Entrevue avec Tom Zagon

Tom Zagon

Tom Zagon est un chercheur à l’emploi d’Environnement Canada qui a préparé une étude détaillée sur les facteurs liés aux glaces et au climat qui ont influencé les recherches pour trouver Franklin.

Lyle Dick – Entrevue avec Tom Zagon, en lien avec ses observations sur la dernière expédition de sir John Franklin

1) Quand et comment avez-vous entendu parler de la dernière expédition de sir John Franklin?

Je ne sais pas quand exactement, mais je me souviens qu’en 1993, au cours de mon premier voyage en Arctique, je lisais le livre de Pierre Berton The Arctic Grail avec des détails d’expéditions arctiques et cela a vraiment fait ressortir pour moi les détails des diverses expéditions. Je me souviens avoir été sur la glace dans le détroit de Barrow en mai 1993, avoir regardé vers le sud et avoir pensé : « Ils sont passés par là; je me demande ce qui leur est arrivé? » C’était il y a vingt ans et c’est très intéressant de faire ce travail du point de vue de la glace et de la climatologie.

2) Qu’est-il arrivé à l’équipage de Franklin?

Il faut regarder les conditions aux endroits où nous savons que les navires ont été enclavés et abandonnés. Sur des images prises en septembre de différentes années, il y a une transition dans les conditions de glace qui passent de concentrations minces à des concentrations très épaisses. Le mauvais temps arrive à la mi-septembre, c’est à ce moment que les tempêtes arrivent dans la région. Et on voit que des conditions facilement navigables pour des voiliers se changent rapidement en enclavement, spécialement juste au nord de l’île du Roi-Guillaume. Alors je pense, qu’en septembre 1846, ils avançaient, mais ils ont été frappés par une tempête qui a causé l’enclavement de deux navires le 12 septembre.

3) Pourquoi ont-ils échoué?

La première chose est la tempête; la deuxième est l’endroit où la tempête à frappé, où ils ont été enclavés au nord du cap Felix; et la troisième chose est que nous savons que ces navires n’étaient pas des brise-glace. Les conditions de glace lorsqu’ils sont entrés dans la région devaient être très minces. Cependant, ces conditions sont l’exception plutôt que la règle. Ce qui est possiblement arrivé est qu’ils avaient des conditions de glace mince en 1845-1846 qui ont permis aux navires d’entrer dans cette région, mais en 1847 et en 1848 les conditions sont revenues à la normale ou ont empiré et ne sont pas revenues comme elles étaient à leur arrivée. Conséquemment, les navires n’ont fait aucun progrès et ont été abandonnés.

4) Où sont les navires?

Un de ces navires est fort probablement le long de la péninsule Adelaide. Selon moi, il est tout juste à la pointe nord de la péninsule Klutschak, qui est directement à l’est de l’extrémité nord de [l’île] O’Reilly. Pourquoi? Parce que, encore une fois, l’imagerie a montré qu’il y a de la pression le long de la côte de la péninsule, le type de pression qui pousserait un navire vers le rivage, ou sur le rivage, ou qui le ferait s’échouer dans un des éléments juste au large de la côte. Je soupçonne qu’un des navires pourrait être juste au nord du détroit d’Alexandra et l’autre est directement à l’est de l’extrémité nord de O’Reilly à la pointe de Klutschak.

5) Comment le savez-vous?

Eh bien, il y a trois éléments de preuve qui sont d’après moi très, très importants. Un est l’affirmation de Hall selon laquelle le navire était à l’est de [l’île] O’Reilly, entre son extrémité nord et la baie Wilmot et Crampton. L’interprétation la plus répandue les situe au nord-est de la pointe nord de l’île O’Reilly. Cependant, lorsque vous regardez l’imagerie satellite et la pression, il n’y a aucune raison qu’un navire sombre là parce que les eaux sont profondes et il n’y a pas de pression dans cette région. Par contre, il y a de la pression directement à l’est de l’extrémité nord, à la pointe de la péninsule de Klutschak et les eaux y sont beaucoup moins profondes ce qui voudrait dire bien sûr qu’il est beaucoup plus probable qu’ils s’y soient échoués.

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Le second élément de preuve est d’après moi la célèbre carte produite par Innookpoozhejook en 1869 qui a été assez difficile à interpréter. Et ce qui est étonnant lorsque vous regardez l’imagerie satellite est que la carte produite par Innookpoozhejook n’inclut peut-être pas seulement le littoral ou la terre et l’eau, mais les contours de la glace. Et une des choses intéressantes qui n’est pas sur la carte à propos de la situation de ce navire est qu’elle contredit en apparence les preuves de sa présence au nord-est de [l’île] O’Reilly. Ce que vous voyez sur l’imagerie est que O’Reilly n’est pas dessinée comme une île, elle est dessinée comme une péninsule. C’est une péninsule de glace. C’est une péninsule de glace rapide.

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Et le troisième point est la preuve de Schwatka à propos du navire qui aurait été enclavé à l’ouest de la pointe Grant. Une fois de plus, l’imagerie satellite montre qu’il n’y a pas nécessairement de contradictions entre Hall et Schwatka. Il ne s’agit pas de savoir qui a raison ou est-ce l’un ou l’autre? En fait, lorsque vous regardez la dérive, la dérive de la glace est plus loin que la position indiquée par Schwatka vers O’Reilly. Cela veut dire qu’après être sorti du détroit d’Alexandra, le navire a passé un autre hiver à l’ouest de la pointe Grant, mais qu’il n’y a probablement pas sombré. Après la débâcle, il a poursuivi son voyage.

6) Pourquoi cela vous importe-t-il?

Eh bien, j’ai travaillé toute ma vie en transport de marchandises, en transport arctique; alors j’approche cela un peu comme une enquête après un accident; j’ai étudié de nombreux accidents où les navires ont été enclavés, où les navires ont eu des problèmes, et je pense qu’il faut adopter une approche pratique. C’est quelque chose qui se transforme en véritable obsession d’une certaine façon, parce que c’est une de ces choses – c’est un mystère canadien, c’est un mystère à l’échelle mondiale, c’est une de ces grandes choses que vous savez être solubles. Avec un peu d’efforts on peut trouver ces navires. Et c’est excitant parce que vous réunissez tellement de sources différentes.

7) Quelle est l’importance de la dernière expédition de Franklin?

De toute évidence, elle faisait partie des efforts pour trouver le passage du Nord-Ouest et cela a ensuite donné lieu à de nombreuses explorations par la suite. Une grande partie de l’Arctique canadien a été explorée après cette expédition. C’est intéressant qu’aucun navire n’ait pénétré, n'ait descendu le détroit de Peel pour les chercher parce qu’ils ne le pouvaient probablement pas à cause des conditions de glace qui étaient trop difficiles. Mais pour moi, maintenant, cela signifie à quel point la chance peut être importante dans la réussite ou l’échec d’une expédition et je pense que même dans le cas des expéditions les mieux préparées, les connaissances et la planification sont toujours à la merci de la chance, de la malchance ou de la providence. Et je pense que nous sommes en présence d’un cas d’extrême malchance.

Sunken ship