Hall rencontre Innookpoozhejook, interviewe d’autres Inuits, trouve des reliques ( 1879 )

Rencontre avec In-nook-poo-zhe-jook.

Avril 1869.

Les Inuits ont alors demandé un temps de répit pour chasser le bœuf musqué car les animaux s’apprêtaient à se disperser. Pour garder les hommes de bonne humeur, Ou-e-la et Pa-pa ont reçu la permission d’aller chasser pendant que Hall continuait vers le lac Grinnell où il a établi son campement le 22. Les deux hommes ont réussi leur chasse, mais Hall note que comme d’habitude "la grande part de ce qui est tué se retrouve dans l’estomac de ces Inuits, même si, avant d’avoir la permission de partir à la chasse, ils disent toujours qu’ils veulent aller chercher de la viande pour les chiens. Quant à ‘Jack’, c’est un vrai cochon; il mange beaucoup plus que deux hommes et donne les meilleurs morceaux à son chien sans une seule pensée pour les autres". Hall lui laissait entière liberté aussi longtemps qu’il ne touchait pas aux provisions dans le traîneau; Hall rationnait rigoureusement ces provisions bien que cela l’ait parfois empêché de quitter les traîneaux au cas où certains en auraient profité pour s’empiffrer.

Le 27, il a traversé une branche de la rivière Murchison et à partir de là il a progressé rapidement sur un sol plat avec de la neige dure et pourtant son groupe était de nouveau démoralisé en pensant que si Hall allait plus loin, les hommes et les chiens allaient être affamés avant le retour. Mais Ou-e-la a rapidement trouvé les traces d’un traîneau qui avait de toute évidence traversé la baie de Richard et était revenu. Le désespoir s’est alors changé en regards clairs et visages joyeux. La dernière partie du trajet de la journée s’étant déroulée sur une vieille glace remplie de monticules et les chiens étant très fatigués, le vingt-cinquième campement a été monté parmi les hummocks.

[...]

Le 30, un igloo a été vu vers le sud avec un mur érigé pour protéger les chasseurs de phoques; une visite a permis de se rendre compte qu’il était occupé car il y avait des traces fraîches d’hommes et de chiens tout autour. Ou-e-la et "Jerry" ont alors été rapidement envoyés vers le sud pour trouver les Inuits; après quelques heures, au grand plaisir de Hall, les deux hommes ont reconnu les signes indiquant la présence de plusieurs igloos habités. Pa-pa est devenu encore plus craintif que jamais et, après avoir parlé avec les autres, Hall a accepté de s’arrêter derrière la ligne de glace compactée qui formerait un formidable rempart s’il devait y avoir une bataille car on voyait un village et des hommes avec des chiens qui chassaient le phoque sur la glace.

Mai 1869.

Le lendemain matin le groupe s’est mis en route, préparé à rencontrer des amis ou des ennemis. Chaque homme avait d’abord dit quelque chose qui ressemblait à une prière afin que ceux qu’ils rencontreraient soient des amis; et Hall s’y est aussi joint disant qu’il avait prié pour que la rencontre permette d’obtenir de nombreux renseignements sur les compagnons perdus de Franklin et peut-être "de recouvrer des âmes et des documents". A moins de 150 brasses des igloos il y a eu une halte, Hall, Pa-pa et Joe restant près des traîneaux alors qu’Ou-e-la, Jack (Nu-ker-zhoo) et "Jerry" faisaient quelques pas, leurs longs couteaux acérés dans les mains. Mais les Inuits sont sortis de leurs igloos et se sont mêlés aux arrivants, après quoi Hall s’est rapidement amené et a rencontré l’homme qu’il désirait le plus voir — In-nook-poo-zhee-jook.

La première question qu’il a posée à cet homme était "Nou-tima Ag-loo-ka?" (Où est Crozier)? Et la première chose montrée à Hall a été une grande cuillère d’argent portant des armoiries avec la tête d’une anguille (celles de Franklin; voir le chapitre préliminaire) qui provenait d’une grande île où plusieurs hommes blancs étaient morts. Un campement a été érigé immédiatement avec les gens du chef qui ont aidé à monter des igloos pour lesquels ils ont utilisé des couteaux ayant appartenu à l’expédition Franklin; ils en avaient un de McClintock. Le nom des hommes a été noté dans un livre, ce geste ayant immédiatement plu à chacun et la journée s’est passée en conversations; les interprètes Too-koo-li-too et Ebierbing se sont rapidement habitués à leur dialecte. La hutte d’In-nook-poo-zhee-jook était remplie d’articles provenant des navires pour lesquels Hall a immédiatement entamé des négociations. L’autochtone lui a donné une esquisse de la terre du Roi-Guillaume et des environs. Les noms correspondant aux chiffres sur cette esquisse sont les suivants :

ESQUISSE DE LA TERRE DU ROI-GUILLAUME ET DES ENVIRONS PAR L’INUIT IN-NOOK-POO-ZHEE-JOOK.

