Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 

La Presse 19 avril 1920, p. 4

UNE REFORME PRESSANTE

Les gens qui se sont scandalisés de la publicité donnée au drame de Sainte-Philomène et à toutes les révélations qui ont été faites au sujet de l'enfant-martyre Aurore Gagnon, ont sûrement fait fausse route. De l'enquête qui se tient actuellement à Québec, une grande leçon se dégage, leçon qui intéresse à la fois le public et la justice.

Il vient d'être établi devant une Cour criminelle que la population de Sainte-Philomène n'est pas restée indifférente aux horreurs qui ont été commises chez les Gagnon, et qu'un citoyen de cette paroisse a même pris la peine d'aller dénoncer à la Couronne la conduite de la femme qui répond aujourd'hui à l'accusation d'avoir martyrisé sa belle-fille.

Or, qu'est-il résulté de cette démarche humanitaire d'un citoyen important et digne de confiance? Absolument rien. Le représentant de la Couronne s'est contenté de conseiller à ce citoyen de parfaire ses renseignements et de déposer une plainte sous sa propre responsabilité, ajoutant qu'en dehors de ces conditions, la Couronne n'interviendrait pas.

C'est bien ici que l'on voit, une fois de plus, la mauvaise organisation du département du procureur général. Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de dire que l'initiative des recherches et des poursuites, dans les affaires criminelles, devrait être laissée au procureur général ou à l'un de ses substituts, et non pas au premier venu. Nous le répétons aujourd'hui plus fortement que jamais. Et nous sommes convaincu que le drame dont il est ici question donne à notre plaidoyer une force irrésistible.

Quand il est si bien admis que l'affaire de tout le monde n'est l'affaire de personne, pourquoi exigerions-nous, à l'avenir, que le public se chargeât lui-même de faire des perquisitions et de déposer des plaintes contre les criminels? Pourquoi payons-nous des salaires au procureur général et à tous ceux qui sont chargés d'administrer la justice sous ses ordres? Pourquoi dépensons-nous tous les ans des milliers et des milliers de piastres pour des officiers qui ne veulent prendre que des causes toutes faites en se couvrant de la responsabilité des autres?

Il nous semble que l'exemple qui vient de se produire devrait ouvrir les yeux à nos gouvernants. Si la loi qui régit le département du procureur général est incomplète, qu'on se hâte de la modifier dans le bon sens. Mais, de grâce, qu'on ne tolère plus l'insouciance condamnable dont la Couronne a fait preuve dans l'affaire Gagnon. D'ailleurs, nous ne demandons rien d'extraordinaire. Il s'agit d'un système qui existe depuis longtemps en France et aux Etats-Unis, et que nous avons intérêt à établir chez nous le plus tôt possible.

Source: La Presse, "Une réforme pressante," La Presse (Montréal), avril 19, 1920.

Retour à la page principale

 
les grands mystères de l'histoire canadienne