Les voyageurs perdus de l’Arctique (partie 1 de 2) ( 2 décembre 1854 )

SAMEDI 2 DÉCEMBRE 1854.

Le DR. RAE, par le témoignage muet mais solennel des reliques qu’il a rapportées, peut être considéré comme étant celui qui a établi que SIR JOHN FRANKLIN et son équipage ne sont plus en vie. Mais son triste rapport contient un passage au sujet duquel nous prouverons, par une étude des probabilités et improbabilités de son contenu qui nous l’espérons saura consoler ceux qui portent un intérêt au destin des êtres chers ayant participé à la malheureuse expédition, qu’il n’y a aucune raison de croire que des membres de ces équipages auraient prolongé leur existence par un expédient atroce qui aurait consisté à manger les corps de leurs compagnons décédés. Outre la nature discutable et peu fiable des explications données par les Esquimaux (au sujet desquelles il serait nécessaire d’exercer la plus grande prudence même en des circonstances usuelles et naturelles), nous croyons pouvoir démontrer par analogie et avec de nombreuses expériences passées que nous pouvons réfuter une telle affirmation et qu’il est hautement improbable que des hommes tels que les officiers et les équipages des deux navires perdus voudraient, ou pourraient, si extrême que soit leur faim, soulager les douleurs de la famine par ce moyen horrible.

En prémisse à la discussion, nous affirmons que nous n’avons rien à reprocher au Dr. Rae et nous l’acquittons entièrement de tout blâme. Il a lui-même expliqué ouvertement qu’il était de son devoir de faire un rapport fidèle à la Compagnie de la Baie d’Hudson ou à l’Amirauté sur tout ce qui lui avait été rapporté, ce qu’il a fait sans réserve, comme il se devait de le faire; et que ce rapport a été rendu public par l’Amirauté et non par lui. Il est évident que s’il était irréfléchi de diffuser cette douloureuse idée sur la pire des preuves, le Dr. Rae n’en est pas responsable. Il n’est pas pertinent de savoir si le Dr. Rae accorde crédit à ce présumé cannibalisme; il ne le fait qu’à partir de "l’information obtenue à divers moments et de plusieurs sources", laquelle nous a été présentée. Nous sommes aussi prêts à concéder qu’il a tous les droits de défendre son opinion, droits qui lui sont conférés par une solide réputation de voyageur compétent, intrépide et expérimenté des régions arctiques ainsi que par une personnalité virile, consciencieuse et modeste. Quant à la convenance de son retour immédiat en Angleterre avec les renseignements qu’il avait recueillis, nous en sommes entièrement convaincu. Homme sensé et doté d’humanité, il a compris que sa première et plus grande tâche était de prévenir la perte inutile de vies; et personne ne pourrait mieux saisir l’ampleur des dangers auxquels font face ceux qui suivent la trace de Franklin que celui qui s’est rendu huit fois en Arctique. Avec ces commentaires nous pouvons dispenser le Dr. Rae de cette enquête, éprouver de la fierté qu’il soit Anglais et être heureux qu’il soit rentré sain et sauf à la maison pour profiter d’un repos bien mérité.

Nous désirons porter attention au passage suivant du rapport : "Certains corps avaient été enterrés (probablement ceux des premières victimes de la famine); certains auraient été dans une ou des tentes; d’autres sous une chaloupe qui aurait été retournée pour former un abri et d’autres auraient été éparpillés dans des directions diverses. Il a été présumé qu’un des corps trouvés sur l’île était celui d’un officier, car il portait un télescope à l’épaule et il était couché sur son fusil à double canon. D’après les mutilations de plusieurs corps et le contenu des marmites, il est évident que nos infortunés compatriotes ont dû se résoudre à l’ultime ressource – le cannibalisme – pour tenter de survivre… Aucun des Esquimaux avec qui j’ai communiqué n’avait vu les ‘hommes blancs’, ni n’était allé à l’endroit où les corps ont été trouvés, mais ils tenaient leurs renseignements d’autres qui y étaient et qui avaient vu le groupe voyageant sur la glace."