  1. Kee-wee-woo (Là où un des navires, l’Erebus ou le Terror, a sombré à Ook-joo-lik.)
  2. Oot-koo-ish-e-lik.
  3. La grande rivière aux poissons ou rivière Back.
  4. See-er-ark-tu.
  5. Noo-oo-tee-roo.
  6. Ok-kee-jeer.
  7. Ok-kee-jik-too.
  8. Shoog-ee-look-too.
  9. Too-noo-nee. (L’endroit où In-nook-poo-zhee-jook a trouvé les deux chaloupes)
  10. Kee-ǔ-na. (Une petite île où In-nook-poo-zhe-jook a vu les dépouilles de cinq hommes blancs. Les Inuits croient tous que Too-loo-a (sir John Ross) y est mort et y a été enterré.(!) Une conserve de viande non ouverte – c'est-à-dire remplie de viande – trouvée à la tombe de Too-loo-a. Sa dépouille enveloppée dans des couvertures et son corps non mutilé alors que les quatre autres l’étaient – c'est-à-dire que des membres avaient été coupés et la chair retirée des os des quatre. L’île, un des îlets de Todd, au large de la rive sud de la terre du Roi-Guillaume. Aucune chaloupe trouvée ni d’hommes blancs morts sur Ki-ki-tǔk-jūa (île de Montréal). La chaloupe et les dépouilles de nombreux blancs trouvées sur une très petite île près de la côte ouest de l’anse dont la pointe Richardson constitue le cap est; cette petite île est située au milieu de l’anse à un endroit où elle tourne brusquement vers l’ouest. Cet îlet n’a pas de nom.)
  11. Og-buk. (L’île de Rae de Matheson)
  12. Shar-too.
  13. Koo-kar.
  14. Ook-sook-too.
  15. Igloo-le-ar-choo.
  16. La pointe Dryden.

Hall arrive à la terre du Roi-Guillaume.

Après être resté à ce village jusqu’au 8 mai, Hall est parti vers la terre du Roi-Guillaume afin d’y visiter un endroit où, selon ce qu’il a entendu, cinq des hommes de Franklin étaient enterrés. Cette expédition devait se faire très rapidement, car son groupe était déterminé à rentrer à la baie de Repulse dans les deux semaines suivantes. Donnant des instructions très strictes à Ou-e-la de rationner les provisions au cas où aucun phoque ne serait capturé, il n’est parti qu’avec In-nook-poo-zhee-jook et Nu-ker-zhoo et son épouse; le premier se révélant un bon guide. "Jack a reçu une chique de tabac pour huiler sa bouche car il devait constamment parler aux chiens." Ils ont voyagé à un rythme de deux milles et demi à l’heure et, au début de la nuit, ils ont enfin vu la terre et la colline en forme de dessus de table sur ce qui était appelé l’île de Matheson. Hall a poussé des acclamations et a noté dans son cahier pendant le trajet "C’est un sentiment si merveilleux car je me bats pour ce moment depuis dix ans." Arrivant à un groupe de quatre igloos occupés, il a érigé son vingt-huitième campement avec eux près de la pointe Booth. Dans ces igloos il y avait aussi toute une collection de reliques de Franklin dont un secrétaire en acajou, 18 pouces de long par 10 de large, sur lequel une planche avait été déposée par les autochtones et qui était alors utilisé comme plateau pour la graisse. Koo-nik, un membre de ce groupe, a donné à Hall une cuillère en argent comme celle dont on retrouve un dessin dans le chapitre préliminaire de ce récit ainsi qu’un second boîtier en acajou, plus petit, une cuillère et plusieurs autres articles incluant des pièces de cuivre étampées d’une large flèche et une pointe de lance en acier sur laquelle était étampée "THE SHIP" ["LE NAVIRE"]. Tout cela avait été rapporté d’un des navires de Franklin et du rivage sur le côté sud d’Ook-joo-lik (l’île d’O’Reilly). Des couteaux, des aiguilles, des dés à coudre, des perles et des bagues ont été donnés en retour.

