentale. Le palais a une forme légèrement ogivale, ce qui est un signe physique de dégénérescence mentale.

L'inculpée souffre d'asymétrie faciale. Elle a un côté de la figure plus gros que l'autre. Il y a une bosse indiquant un état d'abcès qui n'est pas en évolution.

L'inculpée est excessivement anémique. Elle a le teint blafard. Elle présente des troubles évidents de sensibilité. Touchée avec des instruments piquants ou avec les doigts pinçant la peau, elle n'a pas manifesté partout une égale sensibilité.

Le Dr Prévost persiste à conclure à l'aliénation mentale provenant de débilité qui se manifeste surtout dans les organes génitaux.

Interrogé par M. Lachance, l'un des substituts du procureur-général, le Dr Prévost dit qu'il lui arrive souvent de servir comme témoins aliéniste expert dans des procès, à Montréal, soit pour la Couronne, soit pour la défense.

-Est-ce bien lucratif? demande le juge Pelletier.
-Pas toujours, répond le Dr Prévost.

M. Lachance pose alors au témoin plusieurs questions, lui relatant les principaux faits révélés au procès et qui établissent des actes de cruauté commis par l'accusée, et le Dr Prévost persiste à dire que cela ne change pas son opinion.

Le Dr Prévost dit à M. Lachance que l'asymétrie faciale n'est pas précisément un indice d'aliénation mentale, mais c'est un signe qui, réuni à d'autres, porte à conclure à l'aliénation mentale.

M. Lachance demande comment il se fait que l'accusée portait toujours ses coups sur Aurore. Le Dr Prévost répond que cela se faisait comme cela sans raison, parce qu'elle s'adonnait comme cela.

LE Dr ALCIDE TETRAULT

Le témoin suivant est médecin à l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal. Il est chargé de la clinique des maladies mentales à l'Université de Montréal.

Le Dr Tétrault répond que l'accusée présente un état mental anormal. Prenant pour acquis que l'accusée a souffert d'une méningite à l'âge de 12 ans et tous les faits qui ont été portés à sa connaissance, il a raison de croire qu'elle souffre de troubles mentals durant la période de gestation. Elle a des tendances perverses, maladives. Il est inconcevable qu'une femme de 30 ans, normale, puisse brûler une enfant comme elle l'a fait. Cette femme était incapable de juger la relation de l'offense à la punition, dans la correction de l'enfant.

M. Francoeur demande au Dr Tétrault s'il croit que l'accusée a pu inventer les symptômes qu'il a constatés chez l'accusée.

-Je ne crois pas, dit le Dr Tétrault. Quand je lui ai demandé si elle n'avait pas eu de maladie sérieuse durant sa jeunesse, elle ne m'a pas répondu en me citant les noms des maladies qui arrivent généralement: rougeole, scarlatine, etc., mais elle m'a dit qu'elle avait souffert de méningite et elle m'en a expliqué les symptômes.
-Avez-vous des cas semblables à l'asile?
-Pas exactement la même chose, mais des cas qui s'en rapprochent: des cas de personnes qui tendent à la cruauté, qui refusent de manger, etc.

Le juge fait remarquer que depuis quelques jours, des centaines de personnes se laissent mourir de faim dans la prison de Mount-Joly, en Irlande.

Mais le Dr. Tétrault rétorque que ces gens ont un mobile: se sacrifier pour l'amour de leur pays.

Le Dr Tétrault affirme qu'il y a à l'hôpital des patients qui raisonnent très bien sur certains points et qui sont absolument déséquilibrés sur d'autres.

Répondant à une question directe de M. Francoeur, le Dr Tétrault dit que la place de l'accusée serait dans un asile d'aliénés.

Le juge demande au Dr Tétrault s'il croit que tel est l'état de l'accusée seulement lorsqu'elle est dans un état intéressant.

-Surtout, répond le Dr Tétrault.
-Alors, dit le juge, elle devrait être internée dans un asile d'aliénés lorsqu'elle est dans un état intéressant et elle devrait en sortir lorsqu'elle ne l'est pas?
-Il est difficile de répondre à cette question par un oui ou par un non. Il arrive souvent que des femmes chez lesquelles on remarque de ces troubles sont menacées de devenir folles pour la vie si elles deviennent de nouveau dans un état intéressant. Cet état est un facteur de folie pour les personnes prédisposées.

