Lettre en provenance d’Elginfield.

ELGINFIELD, 28 mars 1881.
Au rédacteur en chef de l’Irish Canadian.

MONSIEUR – J’ai pris connaissance, dans le dernier numéro de votre estimé hebdomadaire, de quelques remarques opportunes en rapport à la publication dans les journaux de London d’articles à sensation en provenance de Biddulph et Lucan. Je suis en mesure de savoir qu’il n’y a pas eu de « terrible rencontre pugilistique » entre deux hommes dénommés Bawden et Feehely; pas plus qu’ils n’ont transformé leurs visages en « des masses de chair contusionnée et ensanglantée ». Je sais aussi que Bob Donnelly n’a pas « cherché querelle à James Carroll dans un magasin à Lucan »; il n’y a pas eu non plus de plainte déposée ni d’arrestation effectuée. Par contre, il est vrai que Donnelly a bousculé Carroll sur le trottoir ; et de l’avis des spectateurs de l’incident, Donnelly avait l’intention de le contrarier; mais Carroll n’y a pas fait attention, et c’était tout à son honneur.

Depuis des centaines d’années, la coutume veut que les fils de Saint Patrick célèbrent la journée qui lui est consacrée, où qu’ils soient dispersés dans le monde; et dans certains cas, la célébration se termine de façon peu acceptable. Mais de tels cas sont l’exception et non la règle. C’est dans la soirée du 17 que l’altercation a eu lieu entre Bawden et Feeheley, si bien décrite dans les quotidiens de London; et si j’ose dire, bien des accrochages d’une nature beaucoup plus grave pourraient faire l’objet de chroniques chaque jour à travers la province entre des gens qui ne peuvent prétendre être des fervents du saint patron de l’Irlande ni des résidants de Biddulph.

Mais les journaux de London sont toujours sur le qui-vive afin de récolter toute nouvelle à sensation qui pourrait avoir tendance à faire du tort à Lucan et ses alentours. Il en a toujours été ainsi. Depuis l’inauguration du chemin de fer du Grand Tronc, Lucan a été la bête noire de cette ville; et sa presse ne manque pas une occasion de claironner la moindre nouvelle susceptible de jeter le discrédit sur notre communauté. Il est vrai que la plus effroyable tragédie s’est produite parmi nous; mais est-ce une raison pour déclarer que notre communauté dans son ensemble n’est pas pacifique et respectueuse des lois?

Je défie quiconque de nommer un crime commis ou une personne agressée en dehors des parties directement impliquées dans cette malheureuse querelle, qui s’est terminée de façon si tragique. Notons le terrorisme d’autrefois causé par les déprédations de la célèbre bande de Markham; du notoire Townsend alias McHenry; et plus tard, des jeunes desperados dans la région de la rivière Grand. La municipalité où vivaient ces hors-la-loi était le théâtre de vols, d’incendies criminels et de meurtres. M. Nelles a été tué par balle tout comme le shérif adjoint Ritchie, de sang-froid; et je pourrais mentionner plusieurs autres ravages, mais ceux-ci suffiront à appuyer mon propos. Cela appartient au passé; mais au moment où j’écris ces lignes, le voisinage où ils ont été perpétrés est devenu notoire dans la province. Est-ce là une raison, je vous le demande, pour que les habitants de cette localité ne forment pas une respectable et honnête communauté et où la vie et les biens n’y soient pas aussi bien protégés que n’importe où à présent?

Il en va ainsi de Biddulph, et de Lucan, son premier-né; mais il est de l’intérêt de certaines gens de tout faire ce qui est en leur pouvoir pour noircir notre hameau, et pour tromper les gens quant à la situation qui prévaut ici, afin de les dissuader autant que possible de venir s’établir ici. La vie humaine et les biens sont aujourd’hui autant en sécurité à Biddulph et à Lucan que n’importe où ailleurs dans le Dominion – et même bien plus encore que dans les environs des grandes villes. Mais la stricte vérité est qu’en tout temps, peu importe l’intensité de l’animosité entre les parties adverses, les étrangers qui ne fraternisaient avec aucune faction ont toujours été autant à l’abri de la violence et de la brutalité que Robinson Crusoé l’était sur son île déserte.

Je déclare, donc, qu’il convient mal à un respectable journal, pour des raisons personnelles ou pécuniaires, de gaver de nouvelles morbides ou tapageuses ses lecteurs avides, qui les avalent comme parole d’évangile, ce qui donne l’impression injustifiée que nous sommes des gens qu’il ne faut regarder, par mesure de sécurité, qu’à travers les barreaux de la cellule d’une prison ou de tout autre lieu sûr.

Bien à vous,

ZOULOU.

Source: Zulu, "Letter from Elginfield," Irish Canadian, mars 28, 1881.

Retour à la page principale