En repartant de ces igloos le 9, In-nook-poo-zhee-jook s’est encore révélé être un guide admirable, amenant Hall directement à l’îlet à l’est des îles de Todd. Au début, le compas indiquait le sud comme direction du trajet, mais bientôt il a indiqué le nord-est même si le trajet se poursuivait dans la même direction. Le temps était très brumeux lorsque l’avant-dernier campement a été érigé vers 10 h du matin et le souper servi était composé de délicieux saumon frais de Neitchille, cuit et chaud.

Le 11, Hall a campé sur un des îlets – l’île de Todd – et s’est immédiatement mis à la recherche des tombes des cinq hommes dont les autochtones avaient dit qu’ils y étaient enterrés. L’extrémité nord-ouest était très basse et plate et presque tout était profondément recouvert de neige. Il a trouvé une partie d’un os de cuisse d’un humain qui semblait avoir été récemment fracturé; In-nook-poo-zhee-jook lui a dit que c’était celui d’un des cinq hommes. Mais l’espoir de trouver les autres dépouilles a été abandonné à cause de la neige. Poo-yet-ta, un autochtone du dernier campement qui s’était joint à Hall pour venir à cette île, a dit que les dépouilles n’étaient pas enterrées lorsqu’il les a vues la première fois mais qu’elles étaient couchées les unes près des autres, chacune totalement vêtue et non mutilée. Dans les poches d’un des hommes un couteau de poche avait été trouvé et, près d’une des dépouilles, des conserves de viande que les Inuits avaient mangée.

Le lendemain Hall a traversé sur le continent pour trouver, si possible, l’endroit où deux autres hommes de Franklin étaient supposés être enterrés. Arrivant près de l’embouchure de la rivière Peffer, les autochtones ont bâti un mur de neige pour le protéger du vent et de la neige tourbillonnante et lui permettre de mesurer des angles avec un sextant. Mais le soleil n’est apparu que pour un instant seulement, et seulement une fois.

A la fin de l’après-midi, après un dur labeur, deux des hommes qui l’accompagnaient lui ont fait des signes de succès après avoir cherché dans la neige des corps et en se hâtant vers eux il a trouvé un squelette non enterré. Sur cette dépouille, un drapeau américain en berne et un monument de pierres mesurant près de cinq pieds. Une salve a été tirée en l’honneur de la dépouille d’un homme que Hall considérait comme "un des héros qui avaient résolu le problème du passage du Nord-Ouest". La bourrasque au-dessus et la dureté et la profondeur de la neige sous les pieds interdisaient toute autre recherche (voir la conclusion de ce chapitre).

En revenant de son examen de la côte de la terre du Roi-Guillaume, Hall a fait une seconde recherche à un endroit de la même rive sud, mais plus à l’est; car, après avoir questionné minutieusement les autochtones Poo-yet-ta, In-nook-poo-zhee-jook et Tǔk-pee-too, un troisième autochtone rencontré à son dernier campement, il croyait pouvoir trouver une autre dépouille d’un des hommes de Franklin. Après avoir voyagé environ une demi-heure, le groupe s’est arrêté à une longue pointe de terre basse, que les autochtones appelaient Kung-e-ark-le-ar-u, sur laquelle ces hommes "savaient qu’un homme blanc était enterré". Cependant, cela provenait principalement de ce qu’ils avaient entendu de leur peuple; seulement un d’entre eux avait vu la tombe. L’endroit a été indiqué mais la neige recouvrait tout. Un monument a été érigé et sa position par rapport à Kee-u-na notée soigneusement.

Retournant au trentième campement et continuant son entretien avec Tuk-pee-too et son épouse, E-vee-shuk, il a été amené par ces deux personnes à un endroit à l’extrémité sud-est de l’île à quelque vingt brasses du rivage où l’épouse avait vu des os de squelettes des cinq hommes qui étaient morts là-bas. Elle était très certaine de l’endroit et d’y avoir vu les squelettes. Hall a donc érigé un troisième monument et a tiré une salve à la mémoire des morts qui étaient là.