Nous avons affirmé que l’extrême improbabilité de l’hypothèse de l’ultime ressource peut être basée sur une analogie et sur le contexte général, outre les improbabilités et les incohérences des preuves apportées par les Esquimaux qui sont fournies, au mieux, de seconde main. Qui plus est, nous présumons que ces renseignements de seconde main ont été fournis par un interprète qui, en toute probabilité, ne connaissait pas parfaitement la langue qu’il traduisait à l’homme blanc. Nous pensons que peu de tribus esquimaudes (s’il y en a) partagent un dialecte commun; et la seule expérience de Franklin avec des interprètes lors de son voyage précédent était que ces interprètes et les Esquimaux qu’ils avaient rencontrés se comprenaient "relativement bien" – une expression qu’il utilise fréquemment dans son livre, avec la nette intention de démontrer que la communication n’était pas entièrement satisfaisante. Même en admettant que l’interprète du Dr. Rae comprenait parfaitement ce qui lui était dit, la question demeure toujours quant à sa capacité de transmettre l’information dans un niveau de langue correspondant au poids et à la valeur de cette information. Nous recommandons à tout lecteur ne percevant pas la difficulté de cet acte ni la compétence requise, même lorsqu’il s’agit d’une langue européenne foisonnante et élégante, de lire les comptes rendus du procès de la reine Caroline et d’y observer les discussions constantes, certaines très importantes, sur la valeur dans la langue anglaise de mots utilisés par les témoins italiens. Il reste une autre considération, très sérieuse, qui est que quatre-vingt-dix-neuf interprètes sur cent qui livrent une interprétation à une personne de naissance et de rang supérieurs, que ces interprètes soient sauvages, à moitié sauvages ou entièrement civilisés, ils seront grandement tentés d’exagérer. Cette tentation sera d’autant plus prononcée lorsque la personne à qui s’adresse l’interprétation semblera plus animée et impressionnée par ce qu’elle entend; l’importance de l’interprète augmentera alors avec l’émotion de l’auditeur. Nous avons personnellement eu l’occasion d’enquêter afin de déterminer si une seule parcelle de cette affreuse information, le résultat insatisfaisant obtenu "à divers moments et de plusieurs sources", avait été transmise par gestes. C’était le cas et le geste qui nous a été décrit comme ayant été souvent répété – celui de l’informateur mettant sa bouche sur son bras – pourrait aussi bien décrire un homme qui s’est ouvert les veines et qui s’abreuve du filet qui s’en écoule. S’il faut présumer que l’officier qui est couché sur son fusil à double canon a défendu sa vie jusqu’à la fin contre des marins affamés, sous une chaloupe ou ailleurs, et qu’il est mort ainsi, comment son corps a-t-il été retrouvé dans cette position? Selon la description, il n’était ni mangé ni même mutilé. Les corps enterrés dans la terre gelée n’étaient pas non plus dérangés; et n’est-il pas probable que si des corps avaient servi de nourriture, ce sont ceux étant les plus éloignés de la vie et de la camaraderie qui auraient été les premiers? Y avait-il un combustible dans cet endroit perdu pour faire cuire "le contenu des marmites"? S’il n’y en avait pas, est-ce que la petite flamme de la lampe à alcool que les voyageurs avaient peut-être avec eux aurait suffi pour un tel usage? Si non, les marmites auraient-elles été souillées pour un tel usage? "Certains corps, a ajouté le Dr. Rae dans une lettre au Times, avaient été tristement mutilés et avaient été dévêtus par ceux qui avaient vécu la détresse de leur survivre et qui avaient été retrouvés enveloppés dans deux ou trois tenues." N’y avait-il aucun ours dans les environs pour mutiler ces corps; aucun loup, aucun renard? Il est plus probable que le scorbut, connu comme étant le fléau le plus mortel des Européens à ces latitudes, s’est propagé dans le groupe. Dans de telles circonstances, il aura été inévitablement virulent et aura causé de terribles défigurements – de tragiques mutilations – mais, plus que cela, il ne détruirait pas seulement le désir de manger (spécialement quelque chair que ce soit), mais il détruirait le pouvoir de le faire. Finalement, aucun homme ne peut affirmer, raisonnablement, que les survivants de la triste et courageuse bande de Franklin n’ont pas été attaqués et tués par les Esquimaux eux-mêmes. Il est impossible de se forger une idée du caractère de n’importe quelle race de sauvages à partir de leur comportement respectueux envers l’homme blanc lorsque ce dernier est en position de force. Cette erreur a été commise maintes et maintes fois; et dès que l’homme blanc paraît dans un nouvel état de faiblesse par rapport au sauvage, ce dernier change et saute sur lui. Il y a des personnes pieuses qui, avec une étrange inconsistance, revendiquent toutes les perversions innées pour chaque enfant né dans la civilisation et toutes les vertus innées pour chaque sauvage né dans les bois et la brousse. Nous croyons que chaque sauvage est avide, traître et cruel dans son cœur; et il nous reste à apprendre ce que connaît l’homme blanc – perdu, sans domicile, sans navire, apparemment oublié de sa race, de toute évidence affamé, faible, gelé, impuissant et mourant – de la gentillesse de la nature esquimaude.