Le Dr Tétrault, dans le cas présent, base son opinion, quand à la prédisposition de l'accusée, sur la méningite dont elle a souffert dans sa jeunesse.

Dans ses réponses à M. Lachance, le Dr Tétrault a maintenu la théorie qu'il avait avancée, disant que l'horreur même des crimes reprochés à l'accusée lui est un élément de preuve que l'accusée est irresponsable. Pour lui, l'accusée souffre de folie morale.

A la fin de l'audience, le juge voulait procéder jusque dans la soirée. Il passait six heures. M. Francoeur annonça qu'il n'avait plus qu'un témoin à faire entendre. Le juge prit note de la chose et consentit à ajourner le procès à ce matin.

TEMOIGNAGE DE MEDECINS

Les détails qui suivent n'ayant été publiés que dans notre numéro-extra il convient de les signaler à nos lecteurs que passionne la lamentable affaire dont la Cour d'assises de Québec est le théâtre. C'est dans la matinée d'hier que la défense a commencé à faire entendre des témoins sur l'état physique de l'accusée. Le Dr Lafond, de Parisville, déclare qu'il a traité l'accusée deux fois pour des accouchements. Le Dr Emile Fortier qui a examiné l'accusée à la prison, déclare qu'elle est dans un état intéressant de 6 mois et demi.

Elle souffre d'une maladie dont le nom scientifique se traduit vulgairement par "l'inflammation des reins". Elle n'est pas en danger de mort ? demande le juge. Non, dit le médecin.

Le Dr Albert Marois a aussi examiné l'accusée et il en arrive à peu près aux mêmes conclusions sauf quelques variantes: il y a congestion du rein. Il ne croit pas à une inflammation du rein, sans prétendre qu'il n'y a pas une lésion minime du rein et cela peut provenir de l'état actuel de l'accusée. Il ne considère pas cela comme une malade. Le Dr Arthur Vallée, qui a fait une analyse de l'urine de l'accusée, conclut à des traces minimes d'albumine.

En réponse à Me Francoeur, le Dr Vallée dit qu'on ne saurait affirmer ni nier catégoriquement la présence de maladies du rein. Me Francoeur appelle ensuite Télesphore Gagnon, mari de l'accusée, et qui est lui-même accusé de meurtre. C'est un garçon de 37 ans, haut de 6 pieds. Le juge Pelletier lui déclare que tout ce qu'il pourra dire ne pourra servir contre lui à son procès. Gagnon dit qu'il a épousé l'accusée il y a deux ans; qu'il a eu deux enfants, dont l'un est mort. Quand sa femme est dans un état intéressant, il constate un changement dans son état, sous le rapport de la nervosité. Il ne faut pas la contrarier.

M. Francoeur lui demande s'il sait que le père de l'accusée faisait un usage considérable de boissons alcooliques. Il répond qu'il le sait par sa femme. En réponse à M Fitzpatrick, le témoin dit: "Ma femme aimait mes enfants de mon premier mariage autant que les siens propres. Elle ne m'a jamais dit qu'elle détestait Aurore plus que les autres.

-Ne disait-elle pas qu'Aurore faisait des saletés ?
-Je le savais, je l'ai constaté moi-même.

Gagnon est alors renvoyé en prison.

Madame Demers, de Trois-Rivières, qui dit connaître bien la famille de l'accusée, est interrogée sur les antécédents de cette famille. Chez les hommes, elle en a vu sous l'influence des boissons enivrantes. Une soeur de l'accusée est morte à Lyster. Le témoin a vu cette femme battre son enfant plusieurs fois. Une fois, elle l'a vu battre un enfant de son mari, avec une courroie pour lui faire dire sa prière. Cette femme disait: "Je le déteste trop".

Le témoin crut à propos de lui ôter des mains, son enfant. C'était un enfant de cinq ans. Une autre soeur de l'accusée menait une vie dissolue avant de se marier, prétend le témoin. Celle-ci n'a jamais su que le père de l'accusée fut alcoolique.

L'audience, sur ce, est suspendue.

Source: Correspondant La Presse, "Le crime de Sainte-Philomène. Le médecin de la famille Gagnon assure n'avoir jamais rien constaté qui put lui faire croire que la marâtre souffrait d'aliénation mentale," La Presse (Montréal), avril 20, 1920.

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