Les dépouilles, dont on a dit précédemment qu’elles avaient été trouvées par Hall ou honorées par ses "humbles hommages" aux endroits où elles avaient été enterrées, étaient les seules qu’il a eu le temps et la possibilité de chercher et d’honorer. Pendant son séjour avec ces autochtones et selon les nombreuses conversations et les questionnements minutieux (pour lesquels il a utilisé les cartes de McClintock, de l’Amirauté et du Dr Rae pour identifier les endroits nommés), il avait acquis la quasi-certitude d’avoir retracé 79 des 105 hommes du groupe de Crozier qui avaient abandonné les navires. Ces dépouilles avaient blanchi sur la terre du Roi-Guillaume ou tout près de là, et avaient, au moins dans certains cas, été cruellement mutilées par les chiens. Voici comment le contenu de certaines conversations avec les autochtones de cette région l’ont amené à estimer le nombre de ceux qui avaient péri :

[...]

Je tenterai maintenant d’estimer le nombre d’hommes de l’expédition de sir John Franklin qui sont morts peu après que Crozier (Ag-loo-ka) ait été vu par les quatre Inuits dont il a été question plus haut et tel que nous l’avons appris par les Inuits et d’autres sources. In-nook-poo-zhee-jook et les autres avaient accepté d’essayer de donner un chiffre, bien qu’ils aient dit qu’il était impossible d’être précis; ils étaient ‘très nombreux’. Il a alors demandé à ces cinq hommes de tendre leurs doigts et leurs pouces pour montrer le nombre d’hommes trouvés dans la chaloupe."

Ceux-là représentent ......... 50
Ceux-là étaient deux crânes dans la chaloupe que l’homme blanc (McClintock) avait trouvée avant qu’In-nook-poo-zhee-jook la trouve. ......... 2
Et cinq qu’il a trouvés à l’extérieur ......... 5
Près de la chaloupe il en a trouvé une autre avec trois crânes à l’intérieur et quatre à l’extérieur ......... 7
Enterrés sur l’île de Todd ......... 5
Sur la rive sud de la terre du Roi-Guillaume ......... 2
Si le nombre à l’intérieur et à l’extérieur de la grande tente peut être déterminé ......... 30
Et nous tenons compte du grand homme avec de grandes dents trouvé à bord du navire ......... 1
Et les quatre hommes dont les traces ont été vues sur le continent près de la baie de Wilmot et Crampton ......... 4
Nous avons ......... 106
Déduire deux dans la chaloupe que McClintock a d’abord trouvée ......... 2
Déduire la moitié du nombre probablement trop élevé d’hommes dans la chaloupe à l’ouest de la pointe Richardson ......... 25
---- 27
_____
Raisonnablement retrouvés ......... 79

Les Inuits étaient assez certains que la chaloupe trouvée à l’ouest de la pointe Richardson était la même que celle du groupe d’Ag-gloo-ka qui avait rencontré les quatre familles Inuits juste au-dessus de la pointe Herschel.

Les notes de la veille sont les suivantes :

Entrevue du soir avec Ek-Kee-pee-re-a, un Inuit neitchille qui s’est installé aujourd’hui dans ce village avec sa famille. Après que le groupe nouvellement arrivé eut terminé ses igloos et les ait mis en ordre, je me suis rendu chez eux, amenant Jack avec moi. Je voulais voir une bouteille ou un bocal en verre qu’In-nook-poo-zhee-jook m’avait déjà dit avoir appartenu au groupe d’Ag-loo-ka (Crozier) et qu’une des familles arrivées aujourd’hui avait en sa possession. Nous nous sommes d’abord rendus chez le vieil homme et sa famille. Ils avaient un morceau de lime de 1 ¼ de large et 2 ½ ou 3 pouces de long, arrondi sur un côté et plat de l’autre; il était aiguisé à une extrémité afin d’être utilisé comme ciseau à froid ou hachette. Ek-kee-pee-re-a avait vécu à Ook-joo-lik (île d’O’Reilly) et avait entendu les autochtones parler du navire qui était venu dans leur pays. Le navire avait quatre embarcations qui pendaient sur le côté et une autre au-dessus de la plage arrière. La glace sur le navire était d’un hiver; de la glace lisse. Ils avaient trouvé une planche qui partait du côté du navire jusqu’à la glace.