[...]

Cela fut réellement le cas de Franklin. Il avait déjà expérimenté l’épreuve que nous avons décrite. Il avait commandé une première expédition et il commandait cette dernière. Dans celle-ci, il commandait un groupe d’hommes parmi les meilleurs marins anglais; dans celle-là, lui et ses trois officiers n’avaient qu’un marin anglais en qui ils pouvaient avoir confiance, le reste des hommes étant des coureurs des bois canadiens et des Indiens. Son récit de voyage aux rivages de la mer polaire en 1819-1822 [Narrative of a Journey to the Shores of the Polar Sea in 1819-22] est un des récits les plus explicites et les plus captivants de toute la littérature vouée aux voyages d’exploration. Le lecteur suit les gestes et les souffrances au rythme des descriptions de FRANKLIN, RICHARDSON et BACK : trois des plus grands noms de l’histoire de l’endurance héroïque.

Voyez comment ils sombrent graduellement dans les profondeurs de la misère.

"Je n’étais plus", dit Franklin bien avant que n’arrive le pire, "que peau et os et, comme le reste du groupe, je souffrais du froid à des degrés qui ne m’auraient point dérangé si j’avais été en santé et vigoureux." "Je suis parti avec l’intention de rejoindre Saint Germain afin de hâter son travail (fabriquer un canot), mais bien qu’il ne fut qu’à trois-quarts de mille, j’ai mis trois heures dans une vaine tentative pour le rejoindre, mes forces étant inégales à l’énergie requise pour marcher dans la neige profonde; et je suis revenu épuisé et éprouvé par les nombreuses chutes que j’avais faites. Mes associés étaient tous dans le même état de faiblesse. Les coureurs des bois étaient un peu plus forts que nous, mais moins disposés à faire des efforts à cause de leur état de découragement. La sensation de faim nous avait tous quittés et pourtant nous pouvions à peine converser sur un autre sujet que le plaisir de manger." "En soirée nous mangions une petite quantité de cette herbe (tripe de roche qui causait toujours une maladie fort désagréable à certains d’entre eux) et le reste de notre souper était fait de morceaux de cuir rôti. La distance couverte aujourd’hui était de six milles." "Avant de partir, tout le groupe avait mangé les restants de leurs vieux souliers et tous les restants de cuir afin de préparer les estomacs aux rigueurs de la marche." "N’ayant trouvé aucune tripe de roche, nous avons bu une infusion de thé du Labrador et nous avons mangé quelques bouchées de cuir brûlé pour souper". "Nous étions incapables de monter la tente et son poids était trop lourd pour la transporter; nous l’avons donc découpée et une partie du canevas a servi pour nous couvrir." S’affaiblissant ainsi de jour en jour, ils sont enfin arrivés au fort Enterprise, une hutte isolée et inhabitée, où les ont rejoints Richardson – alors Dr. Richardson, maintenant sir John – et Hepburn, le marin anglais, dont ils s’étaient séparés. "Nous étions tous stupéfaits de l’apparence émaciée du docteur et d’Hepburn qui démontrait clairement leur état d’extrême faiblesse. Les changements dans notre apparence les ont également affligés car, depuis que les enflures avaient disparu, nous n’étions plus que peau et os. Le docteur a particulièrement remarqué le ton sépulcral de nos voix qu’il nous a demandé de rendre plus enjoué, si possible, étant totalement inconscient que sa propre voix avait adopté la même tonalité." "En après-midi Peltier était si épuisé qu’il avait de la difficulté à s’assoir et avait un air pitoyable; il s’est finalement glissé du tabouret sur le lit, pour dormir avons-nous pensé, et il est resté dans cet état plus de deux heures sans que nous sentions le besoin de nous inquiéter. Nous avons alors été troublés par un râle sortant de sa gorge et lorsque le docteur l’a examiné il ne pouvait plus parler. Il est mort pendant la nuit. Semandré était resté assis une grande partie de la journée et avait même aidé à pilonner des os en poudre; mais, en observant le