Le témoignage d’Ahlangyah à Schwatka [tel que rapporté par Gilder] (1881)

Ce soir-là deux autochtones qui étaient arrivés tard ont dit à Equeesik que sa sœur était avec d’autres membres de la tribu près de la pointe Richardson et il est allé là-bas avec son traîneau revenant le surlendemain avec plusieurs familles incluant une vieille femme qui s’est avérée être un autre témoin important et intéressant. Elle faisait partie du groupe qui avait rencontré quelques survivants des navires échoués dans la baie de Washington. Elle n’avait jamais revu d’autres hommes blancs jusqu’à aujourd’hui. Son nom était Ahlangyah, une Netchellike d’environ cinquante-cinq ans. Elle avait un beau visage intelligent et d’épais cheveux très noirs légèrement parsemés de gris qui n’avaient probablement jamais été dérangés pour tenter d’en faire un arrangement et qui pendaient sur ses épaules ou sur son visage sans restriction ou acharnement. Au cours de l’entretien j’ai réussi à dessiner un portrait qui lui ressemblait beaucoup et dont l’authenticité fut par la suite attestée lorsque, ayant oublié son nom, ses amis l’ont tout de suite identifiée par le portrait. Il est juste d’affirmer que nous avons toutes les raisons de faire confiance aux dires de ces gens étant donné que la franchise semble être une qualité inhérente chez eux. Ils n’ont jamais tenté de nous tromper à propos des reliques même si cela semblait si facile et profitable de le faire. Dans plusieurs cas, ils nous ont dit que des reliques que nous trouvions très intéressantes provenaient en fait d’autochtones de la baie de Repulse et d’ailleurs.

Ahlangyah a montré la côte est de la baie de Washington comme étant l’endroit où, il y a plusieurs années, en compagnie de son époux et de deux autres hommes et de leurs épouses, elle avait vu dix hommes blancs tirant un traîneau avec une chaloupe dessus. Il y avait un autre Inuit avec eux qui ne s’était pas approché des hommes blancs. Le traîneau était sur la glace et une large fissure les séparait des hommes blancs lorsqu’ils se sont rencontrés. Les femmes se sont rendues sur la rive et les hommes ont attendu les blancs à l’endroit de la fissure dans la glace. Cinq hommes blancs ont monté une tente sur la rive et cinq sont restés dans la chaloupe sur la glace. Les Inuits ont monté une tente proche des hommes blancs et ils sont restés ensemble pendant cinq jours. Pendant cette période, les Inuits ont tué plusieurs phoques sur la glace qu’ils ont donnés aux blancs. Ils ont donné un couteau à son époux qui était celui qui avait eu le plus de contacts avec l’équipage blanc. Le couteau est maintenant perdu ou brisé ou fini. Elle ne l’a pas vu depuis longtemps. A la fin des cinq jours, ils sont tous partis vers la péninsule Adelaide craignant de ne pouvoir traverser à cause du mauvais état de la glace. Ils sont partis la nuit parce qu’à ce moment, le soleil était bas et la glace serait un peu prise. Les hommes blancs ont suivi, tirant le traîneau et la chaloupe qui étaient très lourds, et ils n’ont pas pu traverser la mauvaise glace aussi rapidement que les Inuits qui se sont arrêtés et les ont attendus à la pointe Gladman. Les Inuits ne pouvaient traverser sur le continent, la glace étant trop mauvaise, ils sont restés sur la terre du Roi-Guillaume tout l’été. Ils n’ont jamais revu les hommes blancs bien qu’ils aient attendus à la pointe Gladman, pêchant dans les lacs avoisinants, faisant des allers-retours entre la rive et les lacs presque tout l’été et finalement sont partis sur la côte est, près de l’île Matty.