Après avoir rassemblé mes interprètes Joe et Jack avec In-nook-poo-zhee-jook dans un igloo, j’ai posé devant ce dernier autochtone la carte de McClintock et il a tout de suite pointé l’endroit où le navire de Franklin avait sombré. C’était très près de l’île O’Reilly, un peu à l’est de l’extrémité nord de cette île, entre elle et la baie de Wilmot et Crampton. Alors qu’il chassait le phoque, un autochtone de l’île avait d’abord vu le navire; il était beaucoup plus loin dans la mer, enclavé par la glace. Il avait décidé de s’y rendre bien qu’en premier il avait peur; il est monté à bord mais n’a vu personne, bien que selon toute apparence il y avait quelqu’un qui y avait vécu. Finalement, il s’est aventuré à voler un couteau et s’est enfui chez lui à toute vitesse; mais lorsqu’il a montré aux Inuits ce qu’il avait volé, les hommes de la place sont tous partis vers le navire. En montant à bord, ils ont cherché s’il y avait quelqu’un et ne voyant ni n’entendant personne, ils ont commencé à piller le navire. Pour entrer dans l’igloo (la cabine), ils ont percé un trou parce qu’elle était verrouillée. Ils y ont trouvé un homme mort, dont le corps était très large et très lourd avec des dents très longues. Cela a pris cinq hommes pour lever ce géant Kob-lu-na. Ils l’ont laissé où ils l’avaient trouvé. Ils ont trouvé de nombreuses choses dans une partie du navire où il faisait très sombre; ils ont dû trouver les choses par tâtonnement. Il y avait des fusils et un très grand nombre de seaux et de boîtes. Lorsque je leur ai demandé s’ils avaient vu quoi que ce soit à manger à bord, ils ont répondu qu’il y avait de la viande et du tood-noo en conserve, le gras de la viande qui ressemblait au pemmican. Les voiles, le gréement et les embarcations – tout sur le navire – était parfaitement en ordre.

De temps en temps les Neitchilles y sont retournés pour aller chercher ce qu’ils pouvaient; ils avaient fait des piles avec le butin à bord avec l’intention de rapporter le tout par traîneau plus tard à leurs igloos; mais lorsqu’ils y sont retournés, le navire avait sombré sauf pour l’extrémité des mâts. Ils ont dit qu’ils avaient fait un trou dans le fond en retirant une des poutres ou des planches. Le navire a ensuite été démoli par la glace; les mâts, les poutres, les boîtes, les tonneaux, etc. ont dérivé sur le rivage. Peu après, ils ont vu les traces fraîches de quatre hommes et un chien sur le sol à l’emplacement du navire. In-nook-poo-zhee-jook, qui avait vu Ross et son groupe sur le Victory et Rae en 1854, savait que ces traces étaient celles de Kob-lu-nas; les empreintes de pied étaient longues, étroites au milieu et elles étaient comme celles des bottes trouvées dans les deux chaloupes sur la terre du Roi-Guillaume. Selon son pas de course, un des hommes était un très bon coureur – de très longs pas. Les autochtones ont pisté les hommes sur une longue distance et ils ont trouvé l’endroit où ils avaient tué et mangé un jeune cerf.

Au cours de l’entrevue, un autre autochtone a fait à peu près le même récit du navire et de l’homme trouvé à bord, ajoutant qu’il avait été trouvé mort sur le plancher, avec tous les vêtements; que le navire était recouvert de voiles ou d’étoffe de tente. La cabine était en bas et non sur le pont. Cela se passait vers la mi-mai ou au début de juin.

In-nook-poo-zhee-jooka dit qu’il avait trouvé une chaloupe (un peu à l’ouest de celle trouvée par Hobson) avec les planches, la membrure, tout était complet et le cuivre attaché. Dans la chaloupe il y avait de nombreux squelettes avec les crânes. Il m’a donné un couteau à double tranchant avec un manche en os blanc, très rouillé qui provenait de cette embarcation. La chaloupe n’avait pas été touchée et il y avait beaucoup de papiers et de livres et de choses écrites à l’intérieur. [Tout cela n’était que déchets pour les Inuits; les vents et la température ont tout détruit. Les Inuits les auront piétinés comme si c’était de l’herbe.]

Il y avait une tente près de cette chaloupe; elle était sur le dessus d’une élévation de terrain sur une petite colline de sable. L’endroit, tel que montré sur la carte, était près du fond de la baie de Terror, un peu au nord de la pointe adjacente à l’anse Fitz-James. La tente était large et fabriquée d’un faîtage appuyé sur un poteau perpendiculaire à chaque extrémité; de petites cordes étaient tendues à partir du haut de la tente vers chaque extrémité au sol où les bouts étaient attachés solidement à des bâtons cloués dans le sol.