triste état de Peltier, il a perdu le moral et a commencé à se plaindre du froid et de la raideur de ses jointures. Étant incapables de garder le feu assez intense pour le réchauffer, nous l’avons couché et recouvert de plusieurs couvertures. Il ne semblait cependant pas s’améliorer et je regrette amèrement d’ajouter qu’il est également mort avant le jour. Nous avons déplacé les corps dans la partie opposée de la maison, nos forces étant inadéquates pour les enterrer ou même pour les transporter jusqu’à la rivière." "Le choc sévère causé par la dissolution soudaine de nos deux compagnons a provoqué une grande tristesse. Adam (un des interprètes) a perdu espoir et était découragé; un changement que nous regrettions d’autant plus que nous avions perçu qu’il reprenait force et courage au cours des deux derniers jours. J’étais particulièrement affligé du fait que le Dr. Richardson et Hepburn avaient maintenant la lourde tâche de ramasser le bois et que mon extrême faiblesse m’empêchait de leur prêter toute assistance matérielle; les deux m’avaient d’ailleurs aimablement conseillé de ne faire aucune tentative. Pendant leur absence, je me suis assuré de demeurer constamment près d’Adam et de lui parler afin de l’empêcher de réfléchir à notre condition et de l’aider à garder le moral autant que possible. Je me aussi couché à ses côtés la nuit." "Le docteur et Hepburn s’affaiblissaient énormément et les jambes de ce dernier étaient très enflées. Ils rentraient fréquemment dans la maison pendant la journée pour se reposer et une fois assis ils étaient incapables de se relever sans s’aider mutuellement ou sans un bâton. Adam demeurait dans le même état déprimé qu’hier mais il nous surprenait quelquefois en se levant pour marcher, semblant avoir une plus grande vigueur. Il avait un air sauvage et terrible et sa conversation était souvent incohérente." "J’aimerais ici faire remarquer que la dureté du plancher, dont seule une couverture nous protégeait, causait des douleurs sur tout notre corps à cause de la perte de poids extrême, spécialement sur les parties qui supportaient notre poids quand nous étions couchés; même se retourner pour soulager la douleur était pénible et difficile. Cependant, pendant cette période, et en fait après que les douleurs aigues de la faim, qui n’avaient duré qu’un court temps, aient disparu, nous pouvions tout de même jouir de quelques heures de sommeil. Notre sommeil était généralement, mais pas constamment, accompagné de rêves souvent (mais non invariablement) agréables, car ils portaient très souvent sur les plaisirs de festoyer. Dans la journée, nous avions pris l’habitude de converser de sujets légers bien que nous parlions parfois, avec sérieux et solennité, de sujets reliés à la religion. Nous évitions généralement de parler directement de nos souffrances ou même de l’espoir d’être secourus. J’ai constaté que proportionnellement au déclin de nos forces, nos esprits démontraient des symptômes de faiblesse qui se manifestaient par des mesquineries irraisonnables les uns envers les autres. Chacun considérait que l’intellect de l’autre s’était affaibli et qu’il avait grand besoin de conseils et d’assistance. Une simple bagatelle, comme changer de place parce qu’un de nous la recommandait comme étant plus chaude et plus confortable et qui était refusé par l’autre par peur de bouger, soulevait fréquemment des expressions d’irritabilité qui aussitôt prononcées étaient regrettées pour être parfois reprises quelques minutes plus tard. La même chose se répétait souvent lorsque nous tentions de nous aider mutuellement à transporter le bois pour le feu; aucun de nous n’acceptant l’aide proposée bien que la tâche fut disproportionnée à nos forces. En une de ces occasions, Hepburn était si convaincu de cette faiblesse d’esprit qu’il s’est exclamé ‘Mon Dieu, si nous sommes épargnés et que nous rentrons en Angleterre, je me demande si nous retrouverons nos esprits!’"