Certains des hommes blancs étaient très maigres et leurs bouches étaient dures et sèches et noires. Ils ne portaient pas de vêtements de fourrure. Lorsqu’on lui a demandé si elle se souvenait des noms de n’importe lesquels des hommes blancs, elle a dit qu’un d’eux se nommait "Agloocar" et l’autre "Toolooah". Ce dernier semblait être le chef et c’était lui qui avait donné le couteau à son époux. (Agloocar et Toolooah sont des noms communs chez les Esquimaux, et il est probable que les noms qu’elle avait entendu donner aux hommes blancs avaient un son semblable et se sont ainsi imprimés dans sa mémoire). Un autre se nommait "Doktook" (docteur). "Too-looah" était un peu plus vieux que les autres et il avait une longue barbe noire parsemée de gris. Il était plus grand que tous les autres – "un homme grand et large". "Agloocar" était plus petit et il avait une barbe brune d’environ quatre ou cinq pouces sous le menton (en montrant avec sa main). "Doktook" était petit avec un gros ventre et une barbe rousse de la longueur de celle d’"Agloocar". Les trois portaient des lunettes, mais pas de lunettes de neige, mais, comme l’ont dit les interprètes, la même seko (glace).

Au printemps suivant, lorsque la neige était presque disparue du sol, elle a vu une tente montée sur la rive de l’embouchure de la baie Terror. Il y avait des corps dans la tente et à l’extérieur il y en avait d’autres recouverts de sable. Les corps n’avaient plus de chair, rien que les os et les vêtements. Il y en avait plusieurs; elle avait oublié le nombre. En fait, les Inuits ne connaissent pas vraiment les chiffres au-delà de "dix". Elle n’a rien vu qui indiquait qu’ils faisaient partie du groupe qu’elle avait déjà rencontré. Les cordes ou tendons étaient encore attachés aux os. Un des corps avait encore la chair mais il n’avait plus d’estomac. Il y avait une ou deux tombes à l’extérieur. Ils ne les ont pas ouvertes à ce moment-là; il y avait de nombreux objets parsemés tout autour. Il y avait des couteaux, des fourchettes, des cuillères, des montres, plusieurs livres, des vêtements, des couvertures et d’autres choses de cette nature. Ils n’ont pas fait attention aux livres. C’était le même groupe d’Esquimaux qui avaient rencontré les hommes blancs l’année précédente et ils ont été les premiers à voir la tente et les tombes. Ils étaient restés sur la terre du Roi-Guillaume depuis le moment où ils avait vu les hommes blancs jusqu’à ce qu’ils trouvent l’endroit de la tente.

C’était le témoignage d’Ahlangyah la Netchillike. Lorsqu’elle a terminé son récit, nous lui avons donné des aiguilles, des cuillères, un poêlon en fer et d’autres articles qui l’ont bien indemnisée pour les efforts qu’elle a faits pour se rendre jusqu’à nous. Voilà une femme qui avait vu les malheureux explorateurs, affamés, et son récit nous intéressait au plus haut point. Chaque mot qu’elle prononçait faisait craindre la pire tragédie; et elle semblait partager notre intérêt car son visage était très expressif. Il pouvait être attristé par l’énumération des piteuses conditions des hommes blancs et des larmes emplissaient ses yeux lorsqu’elle se rappelait la triste scène au campement où ils étaient si nombreux à avoir péri et où leurs corps étaient devenus nourriture pour les bêtes sauvages. Il semble, selon ce qu’elle nous a dit aujourd’hui, que le groupe qui avait péri dans la crique que nous avons visitée hier faisait partie du même groupe qu’Ahlangyah avait rencontré sur la terre du Roi-Guillaume. Elle et ses amis ne pouvaient pas traverser le détroit de Simpson alors que les hommes blancs ont continué sur la mauvaise glace se sentant probablement obligés d’utiliser leurs chaloupes puis, à la grâce du vent et de la glace et après avoir perdus d’autres compagnons près de la rivière Pfeffer et les îles Todd, ils auront dérivé dans la crique où leurs corps ont été retrouvés dans la chaloupe. On ne saura probablement jamais combien de temps cela leur a pris pour arriver à cet endroit, mais il ne fait aucun doute qu’ils étaient dans un état critique. En fait, comme d’autres témoins nous l’apprendront plus tard, il y avait des preuves presque indubitables qu’ils avaient dû se résoudre au cannibalisme jusqu’à ce qu’ils meurent de faim - au moins tous, sauf un dont la dépouille a été trouvée au cours de l’été après notre visite, à environ cinq milles plus loin à l’intérieur des terres.

Illustrations des sources (6)

À propos de ce document

  • Auteur: W.H. Gilder
  • Publication: Schwatka's Search: Sledging in the Arctic in quest of the Franklin records
  • Publié par: Scribner's fils
  • Lieu: New York
  • Date: 1881
  • Page(s): 89-94
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