Trois hommes, dont Tee-kee-ta, ont été les premiers à voir la tente. A l’intérieur il y avait des couvertures et un lit, de nombreux os de squelettes, des crânes, et la chair entièrement partie; il ne restait que des tendons attachés aux os, comme si des renards ou des loups avaient rongé la chair; certains os avaient été sciés avec une scie; des crânes avaient des trous. A côté des couvertures il y avait des tasses en étain, des cuillères, des fourchettes, des couteaux, des fusils à double canon, des pistolets, des balles de plomb, de nombreuses flasques à poudre et des livres et du papier avec des écritures. Comme ces derniers ne valaient rien pour les Inuits, les hommes les ont jetés sauf un livre que Tee-ka-ta a rapporté à la maison et donné aux enfants; après un certain temps il a été déchiré en morceaux.

Lorsqu’on a demandé à Tee-kee-ta si Ag-loo-ka (Crozier) avait un télescope avec lui lorsqu’il était venu à une des tentes des Inuits, il a répondu :

"La première fois qu’Ag-loo-ka est venu, il n’est pas entré; le lendemain matin il est entré dans une des tentes des quatre familles qui campaient près de la rive ouest de la terre du Roi-Guillaume un peu au-dessus du cap Herschel (tel qu’indiqué sur la carte). Son télescope pendait à son cou. Ag-loo-ka et ses hommes étaient arrivés, les hommes tirant un grand traîneau chargé d’une chaloupe et un plus petit traîneau avec du matériel de campement et des provisions. Ils ont érigé une tente près des Inuits; certains des hommes ont dormi dans la chaloupe qui avait été laissée sur la glace de mer, toute la neige étant partie de la terre. Lors de la première rencontre d’Ag-loo-ka avec les Inuits il avait un fusil à la main; en le voyant le déposer à terre, les Inuits ont déposé leurs lances. Puis Crozier s’est avancé et a dit "Tij-mo?" "Man-ik-too-mee?" en brossant en même temps sa main sur sa poitrine et en donnant la main à la manière des Kob-lu-nas. C’était à la fin du printemps – Joe et Hannah ont dit que ce devait être en juillet parce que la glace de mer était presque prête à se briser; on voyait le soleil tout le temps; les canards, les now-yers, etc. étaient en abondance dans les mares et les lacs. Tee-kee-ta a vu Ag-loo-ka tuer deux oies et ses hommes étaient occupés à tirer. Ag-loo-ka a tenté par tous les moyens de parler aux Inuits mais il ne leur en a pas dit beaucoup. Lorsqu’il était assis dans la tente d’Ow-er, il avait un petit livre et il prenait des notes. Plus tard, ils ont pleinement saisi le sens de ce qu’il a dit à propos de la glace qui avait détruit le navire et ses hommes qui mouraient. Il a mangé un morceau de phoque cru environ de la grosseur de son index et des autres doigts jusqu’à la première jointure. Il ne portait aucune épée. Il a ensuite dit qu’il allait à Iwillik (baie de Repulse), en faisant des gestes avec ses mains dans cette direction. Un de ses hommes était très gras, les autres en très mauvaise santé; il manquait une des dents du haut à un des hommes, un autre avait des marques sur le bord ou l’arête du nez et il y en avait un qui plissait des yeux ou louchait. Les Inuits les ont laissés bien qu’ils pensaient abandonner des hommes affamés.

Hall a sévèrement blâmé ces hommes d’avoir quitté Crozier. Cependant, ne semblait-il pas probable à ces quelques autochtones que le grand groupe de Crozier les affamerait.

[...]

Le 20 juin 1869, ce périple de trois mois s’est terminé lorsque Hall est arrivé à ses anciens quartiers. Après une conversation amicale avec les autochtones de la baie sur les rives de laquelle lui et son groupe étaient de nouveau cantonnés en sécurité, il a rapidement écrit une lettre à son ami M. Grinnell, lettre qui arriverait peut-être aux Etats-Unis avant son retour. Elle énonce si complètement les faits de cette excursion si fatigante mais si importante que sa place semble se situer à ce point de l’histoire.

Illustrations des sources (21)

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