Cela apportera certainement du réconfort à la famille et aux amis de Franklin et de ses braves compagnons qui ont partagé les plus récents dangers et qui sont maintenant au repos, de repenser à ce récit à la fois viril et touchant; de penser que les corps des morts reposaient à portée de main, préservés par le froid mais non mutilés, au moment où toutes les faiblesses étaient dépeintes si franchement; et de savoir qu’il fut prouvé que les victimes ne souffraient plus de la faim et qu’ils étaient morts passivement.

Ils savaient que la fin approchait, comme le démontre le récit de Franklin sur l’arrivée de leurs sauveurs le lendemain. "Adam avait passé une nuit agitée, étant troublé par des peurs lugubres d’une mort prochaine que nous tentions en vain de dissiper. Il était si mal en point au matin qu’il pouvait à peine parler. Je suis resté au lit à ses côtés pour l’encourager autant que possible. Le docteur et Hepburn étaient sortis couper du bois. Ils avaient à peine commencé leur travail qu’ils ont été stupéfiés d’entendre le son d’un mousquet. Ils pouvaient à peine croire que c’était si près jusqu’à ce qu’ils entendent un cri et remarquent immédiatement la présence de trois Indiens près de la maison. Adam et moi avons entendu ce bruit et je craignais qu’une partie de la maison ne soit tombé sur un de mes compagnons, la possibilité d’un tel désastre ayant déjà été discutée. Ma peur ne fut que momentanée. Le Dr. Richardson est entré pour communiquer la joyeuse nouvelle du secours arrivé. Lui et moi avons immédiatement adressé des remerciements au divin pour notre délivrance mais le pauvre Adam était si mal en point qu’il pouvait à peine comprendre l’information. Lorsque les Indiens sont entrés, il a tenté de se lever, mais s’est affaissé de nouveau. Si cela n’avait été de cette intervention opportune de la Providence, son existence se serait terminée dans les heures suivantes et nous l`aurions probablement suivi en peu de jours."

Mais, dans les épreuves et les privations précédentes de cette expédition, il y avait un homme, MICHEL, un chasseur iroquois qui avait effectivement conçu l’idée de subsister avec les corps des traînards, et peut-être même de tuer les plus faibles dans le but de les manger – ce qui est assez certain. Cet homme a planifié et exécuté ses plans voraces au moment même où sir John Richardson et Hepburn étaient avec lui quotidiennement; à un moment où, bien que leurs souffrances aient été énormes, ils ne ressentaient pas cette faiblesse d’esprit dont nous avons appris l’existence et au moment où la petite différence entre sa robustesse physique et l’émaciation du reste du groupe – sans parler de ses absences et de ses retours mystérieux – aurait pu engendrer des soupçons. Pourtant, penser au cannibalisme était si anormal et si loin de leur esprit et de celui de M. HOOD, un autre officier qui les accompagnait – bien qu’ils souffraient tous de tiraillements d’estomac et faiblissaient plus à chaque heure – qu’aucun soupçon ne fut éveillé avant que ce même chasseur ne tue M. Hood par balle alors qu’il était assis près du feu. Ce ne fut qu’après que le crime eut été commis, alors qu’il était devenu un objet d’horreur et de méfiance et semblait devenir sauvagement fou, que les détails ont commencé à prendre sens dans la tête des deux survivants, leur suggérant une culpabilité si monstrueusement improbable que cela n’était jamais venu à l’esprit de l’un deux jusqu’à ce qu’ils reconnaissent ce misérable pour le meurtrier qu’il était. Pour se débarrasser de sa présence et se libérer du danger qu’ils percevaient enfin, sir John Richardson, assumant noblement la responsabilité qu’il ne permettrait pas à un homme d’une position moins élevée que la sienne d’assumer, a tué le démon d’une balle à la tête – pour la joie éternelle de toutes les générations de lecteurs qui l’honoreront à la lecture du récit admirable de ce geste.

Les mots utilisés par sir John Richardson pour mentionner ce Michel, après que la terre eut été libérée de sa personne, sont extrêmement importants dans ce cas, décrivant presque le contexte général vers lequel nous nous dirigeons. "Ses principes, non fondés sur une croyance dans les vérités divines du christianisme, étaient incapables de résister à la pression d’une profonde détresse. Ses compatriotes iroquois sont généralement chrétiens, mais il n’avait reçu aucune instruction et il était ignorant des devoirs inculqués par le christianisme; et de son long séjour en pays indien il semble avoir absorbé, ou retenu, les règles de conduite que les Indiens du sud se sont données."

Que le ciel nous protège d’avoir l’audace de limiter le désespoir causé par la douleur alors que nous réfléchissons à cette question bien nourris et bien au chaud dans notre foyer! C’est avec révérence pour les braves et les audacieux, avec admiration pour ces hommes courageux qui peuvent tout endurer jusqu’à la fin, par amour pour leur réputation et avec tendresse pour leur mémoire que nous pensons aux traces imperceptibles de ces hommes valeureux "éparpillées dans des directions diverses" dans un désert de glace et de neige et que nous livrons ce plaidoyer au nom de leurs cendres. Notre dernière revendication en leur nom et en leur honneur contre le vague babillage de sauvages est que rares et exceptionnelles furent les circonstances dans lesquelles cette "ultime ressource", trop facilement acceptée, a pu s’interposer entre la vie et la mort; et que nombreuses furent les circonstances au cours desquelles les souffrances de la faim ont été endurées jusqu’à ce que la douleur soit passée. Ainsi, et à titre de pierre d’assise de notre position, mieux l’homme est éduqué, plus ses habitudes sont disciplinées, plus le ton de ses pensées est réfléchi et religieux et plus démesurément improbable devient cette "ultime ressource".

Implorant le lecteur de toujours se remémorer que les voyageurs perdus en Arctique avaient été choisis avec soin pour ce travail et que chacun était sans aucun doute très au-dessus de la moyenne, nous mesurerons les récits de marmites des Esquimaux aux cas les plus éprouvants et les plus célèbres de famine et d’exposition aux éléments qui soient connus.

Cela, cependant, nous le réservons pour un autre chapitre qui servira aussi de conclusion la semaine prochaine.

Illustrations des sources (5)

À propos de ce document

  • Auteur: Charles Dickens
  • Publication: Household Words
  • Numéro: 245
  • Date: 2 décembre 1854
  • Page(s): 361-365
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